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À la fin du repas, il me dit :

— Nic, j’aimerais que tu arrêtes de travailler.

— Mais j’en ai besoin !

— Non. Je voudrais que nous soyons plus ensemble. Je paie tout.

— C’est gentil, mais même pour sortir, m’habiller, je n’ai rien.

— Je te donnerai de l’argent.

— Tu me baises et tu me paies. Je suis ta pute !

J’étais choqué par mes propos, involontairement exprimés.

— Si tu veux bien, oui, je veux que tu deviennes ma pute ! S’il te plait.

Il mima une demande à genoux.

— Mais si j’ai envie de tirer un coup à côté ?

Décidément, je ne me reconnaissais plus. Comme si j’étais capable d’aller draguer un mec !

— Pas de problème ! Tu n’es pas ma propriété ! Tu es libre ! Du reste, ce soir, nous allons en boite ! Nous avons l’après-midi pour te transformer en mignon petit minet, ta vraie nature !

Ses yeux demandaient plus. Me plier à sa volonté était une douce contrainte, un confort absolu.

Quand nous avons pénétré dans la boite, de nombreux regards se tournèrent dans notre direction. La musique commençait à peine, l’ambiance semblait décontractée. Aussitôt, de nombreux garçons vinrent saluer William. Il fit les présentations. Je voyais que mon relooking de l’après-midi, qui s’était accompagné d’une séance chez le coiffeur, portait ses fruits. Je ne voulais que me fondre dans l’ombre de mon ange. Il était trop connu. Son attitude montrait clairement que j’étais à lui. Cela n’empêcha pas un joli blondinet de m’inviter. N’ayant jamais dansé, je me sentais ridicule. Le bel éphèbe m’encourageait des yeux. Puis il vint me prendre et me guider. J’aimais son contact, son sourire. Je me détendis, finissant par trouver du plaisir sous son regard bienveillant. Quand nous rejoignîmes les autres, la table était pleine. Nouvelle présentation. Je bus, un peu trop, mais cela me détendit. Je fus invité, je perdis des yeux William plusieurs fois. Mon air affolé me valut des consolations amicales et appuyées. Je me rendis compte que je réagissais à ces caresses. J’étais bien au milieu de ces garçons accueillants, libre de leur corps et de leurs amours.

Nous rentrâmes à pied. Une bonne heure de marche dans la nuit fraîche.

— Nic, tu sais que tu m’épates !

— Pourquoi ?

— Tu as tellement changé !

— C’est toi qui m’as fait découvrir la vie.

— Peut-être ! Mais tu ne demandais que ça !

— Je ne pense pas ! J’ignorais tout !

— Tu sais, quand je t’ai aperçu le premier jour dans l’amphi, je suis tombé amoureux de toi ! Il n’y avait plus que toi ! Je me suis installé loin de toi, pour que je ne te voie pas. J’étais obnubilé par ton image.

— Tu sais, moi aussi, je t’ai vu dès le premier jour ! Tu étais un soleil, inaccessible. Tu es venu me chercher ! Will… Merci !

— Merci de quoi ? D’avoir eu envie de toi ?

— Non, d’avoir attendu et de m’avoir permis de le faire !

Pouvoir dire mes sentiments, les entendre reçus, était aussi une nouveauté. Décidément, ce garçon m’apportait tout !

L’année se déroula tranquillement, sur un petit nuage. Il organisait des soirées à l’appartement. Un ou deux amis venaient et je découvrais les plaisirs à plusieurs. Je puis pénétrer à mon tour ces jolis corps, ces jolies fesses. J’aimais donner, mais je compris vite que mon vrai plaisir était de recevoir. J’aimais ces corps différents, ces odeurs différentes, ces pratiques différentes. Mes balbutiements s’estompèrent vite et je me libérai complètement.

Un jour, en discutant, je refusais de me reconnaitre gay. C’est vrai que c’était ma seule pratique, mais je voulais tenter une expérience avec une fille pour me déterminer. Les films que nous avions vus ne me déplaisaient pas. Sauf que maintenant, je ne me voyais pas faire une infidélité à mon ange. La question était donc inutile.

Pourtant, on me la reposa. J’étais bien avec William, j’avais l’impression d’avoir sorti la tête de l’eau. Je voulais que mes parents connaissent mes changements et celui à qui je les devais. Mes parents sont de petites gens, habitués à peu, n’ayant jamais pensé réclamer plus, ou simplement œuvrer pour améliorer leur situation. La résignation était leur principale qualité. Leur fils leur posa d’énormes problèmes. Sa réussite scolaire lui permettait de sortir de cette condition. Il leur était impossible psychologiquement et matériellement de gérer ou de m’aider à gérer cette évolution. J’avais donc tout organisé moi-même, poussé par des enseignants, des assistantes sociales, toutes ces personnes dévouées aux autres.

Les sentiments et l’amour faisaient partie de la résignation : inutile de chercher à être heureux. J’avais été engoncé dans ce misérabilisme. Une bonne fée m’avait touché du doigt, avant de m’en faire profiter autrement. Ce bonheur, notion nouvelle, je voulais leur montrer qu’il était possible et que moi, maintenant, il était ma nouvelle religion.

William accepta immédiatement ma proposition de rencontre, malgré l’heure de train et l’heure de bus et de marche. Je les avais prévenus que je viendrais avec un ami. Nous étions attendus pour déjeuner. Sans doute le poulet des jours de fête.

Je n’avais rien dit à William. Il savait ma condition modeste. Je ne la revendiquais pas, je ne la cachais pas. Simplement, je n’avais pas trouvé les mots pour le préparer, ignorant totalement d’où lui venait.

Le voyage en train fut agréable, blotti l’un contre l’autre, ballotté, à demi assoupis, dans notre bulle. L’attente du bus, du bus suivant, la traversée de banlieues de plus en plus pauvres, l’arrivée en bas des barres ne lui arrachèrent aucun commentaire. Bien entendu, notre immeuble était le dernier, en haut de la colline. Nous traversâmes la cité, toujours aussi sale. Je fus reconnu et salué. J’étais connu, mais je n’avais aucun copain ici. J’étais asocial, classé comme une tête, sans intérêt.

L’appartement était au troisième étage, trop bas pour disposer de la vue. Mes parents nous accueillirent à leur façon. J’avais envie, cette fois, de les embrasser. Je les gênais avec cette malheureuse bise. Des propos anodins espacés par le silence habituel. C’est à la fin du repas que je leur dis que William était mon petit ami, que nous vivions ensemble. Je ne sus pas interpréter leur absence de réaction. Je crois que, simplement, ils n’ont pas compris. Je voulus leur dire que William était mon amour. Je me rattrapais. Cela n’avait aucune importance pour eux. Je terminai en leur disant que mes études avançaient bien, que j’avais un travail à côté, que c’était dur, mais que j’allais y arriver.

Nous n’avions rien d’autre à nous dire, un train qui nous attendait. Nous les avons quittés. En redescendant, William voulut me prendre la main. Je lui expliquai qu’ici, ce n’était pas possible. Le train du retour était bondé, nous empêchant de parler. Ce n’est qu’une fois à l’appartement qu’il me prit dans ses bras.

Nicolas, merci pour cette visite. Je comprends maintenant d’où tu viens. Tu as un courage extraordinaire. En plus d’être beau et intelligent !

J’étais vidé. J’avais besoin de ses câlins. Je voulais qu’il me prenne entièrement, comme pour me laver de tout cela. Comme toujours, il sut me transporter dans son paradis.

Quand je lui demandais, le lendemain, s'il ferait pareil avec sa famille, il me répondit simplement :

— Ma famille, c’est compliqué !

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