Celles qui défiaient l'Eternel
Le vent hurlait comme jamais. La cheminée était éteinte. Le fauteuil gris, vide. Elena, allongée dans son lit, respirait à peine. La dernière.
Et la Mort était là, debout au pied du lit. Ses mains tremblaient. Sa silhouette, d’ordinaire si calme, paraissait agitée, comme parcourue de secousses internes. Son regard était noir, plus noir que d’habitude. Ce soir, elle ne portait pas son manteau. Ce soir, elle était nue comme la vérité.
— Non.
Le mot claqua dans la pièce comme un coup de tonnerre. La Mort s’approcha, saisit la main frêle d’Elena.
— Tu ne peux pas me faire ça. Tu ne peux pas partir. Pas toi.
Elena ouvrit à peine les yeux. Un sourire triste effleura ses lèvres.
— Tu savais que ce jour viendrait…
Mais la Mort fit non. Elle serra plus fort sa main, si fort que l’air même sembla frissonner.
— Je t’ai prise dans mes bras mille fois. J’ai porté des rois, des enfants, des monstres, des saints. Et aucun ne m’a fait mal comme toi. Tu m’as rendue vivante, Elena. Tu m’as rendue faible. Et je déteste ça.
— Alors… laisse-moi partir.
— Je ne peux pas.
Sa voix tremblait. Ce n’était plus la Mort qui parlait. C’était l’amante. La femme. L’éternelle condamnée à regarder les autres fuir dans l’oubli. Mais cette fois, elle refusait.
— Je suis la fin de tout. Mais toi… tu es ma seule origine.
Elle posa ses lèvres contre le front d’Elena, et quelque chose dans l’univers vacilla. Les horloges se figèrent. Les oiseaux tombèrent silencieux. Les vagues cessèrent de battre la côte. Un silence de fin du monde.
Et la Mort murmura :
— Tu ne mourras pas. Tu viendras avec moi.
Alors elle ouvrit un passage.
Pas vers l’au-delà. Ni paradis, ni enfer. Un monde suspendu, un monde hors du temps, hors des lois. Une dimension creusée dans la chair même de la Mort, à l’intérieur de sa solitude millénaire. Elle prit Elena dans ses bras, et ensemble, elles tombèrent — ou s’élevèrent — vers ce lieu qui n’existait que pour elles.
Là-bas, il n’y avait ni nuit ni jour. Il n’y avait plus de saisons, plus de vieillesse, plus de peur. Une lande brumeuse, éternellement douce, peuplée de silence et de souvenirs. Une maison, semblable à celle qu’Elena avait quittée. Un feu qui ne s’éteint jamais. Un vin qui ne vieillit pas. Et un fauteuil gris, toujours là.
Elena se réveilla, respirant sans effort. Elle n’était plus tout à fait vivante. Mais elle n’était pas morte non plus.
La Mort s’agenouilla devant elle.
— Tu n’es plus une âme à juger. Tu es à moi. Je t’ai volée aux cieux. J’ai renié mon serment, brisé mes chaînes, défié l'Eternel. Je serai punie. Mais je m’en moque.
Elena, touchant doucement sa joue, murmura :
— Et maintenant ?
— Maintenant, je t’offre la seule chose que je n’ai jamais donnée à personne : la possibilité d’exister dans ma propre mort.
Et ainsi, dans un recoin interdit de l’univers, vivent encore aujourd’hui deux âmes entremêlées : une femme et la Mort elle-même.
On raconte que parfois, les mourants les plus solitaires entendent, dans leur dernier souffle, une voix douce et chaude leur dire :
— Tu ne seras pas seul. J’existe. Je suis la Mort, et j’aime aussi.
Annotations
Versions