EPISODE 25 — PARTIE DE CHASSE (Partie 2) 

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— Quoi ? répondit Anton, interloqué. Une pluie de feuilles tomba ; la cime du pin se balança.

- Départ ! hurla Omega.

L’Araignée était tombée sur le Mécha Kitsunebi, formant une prison avec ses pattes. Une boule de feu se forma, une multitude d’explosions éclatèrent ; la machine tournait dans tous les sens, dans un vacarme infernal, tentant de s’échapper. L’Araignée la transperça de part en part avec ses lames, les retira, puis remonta à une vitesse ahurissante au sommet de l’arbre grâce à son câble.

— Nelly ! Deux pylônes, falaise Est : 44 300, et sol Sud-Sud-Ouest : 79 500 ! cria Omega.

Nelly était maintenant installée dans une machine — un lance-missiles ou un harpon, difficile à identifier. On s’attendait tous à voir ces immenses pylônes s’écraser sur la cible. Mais en réalité, elle les avait plantés à distance, bien loin de leur objectif.

Dès qu’ils furent en place, l’Araignée bondit de l’un à l’autre.

Le Mécha Kitsunebi avait déjà subi les dégâts de ses propres explosions en tentant de sortir de la cage. Les lames l’avaient gravement blessé. Le Mécha tentait de survivre ; il était à moitié calciné et boitait. La pluie de feuilles retomba de nouveau.

— 26 ! cria Omega.

On entendit des bruits de câbles se tendre et fuser. Tout le monde leva les yeux vers le ciel, jusqu’à ce que l’Araignée, dans un long saut, atterrisse juste en face du train.

Un gémissement, puis un bruit étrange : celui de la chair d’acier cisaillée du Mécha-renard. L’Araignée l’avait ficelé et, dans un dernier mouvement, avait utilisé les pylônes comme levier pour le découper en morceaux.

C’était ça, le mode opératoire de l’Araignée : une toile, des bonds, une puissance hors du commun, et un Mécha légendaire réduit en pièces.

Je n’avais jamais eu autant de plaisir qu’à ce moment-là, où je pouvais sentir, à distance, ma proie découpée nette en plusieurs morceaux. À quel point j’étais forte, à quel point j’étais insaisissable… Maintenant, je comprenais pleinement pourquoi ce Mécha était tant redouté.

— 21 ! cria Omega.

C’était le nombre de minutes qu’il nous restait. Tant que l’Araignée restait en veille, pas de problème. Mais ses capacités de combat ne pouvaient en aucun cas dépasser les trente minutes, sous peine de dommages cérébraux sévères. Plusieurs Araignées étaient mortes ainsi. Et vu ce qu’elle coûtait, mieux valait ne pas les sacrifier inutilement : les pousser à leur extrême limite était absurde.

— Je pense qu’on en a terminé pour aujourd’hui, déclara Gideon. La perte de cet exceptionnel Mécha Kitsunebi et le fait de croiser une Araignée vont le calmer pour la nuit. Tu vas prendre tes pilules et aller faire un gros dodo, pépé Bison…

— RAC* ! Par trois, déployez-vous !

Les troupes devaient donc former des groupes de trois afin de quadriller le terrain jusqu’à trouver leur point d’attaque, même s’ils étaient partis. C’était comme une reconnaissance, mais après la mission : tout aussi dangereux, voire plus.

Cindy, qui était avec Mike, vint chercher Alice.

— On y va, recrue ! Je prends le nord ! cria-t-elle.

Gideon confirma.

Omega claqua le dos d’Anton avec sa grosse main. Celui-ci fit un bond sous la poigne du colosse.

— Tu viens avec nous, gamin !

Nelly lui claqua la fesse. Anton était dépassé ; il se sentait un peu comme leur petit golden retriever.

— Je l’aime bien, celui-là, dit Omega en le tenant par le cou, le décoiffant. Il a l’air courageux.

— Sûr ! Brave et stupide, comme on les aime, répondit Nelly.

La reconnaissance dura des heures, rythmée par les communications ponctuelles de Gideon.

Cindy retrouva la caisse vide du Kitsunebi et une unité de recharge non utilisée.

— Il est fort probable qu’il ait laissé un drone pour nous observer. Trouve-le, je le détournerai.

Elle avait envoyé Mike plus en amont, en rampant.

La nuit recouvrait la forêt. Elle veillait avec Alice depuis plusieurs heures, allongées dans les feuilles mortes.

Cindy se redressa :

— Je vais passer devant, voir ce qu’il fait.

— J’espère qu’il ne s’est pas fait tuer, répondit Alice.

Une détonation sèche, basse, se fit entendre. De la fumée s’échappa de la bouche même qui venait de prononcer ces mots.

Cindy, debout derrière elle, rangea son arme, saisit le corps très rapidement pour le préparer, dans la pénombre de la nuit.

Elle lui enfila une combinaison et un casque récupérés sur un cadavre ennemi, puis l’allongea sur le ventre avec une arme, comme si un adversaire avait pris position là, guettant les arrivants. Après s’être badigeonné le visage du sang d’Alice, elle courut furtivement jusqu’à Mike, qui sursauta.

— Viens là, dépêche-toi !

— Qu-quoi ?

— Chut, fit-elle en plaçant sa main sur sa bouche. Nous avons été touchés, Alice est blessée et j’ai perdu mon arme. Suis-moi, vite !

Ils coururent dans la forêt.

— Stop, dit Cindy à Mike.

Elle se plaça derrière lui. Il était à genoux, en position de tir. Elle se colla à lui. Il sentit cette chaleur douce qui ne manqua pas de le distraire.

Cindy, parfaitement consciente de cette proximité, lui souffla à l’oreille de tirer encore et encore sur ce casque et cette combinaison, jusqu’à ce qu’il n’en reste littéralement que de la bouillie.

— Beau travail, soldat… Essaie de voir s’il a quelque chose sur lui qui pourrait nous aider.

Mike, revigoré par ce contact et son rôle de sauveur héroïque, courut vers le corps avec enthousiasme. Il commença à le fouiller avec zèle… jusqu’à ce qu’il constate que quelque chose clochait. Cette combinaison… c’était celle des KURO. Il eut un sursaut en découvrant que c’était le corps d’une femme. Mais il n’eut pas le temps de réfléchir : Cindy était déjà derrière lui.

— Mon Dieu, qu’est-ce que tu as fait ? Pourquoi ? Tu as tué Alice !

Mike regardait le tronc explosé, dégoulinant de sang, tandis que Cindy répétait :

— Tu as tué Alice… tu as tué Alice…

La phrase s’imprima immédiatement dans son esprit. Mike, hypnotisé, répéta :

— J’ai tué Alice… J’ai tué Alice… Oh mon Dieu, j’ai tué Alice…

Il se mit à genoux et commença à répéter cette phrase encore et encore, en se frappant la tête contre le sol. Quand la phrase eut bien pris racine, Cindy ramassa tranquillement ce qu’il restait de la combinaison et du casque, qu’elle alla cacher dans un coin.

Elle savait que Gideon approchait, à la vitesse d’un serpent. Lorsqu’il arriva, il fit de gros yeux, surpris , une expression rare sur son visage.

— Qu’est-ce que t’as fait, sorcière ! s’exclama-t-il.

Cindy s’approcha de lui, insolente :

— Ton petit frère est foutu. Il vient d’éclater Alice devant moi, pensant que c’était l’ennemie, l’imbécile. C’est la cour martiale pour ça. J’espère que tu pourras lui éviter l’exécution… Le Maître n’aime pas qu’on lui tue ses bébés…

Gideon resta figé. Mike finit par s’écrouler, à force de se frapper la tête contre le sol.

Cindy était déjà loin.

À mesure qu’elle s’éloignait, elle se remémorait la réprimande de son Maître :

"Tu délègues à n’importe qui, petite idiote ! Si le mot se sait que le train emporte les enfants, on n’en trouvera pas un seul à la prochaine station ! Tu peux comprendre ça ? C’est notre matière première , l’essence même du projet , et toi, avec toutes tes capacités, tu es capable de conneries pareilles ! Tout ça pour baisouiller avec ce petit con… Tu vois ce que tu as fait ?!"

Jamais plus elle ne commettrait cette erreur.

Puis elle se revoyait, allongée dans les feuilles, chuchotant à l’oreille d’Alice :

— Donc, vous êtes au courant pour les enfants, soldat ?

Alice fut prise par surprise ; son cœur fit un bond. Elle se figea, ne répondit rien.

Cindy scrutait son visage, cherchait ses yeux. Alice finit par la regarder en face.

Alors Cindy tendit la main et lui caressa la joue.

— Que s’est-il passé avec Mike ? Pourquoi s’est-il mis dans cet état ?

— Ça ne marche pas avec moi, répondit Alice effrontément. Je suis douée pour résister.

— Tant mieux pour toi, répondit Cindy calmement. Je suis sûre que ça te sera utile…

Elle s’était rapprochée encore et lui souffla alors, d’une voix lascive, comme à un amant :

— Dis-moi juste ce que tu veux...

Alice se reprit, piquée par son ambition. Elle repoussa la main de Cindy.

— Je sais tout et je n’ai pas peur de vous. Et j’ai déjà fait mon rapport. Cette unité n’est qu’une étape pour moi. Je la quitterai dès que possible, trancha-t-elle.

Cindy resta silencieuse, mais ne la lâcha pas du regard. Elles se fixèrent ainsi un long moment. Alice, ne sachant plus comment réagir, était prête à tirer...

Puis Cindy relâcha la tension, se remit à observer l’horizon, et dit :

— Écoute. Tu vas bien réfléchir et me dire ce que tu veux. S’il s’agit d’un échange, il n’y a aucun problème. C’est monnaie courante dans l’armée. Simplement, je ne pourrai le faire qu’une fois, et tu ne pourras pas revenir là-dessus. Alors prends au moins le temps de bien y penser.

Alice, surprise par cette réaction, avait les larmes aux yeux. Elle se disait en elle-même : Je suis trop stupide, je n’ai rien compris. C’est une vraie supérieure, elle écoute et ne veut que mon bien...

Elle se sentait apaisée, baignée dans cette odeur maternelle qu’elle ne remarquait même plus. Elle se laissait maintenant aller.

Cindy se redressa :

— Je vais passer devant, voir ce qu’il fait.

— J’espère qu’il ne s’est pas fait tuer, répondit Alice.

*Reconnaissance après contact : ratissage post-assaut.

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