Elle le regardait gesticuler du haut de sa tour de verre.

Ce moment de désir. Cette distanciation. Planer au-dessus de son corps. Elle se regarde faire l'amour avec ce type comme elle regarde le monde gesticuler du haut de sa tour de verre au travail, sa tour de contrôleuse aérienne. Autrefois, la poésie du métier d'aiguilleur du ciel pouvait encore faire rêver même si on n'avait pas encore féminisée les noms quand elle était entrée dans cette profession en l'année mythique, l'an 2000. Maintenant on utilise un sigle froid et efficace - à l'image de ce qu'est devenue la société. ICNA Ingénieure du Contrôle de la Circulation Aérienne, froid et insensiblr comme l'est son corps aujourd'hui dans ce lit avec ce gars.

Là-haut, elle a la tête dans les nuages autour desquels elle aiguille des monstres métalliques volant et fonçant à plusieurs centaines de kilomètres à l'heure. Sa voix qui oscille et trouble l'air en une vague ondulatoire depuis son micro terrien jusqu'au micro aérien du monstre ailé. Dans son ciel, tout est ordonné, cadré, sur des routes d'air en guise de rails. Tout est quadrillé et minuté. Le monde d'en bas, là-haut, on s'en fiche. Il peut se vautrer dans la boue, ses plaies peuvent s'agrandir encore un peu plus pour mieux avaler tous les miséreux de cette terre, les fauchés, les sans-papiers, les drogués, les largués, les abandonnés, les délaissés, avec les hommes de pouvoir et d'argent se tenant au bord du trou en bottes de caoutchouc flambant neuves. Ils se sont donnés rendez-vous et se gaussent du spectacle que leur donne le trou. Là-haut, on s'en fiche du trou, on ne le regarde pas. (Elle aussi, elle s'en fiche pas mal du trou, elle ne le regarde pas. Là- haut elle frôle l'euphorie. ) Elle ordonne aux masses de fer filantes de s'aligner. Elle ne peut pas regarder en bas. Ce n'est que tourbillon, vortex, trou noir, capharnaüm, bazar, bordel. Là-haut, tout est droit, séquencé, calculé, carré, symétrique et logique. A force de monter dans sa tour de cristal, avec les années, elle n'a plus réussi à combler la dichotomie de son cerveau que lui imposait l’ascension à sa tour de verre. Un jour sur deux, un jour ON en mode avion, un jour OFF en mode terre. Depuis trop longtemps, son cerveau reste en permanence en mode avion, emprisonné dans ce monde sans émotions ni sentiments. Elle ne reçoit plus les pulsations vibratiles de la terre que foulent ses pieds.

Elle est là dans ce lit avec cet inconnu, plus tout à fait inconnu mais pas tout à fait connu non plus - illusion- , et elle se regarde en train de faire l'amour. L'homme gesticule et fait des va et vient, alternativement fourre sa bitte en elle et la retire, elle ne ressent rien, aucun frisson, même infime, aucune minuscule onde gravitationnelle née de la nuit des temps ne parcourt ses poils. Elle regarde alternativement la bitte dure qui apparaît et disparaît et le visage déformé de l'homme sous le plaisir. Elle se dégoûte d'être là mais est heureuse de faire ce qu'elle doit faire, faire l'amour. C'est le prix à payer, le prix à payer pour cette étincelle de désir qu'elle a vue jaillir dans les yeux de ce mâle. Cette étincelle, cette fulgurance qui lui a signifié qu'elle était encore en vie, en identité. Pas encore tout à fait orpheline de l'humanité.

Amour Verre Tour Bitte
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