EPISODE 15 : COMME UNE ARAIGNÉE DANS L’EAU (ATHENA) 

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Le voilà. C’était bien le monstre que je m’étais figurée en lisant son rapport. Il était avec la mère en fauteuil roulant, et je ne savais pas ce qu’il trafiquait avec la fille… Ce genre d’homme ne devrait pas exister.

Mon père m’avait appris jeune à les reconnaître,ceux qui tuent pour le plaisir.

Ancien vétéran, reconverti en couteau suisse pour les puissants. Il savait intimider, éliminer, faire disparaître. Le genre d’homme que tout politicien rêve d’avoir dans sa poche.

Pas étonnant que la mairesse l’ait mis dans son lit. Elle était certainement bien moins innocente qu’il n’y paraissait.

Mais cette Maya… elle n’avait que vingt et un ans… et elle sentait déjà le sang. Cindy avait raison, ce genre d’individu pouvait causer de gros problèmes dans un environnement confiné comme le train…

Toute la soirée, elle avait été très entreprenante auprès de Mike… Lui, d’ordinaire si timide. J’imagine que sa liaison avec Cindy lui avait fait pousser des ailes…

Elle était partie dans une pièce à l’arrière chercher je ne sais quoi. Lui, avec toute la non-discrétion du monde, l’avait suivie dans la même direction deux minutes plus tard. David, qui roucoulait avec la mairesse en planifiant le départ, n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil inquiets. Ça cachait définitivement quelque chose. Ils revinrent plus tard avec des rafraîchissements pour tout le monde.

David porta un toast et fit des compliments à Mike, lui demandant personnellement de l’aider à gérer la foule le jour du départ. Exactement ce que Cindy voulait. J’étais sidérée par son intuition.

Maya m’approcha pendant ces échanges chaleureux. Elle m’effleurait et me fixait d’une manière qui me rappela l’une de mes camarades de la caserne, avant mon opération… Ce ressenti-là ne trompe pas. Elle me complimenta sur ma musculature. Décidément, elle mange à tous les râteliers, celle-là !

Ce fut enfin l’heure de partir.

En sortant, nous devions rejoindre un chantier non loin de l’usine. Ce fut l’un des moments les plus étranges de ma vie… Un instant qui me fit prendre conscience, fugacement, de ce dans quoi j’avais mis les pieds.

Cindy sortit une capsule de sa mallette. Une camionnette de la ville nous attendait, et juste derrière, se gara un Hummer blindé noir, modèle furtif, avec nos trois motos à l’arrière. Deux conducteurs en descendirent : un homme et une femme vêtus de blanc, comme des techniciens du nucléaire, chargés du noyau de la ville. Mike et moi restions en retrait pendant que Cindy allait à leur rencontre. Le crissement du sable du chantier écrasé sous chacun de leurs pas résonnait au fond de mon crâne, et la lumière artificielle des projecteurs ne m’avait jamais paru aussi sublime… Je n’avais pourtant rien bu… mais leurs mouvements, leur posture…

En les voyant, un frisson de terreur me parcourut la colonne vertébrale. Ils étaient si irréels. C’étaient bel et bien des Snakes, mais très différents de ceux que je connaissais. J’étais cependant incapable de dire en quoi, précisément… Une impression trop étrange, trop angoissante… Je les fixais sans m’en rendre compte; la femme Snake croisa mon regard une seconde avant de repartir, et me glaça le sang.

Je mis dix bonnes minutes à m’en remettre, puis je réalisai :

Mission accomplie ! L’heure de rentrer au bercail.

Dans la voiture, Cindy me fixa à travers le rétroviseur.

— Tu as vu et entendu beaucoup de choses depuis hier, soldat !

Je soutins son regard un moment en retour. Je me fis violence pour ne pas repenser à la tête de Mike entre ses cuisses, et je pus répondre intelligemment :

— Non, madame. Je n’ai rien vu, rien entendu depuis hier. À vrai dire, je ne suis jamais descendue du train.

Cindy était ravie :

— Tu iras loin, recrue.

Je pensai alors : me voilà exactement soumise comme Mike.

Moi qui pensais traverser le désert de nuit… elle nous offrit un dîner et une nuit dans le plus luxueux établissement de la ville. Le même où mes parents avaient passé leur lune de miel.

Après le dîner, elle m’invita au bain-sauna. Mon père, qui avait terminé sa carrière dans les renseignements, m’avait expliqué que c’était un lieu neutre, où l’on gérait les affaires délicates : non habillé, non armé. Donc je savais à quoi m’attendre.

Elle devait connaître mon dossier par cœur. En imaginant mon père traiter ses affaires dans ce même bain, je me rappelai qu’à l’adolescence, j’étais certaine d’une chose : jamais je ne ferais l’armée. Et me voici aujourd’hui, conforme en tout point à mon hérédité — plus loin encore : opérée, encasernée, engagée à vie. Alors que ma sœur, elle, la plus sage et la plus obéissante, est devenue une joyeuse civile.

L’eau brûlante soulageait mes courbatures. Cindy resta trente bonnes minutes sans parler, les yeux fermés. Elle appréciait ce moment de détente.

D’un coup, alors que je m’assoupissais, elle sortit de l’eau et vint s’asseoir à côté de moi. Encore ce parfum si bon, qu’il me faisait presque oublier ce qui était en train de se passer.

Elle commença ainsi :

— Nous n’avons pas eu l’occasion de nous entretenir correctement, toi et moi. En tant qu’officier formateur, je dois t’expliquer la mission en détail avant que tu ne commences à te faire de fausses idées. Pour Mike, je ne sais pas s’il fera partie de l’équipe Kuro. Je suis encore en train de le tester. Mais toi, tu y es déjà. Spider t’a spécifiquement demandée...

J’étais sous le choc. Et tellement heureuse… Ça voulait dire qu’on allait se revoir ! Mais cette joie se transforma presque aussitôt en un nuage sombre lorsque je compris plus en détail la vraie teneur de la mission :

En plus d’assurer le transport de l’ancien noyau nucléaire de la ville, nous devions faire monter une soixantaine d’enfants, sans leurs parents, car « on ne peut pas sauver tout le monde ». La plupart des parents étaient d’accord pour confier leur avenir à L.I.F.E. Drôle de logique… Et franchement, entre ça et les 800 000 personnes qu’on allait laisser en plein chaos, ça commençait à faire beaucoup.

Elle m’observa un moment en train de cogiter, puis reprit finalement :

— Ce n’est pas vraiment la peine de réfléchir ! Si je te dis que tu fais maintenant partie de l’équipe, tu dois exécuter les ordres au mieux de tes capacités. Compris, soldat ?

Je la fixai droit dans les yeux et répondis :

— Bien sûr, madame.

J’étais tellement abasourdie par cette nuit et tout ce que j’avais entendu qu’il m’était impossible d’assimiler tout cela. Mais il était certain que je n’avais plus le choix.

… J’avais anticipé le danger, les blessures, la mort… Mais je n’avais pas anticipé les ordres.

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