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J’étais entré par le haut de l’amphi, parmi les premiers. J’aime bien avoir du recul. D’autres étudiants pénétraient également par les deux portes du bas. C’était le premier jour, le premier cours et j’étais impressionné par la taille de cette salle. Les cours à une trentaine d’élèves du lycée étaient dorénavant de l’histoire ancienne.

Dès qu’il est entré, je l’ai vu. Bien sûr, il y avait sa chevelure rousse, ses yeux bleus que je ne pouvais pas encore voir. C’était son maintien, son attitude qui tranchait sur les autres. On devinait le garçon achevé, sûr de lui. Il me dira qu’il m’avait aussitôt aperçu. C’est faux, car jamais son regard n’a monté jusqu’à moi. Contrairement aux autres, qui cherchaient une place près du prof, il avait gravi les escaliers pour se tenir deux ou trois travées devant moi. Durant tout le cours, je n’ai pas quitté des yeux ses cheveux, sa nuque fine. Je suis parti rapidement, voulant arriver le premier pour l’offre.

Depuis cinq jours, je cherchais un boulot. Entre la chambre, les tickets-repas, la carte de transport et inscription, mon pécule de l’été et l’avance de mes parents avaient été ratatinés. Je pouvais manger deux semaines, trois en sautant des repas. Il y avait urgence.

J’avais été accepté pour le job. Un peu trop d’horaires et un début seulement dans un mois. Il allait falloir tenir. Le cours suivant, il était là et le voir me fit plaisir. Sa présence me rassurait, comme une bonne chose attendue. Je ne le voyais pourtant que de dos, maintenant la travée juste devant.

Le premier cours de TD fut une surprise. J’arrivais en retard, m’étant trompé dans les étages. Tout le monde était installé. Il ne restait que quelques places. Il me fit signe et je me posais à côté de lui spontanément, cherchant, comme à mon habitude, la plus grande discrétion. Ce n’est qu’après que je réalisais que je me trouvais à côté de lui. Ne pouvant le regarder, je fixais ses mains. La peau si blanche, les doigts fins donnaient une impression de fragile élégance. Je ne comprenais pas la fascination que cela m’entrainait. Gêné, je me dépêchais de me lever quand une main me retint.

— Tu es pressé ?

— Oui ! Excuse-moi.

— Dommage !

Le problème, ce fut que nos regards se croisèrent. Je n’avais jamais vu des yeux d’un bleu aussi intense. Troublé, avide de le retrouver, je bredouillais :

— Demain, oui, demain !

Je partis en courant. Son visage ne quitta pas mon esprit de la journée. Le lendemain, bien qu’arrivé de bonne heure, il était déjà installé à la même place. Son geste d’invitation ne me laissait guère de choix. Je m’assis en évitant de le regarder, mais son sourire était éblouissant. Ma seule crainte était qu’il engagea la conversation avant le début du cours, mais il s’en abstint. Je ne pouvais cependant ignorer que ses yeux étaient posés sur moi. Je n’avais jamais été l’objet d’une telle attention.

À la fin, je rangeais mes affaires le plus rapidement possible.

— Aujourd’hui aussi, tu as une obligation ?

— Non…

— Alors, on peut causer deux minutes ?

— Si tu veux…

Nous sortîmes de la salle derrière les autres étudiants.

— Tu viens d’où ?

Je lui citai le nom de la petite ville où j’étais né. Lui venait de la grande ville où nous étions.

— Je suis désolé ! J’ai l’impression de t’agresser…

— Non, pas du tout ! Mais je n’ai pas l’habitude !

— L’habitude de quoi ?

— L’habitude de causer…

— Tu es bizarre ! Tous les jeunes aiment parler…

— Peut-être…

— Tiens, asseyons-nous deux minutes. Tu veux bien ?

— Oui.

— Moi, c’est William !

— Nicolas !

— Le TD était un peu chiant, non ?

Il commença à parler de ce cursus, de ce qu’il en attendait, pourquoi il l’avait choisi, laissant des blancs m’obligeant à compléter par mon avis. Cela était fait de façon si naturelle que je me détendis. Parler de choses anodines était sans conséquence.

— Je vais manger ! On mange ensemble ? On va au restau U ?

Comment lui dire que ce midi était un jour sans, que je devais sauter quelques repas pour essayer de tenir le plus longtemps possible ?

— Désolé, j’ai oublié mes tickets...

— Pas de problème ! Je t’invite !

— Je ne peux pas accepter…

— D’abord, ce n’est pas moi, mais mes parents qui t’invitent, car ce sont eux qui paient ! Ensuite, vu l’estime que je leur porte, tu peux abuser sans problème !

Voilà comment tout à commencer. Il parla de lui, de ses parents, de tout, de rien. Je ne pouvais détacher mes yeux de son visage. Il n’était pas beau à proprement parler, mais son regard était unique. Le bleu ressortait sur cette peau blanche. Nous étions à la fin de l’été, et même moi, sans avoir pris de vacances, j’étais un peu hâlé. Sa façon de parler était étonnante, car il ne paraissait le faire que pour laisser de la place à son interlocuteur, semblant plus intéressé par mes maigres propos que par sa mise en valeur. Je n’étais guère habitué à tant d’attention, mais sa cordialité avait relâché mes réserves habituelles.

Sans vouloir lui dire grand-chose, je lui présentais ma solitude, ma compagne depuis toujours. J’avais changé trois fois de lycée, ce qui avait renforcé cette absence d’amis. Je ne savais même pas si je pouvais parler de copains, tellement ils s’étaient effacés. Il était inutile de parler de ma vie amoureuse. J’en parlais simplement, sans y mettre de regrets. Après tout, j’étais habitué et à l’aise dans cet isolement.

En parlant, je me rendais compte que William devait être à l’exact opposé de moi. Je ne pouvais l’imaginer qu’entouré d’une bande de copains, d’amis, chaleureux et chahuteurs. Pourquoi s’intéressait-il à moi ? La bienveillance que je sentais dans notre échange m’était inconnue. C’était peut-être la première fois que j’étais en confiance avec quelqu’un. Cela me troublait, car je me sentais prêt à sortir tout ce que je ruminais si souvent : le garçon sans intérêt, ni intellectuel ni physique. Le gars quelconque que l’on ne se donne pas la peine de regarder. Aucune beauté des traits, des formes banales. Trop timide pour se mettre en avant et oser prendre contact. Une ombre réfugiée en elle, tranquille dans sa solitude. Infiniment malheureux, mais trop heureux de n’avoir pas à gérer des relations auxquelles il ne comprenait rien. Mon seul atout était des capacités scolaires un peu au-dessus de la moyenne qui m’avaient permis d’accéder à la fac. Mais un milieu social si démuni que cela se transformait en galère incertaine.

Qu’un être aussi raffiné que William accorde quelques instants à ce garçon insignifiant était une énigme. Je m’accrochais à cette petite bouée aussi ensoleillée qu’inattendue. J’avançais dans un monde inconnu, celui de la fraternité. Je retenais chacun de mes mots, tellement ils étaient négatifs et ridicules. Son regard encourageant était une torture, m’obligeant à avancer sur ce fil tendu au milieu du vide. Je savais que j’allais basculer, m’écraser. C’était cela que je redoutais depuis toujours. L’invitation était si belle que je préférais avancer, quitte à y perdre tout, définitivement, après ce vol gracieux.

Nous étions éloignés des autres, dans une bulle intemporelle. Un bruit me sortit de ce paradis. Je revenais sur cette Terre grise.

Oh ! Tu as vu l’heure ! On va être en retard ! Tu veux un café ?

Je lui devais au moins ça. Le distributeur était libre, livrant cette boisson infâme pour un prix exorbitant. Ce soir, je ne pourrais pas acheter une baguette entière, ma seule nourriture. C’est vrai que j’avais gagné le repas de ce midi.

Je raclais mes pièces jaunes, sachant exactement chacun de mes centimes en poche. Il trouva le café dégueulasse et le jeta après la première gorgée. Je le buvais pour ne pas gâcher l’extra-sucre que j’avais choisi, habitué à la recherche de la moindre calorie. Ceux qui ont eu réellement faim comprendront.

Il m’avait écouté, sans le moindre commentaire, préférant des anecdotes sur lui, souvent drôles et le faisant apparaitre dans des situations de fragilité, de gêne. Le décalage entre sa prestance et l’assurance qu’il dégageait était troublant.

Nous rejoignîmes l’amphi juste à temps, obligés de nous séparer pour trouver une place. Ces premiers jours, l’amphi débordait, alors que six mois plus tard, il sera à moitié déserté.

La cohue de la sortie nous sépara. C’était mieux. Notre échange, avec le recul, avait été éprouvant. J’avais besoin de me retrouver dans mon face-à-face personnel.

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