EPISODE 24 - PARTIE DE CHASSE (partie 1) (ATHENA)
« Unité arachnide prête… »
Ma conscience était loin en retrait, dans un coin, muette. Je ne pensais plus à rien. C'était comme si j'avais toujours été cette puissance, cette soif de feu. Le visage du vieux De Trafford me hantait et me galvanisait. J'étais prête à tuer. Là, maintenant, c'était ce que je voulais le plus.
Nous montions dans l'ascenseur menant au toit. Alice me fixait, fascinée, incapable de détacher son regard.
Anton apparut derrière elle ; il allait faire un commentaire, mais resta figé — première fois que je le voyais s'engager dans une contemplation.
Arrivés dehors, une voix massive résonna derrière lui :
— Pousse-toi, gamin…
C'était Omega, l'ingénieur en chef des Méchas, colosse à la crête iroquoise. À ses côtés, Nelly, grande blonde musclée, chef artilleuse et tireuse d'élite. Julia les accompagnait silencieusement, en retrait. Leur simple présence imposait le respect. Elle aiguisait notre conscience, nous préparait à cette réalité inconnue.
Anton restait immobile, observant Omega effectuer mes derniers réglages.
— Quoi ? C'est moi que tu observes avec ces yeux doux ? T’as jamais vu un vrai homme ? Eh eh eh ! Omega éclata d’un rire grave, profond, presque animal.
Alice le sentait aussi : cette peur sourde, cette tension électrique, ce calme irréel juste avant la tempête. Ce moment figé, presque sacré, à côté de moi et de ces deux vétérans surgis de nulle part. C'était officiel : on venait d’entrer dans la cour des grands.
Nelly tourna la tête pendant qu’elle sortait son matériel des lourdes mallettes et lui adressa un sourire tranquille. Alice, tout aussi perdue qu’Anton, s’accrocha à cette vision comme à une ancre dans le tumulte. Jamais ils n’avaient vu pareille incarnation de la guerre; ces silhouettes sculptées par la bataille, cette élite dont la peau semblait polie par le feu et le métal. Une patine d’acier courait sur leurs visages, témoin muet des années de survie et de victoires arrachées à la mort. Ils avaient l’allure de dieux anciens, invincibles.
Et cette valkyrie germanique… Sa tresse blonde coulait comme un fil d’or sous la lumière, ses yeux verts perçaient la brume, son corps aux reflets de titane épousait la perfection mécanique de l’arme qu’elle maniait. Alice la regardait, fascinée. Subjuguée. Et terrifiée.
Quelque chose vacilla en elle. Pour la première fois, elle douta. Peut-être qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait, finalement. Peut-être qu’elle n’était pas faite pour ça.
J’aurais tant voulu être là pour la rassurer...
Omega fit rouler son caisson jusqu’à moi. Il brancha des câbles : il fallait tester la stabilité de notre fusion. La phase de stase et de contrôle se termina, puis vint la veille active. Je ressentais une montée d’endorphines sans fin. Les mini-moteurs s'allumèrent un à un, et la machine se leva, prête à l'attaque. Elle bondit, sans élan, tout en haut de cet immense pin.
La forêt semblait endormie. Les silhouettes en exo-combinaisons veillaient, fusils braqués. Rien ne bougeait. Puis, une ombre rouge finit par virevolter derrière les troncs, petite flamme fantomatique, trop rapide, trop rusée. Le premier soldat fut déchiqueté par la fine mâchoire de l'animal robotique. D'autres suivirent. On entendait leurs brefs cris de terreur, et leurs membres volaient dans tous les sens.
— Mais comment fait-il pour trouver ce genre de Mécha ?! C'est le Kitsunebi s’exclama Omega derrière ses jumelles. Je croyais qu’il était encore en phase de prototype !
— Je ne pourrai pas l’avoir, il est trop rapide ! dit Nelly, le nez dans son viseur.
— Évidemment, s’exclama Omega, cette bestiole est précisément conçue pour éviter les attaques à distance et percer les lignes adverses… Mon pari ? Il va nous tomber dessus dans moins d’une minute trente.
— À couvert ! Reculez ! Reculez ! cria Nelly.
La machine, petite et terriblement agile, envoyait des jets de feu d’une rare intensité. Ils faisaient littéralement fondre tout ce qu’ils touchaient ; c’est ce qui la rendait absolument terrifiante.
Les arbres commençaient à tomber, formant des faisceaux incandescents qui brouillaient la vision.
Il continuait à bondir de tronc en tronc, insaisissable.
En un souffle, il réduisit blindés et véhicules en carcasses fumantes. La forêt était désormais en flammes, noyée dans la fumée. On ne distinguait plus rien… Les survivants ne murmuraient plus qu’un mot, terrifiés :
— Le Renard…
Une partie des troupes placées en avant fuyait déjà vers le train, tandis que le Mécha se déplaçait derrière les arbres, furtif, lançant des salves d’une précision glaçante. Il avançait droit sur nous, semant le chaos autour de lui. La peur nous gagnait tous. Comment ne l’avait-on pas vu venir ? En trois minutes, avions-nous déjà tout perdu ?
Gideon convoqua les canons à eau.
Anton tournait la tête dans tous les sens, paniqué. Il voulait fuir, mais chaque fois que son regard croisait Omega ou Nelly, il constatait qu’ils restaient parfaitement calmes. Gideon, imperturbable, ordonnait à tout le monde de garder sa position.
Alice ne put s’empêcher de lui balancer :
— Alors, tu fais moins le malin, hors du simulateur, hein ? Tu peux rentrer à la maison te cacher sous ton lit si tu veux, je te couvre !
— Ta gueule ! dit-il en braquant son fusil, tentant de suivre les mouvements de l’animal.
Anton était hors de lui. Il avait réellement l’intention de fuir à mesure que l’enfer approchait de notre position.
Il finit par rester debout, bien qu’il dût être à couvert, allongé.
— Couche-toi, abruti ! Tu vas nous faire repérer ! Il va cracher son feu pile sur nous !
— Je pense pas qu’il en aura le temps, cria Omega. Tu nous as bien aidés, gamin.
— Quoi ? répondit Anton, interloqué.

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