EPISODE 27 : WAGON TERMINAL (Partie 2)

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« Faites ce que vous voulez des autres, tant que moi j’y rentre… » Voilà ce qu’était l’avis général.

Alors, le commissaire s’enhardit. Depuis la veille, il avait mis en place sa routine de dissuasion spectaculaire : il déshabillait les resquilleurs et les balançait contre les rails électrifiés du train. Il était fier de sa trouvaille : ils ne pouvaient pas crier et se tortillaient lentement, indéfiniment. C’était terrible à voir.

Anton s’était déjà absenté deux fois pour aller vomir discrètement.

David s’adressa à la foule :

— S’il vous plaît, prenez le temps de regarder ça…

Il pointa un écran géant, comme ceux des stades. On y voyait les corps nus d’une quarantaine de resquilleurs, collés aux rails, convulsant doucement… Une vision d’horreur absolue. On ne savait pas si c’était le courant qui les faisait bouger ou s’ils remuaient encore d’eux‑mêmes. Certains étaient déjà morts des suites des coups reçus ou de leur chute depuis la balustrade.

David baissa son mégaphone, tout frétillant :

— Putain, j’adore ce job !

Elisabeth ne voyait pas tout.

— Mais qu’est-ce qu’ils font ? chuchota-t-elle, affolée. Josh la prit dans ses bras et la serra fort, ainsi que Rebecca.

L’ambiance se transforma radicalement. Josh, Elisabeth et Paula commençaient à se demander ce qu’ils faisaient là. Était-ce vraiment nécessaire ?

Un vieil homme maigre se leva au fond de la salle : longue barbe grise, casquette rouge, polo délavé. Il monta sur un bloc d’aération et pointa David du doigt :

— Vous n’avez pas le droit de faire ça ! On a des droits ! Vous n’avez pas le droit de traiter les gens de cette façon !

David répondit, gonflé d’assurance :

— j’en ai le droit, et c’est même nécessaire. Parmi vous, la moitié sont des chiens sans ticket, et ce train appartient à la société LIFE , une entreprise privée ! Qui, d’ailleurs, a sauvé vos petites vies ainsi que votre lâche gouvernement plus d’une fois…

Il fit une longue pause. Le dissident avait déjà été emmené par les soldats.

— Par conséquent, nous décidons de qui monte et de qui ne monte pas dans ce train.

Il se retourna, fit quelques pas, bouffi d’importance, comme un chef d’État. Dans ce hall, son pouvoir était absolu. Puis il revint face à la foule.

— J’ai reçu l’ordre d’appliquer une tolérance zéro concernant les fraudes ! Personne — vous entendez, personne — ne prendra une place qui ne lui a pas été attribuée, sous peine de mort. Si quelqu’un n’est pas d’accord, il peut donner son ticket : je vous rappelle qu’ils ne sont pas nominatifs…

Elisabeth commença à pleurer. Rebecca aussi. Un silence de mort s’imposa ; les soldats faisaient avancer la file.

Au bout d’une heure, ce fut au tour d’Elisabeth, Josh et Rebecca de monter les escaliers de métal noir : un long échafaudage d’une dizaine de mètres pour atteindre la porte n°3 du 19ᵉ wagon du Scolopendre.

Josh sortit les tickets et les tendit au militaire, qui se tourna vers sa borne de vérification. David se tenait à sa droite, légèrement en retrait ; Anton occupait l’autre flanc, accompagné de trois hommes armés.
La borne émit un bip sec. La lumière rouge clignota une fois, deux fois… puis vira au vert.

Seul le billet de Rebecca était valide. Les deux autres étaient des faux.

David baissa la tête : il avait remarqué que ces trois‑là n’avaient pas l’air des fraudeurs lambda. Mais après dix-neuf heures de contrôle, il fonctionnait mécaniquement. L’air désolé, il ressemblait à un directeur réprimandant un élève pour la centième fois.

— Franchement, je ne comprends pas comment vous réfléchissez… Après tant d’avertissements, vous êtes là, vous essayez encore ! dit-il, dépité.

Puis il fit un signe au militaire.

Josh commença à parler, mais personne ne l’écoutait. David discutait avec le militaire, dos tourné. Puis celui-ci se retourna calmement, s’approcha de Josh et lui donna un coup de crosse dans la bouche. La mâchoire se brisa. Le sang jaillit aussitôt.

Elisabeth hurlait tandis que les militaires s’emparaient d’elle et commençaient à lui arracher ses vêtements. Anton, paniqué, tournait la tête de gauche à droite :

— Mais monsieur, elle est enceinte !

David répondit, accoudé à la rambarde :

— Tu la mettras toi-même sur les rails alors.

Anton resta un instant bouche bée. Il se souvint de ce que son oncle disait : « Ce n’est pas le plus fort qui gagne, c’est le plus méchant. » Cette phrase le percuta à cet instant précis, parce qu’il venait enfin d’en comprendre le sens profond. Il baissa la tête et regarda la petite Rebecca, tétanisée, immobile, fixant l’entrée du train.

Elle disait doucement :

— Maman… on peut y aller maintenant ?

Anton rassemblait toutes ses forces pour ne pas craquer ; il était pris d'un étrange vertige, mêlé de rage. Il demanda froidement :

— Qu’est-ce qu’on fait de la petite ?

David se redressa, furieux. Tout en rouant Josh de coups de pied, il cria :

— C’est pourtant pas compliqué ! La petite a son pass : vous la faites rentrer. Et ceux-là, vous les jetez !

Josh était inconscient depuis longtemps quand David, d’un coup de pied, le poussa dans le vide. Le corps tomba de dix mètres et s’écrasa sur les rails.

Il se retourna ensuite et fit signe à ses hommes d’emmener Elisabeth. Elle ne disait plus rien, mais tenait encore debout. Un soldat lui donna un coup de crosse dans le dos, qui lui coupa le souffle puis un autre à l’arrière du crâne : la fracture fut nette.

Ils la traînèrent par les bras et la jetèrent depuis l’échafaudage. Elle s’écrasa en bas.

La foule ne voyait rien directement, mais suivait la scène sur l’écran géant.

Anton, tremblant, prit la petite Rebecca, remit le billet dans sa main et la confia à une hôtesse qui lui souriait, dans le lobby luxueux — moquette rouge, lumières chaudes. Elles attendaient, sans comprendre ce qui se passait réellement. Devant elles, deux gardes armés restaient immobiles.

L’officier, en haut du premier escalier de la passerelle, fit signe :

— Au suivant !

Paula était à genoux. Elle voyait de loin le visage ensanglanté de Josh sur la voie. Celui‑ci avait repris partiellement connaissance. Il ne savait pas que le corps derrière lui était celui d’Elisabeth, disloqué par la chute.Cette même chute l’avait réveillé . Les yeux ouverts, il fixait Paula sous l’échafaudage. Paula étouffait presque Natasha dans ses bras — elle ne voulait pas qu’elle voie. Elle ne voulait pas qu’elle sache.

Josh, brisé, tentait encore de comprendre. Puis il se souvint :

"Dis à Paula de faire attention aux faux billets."

…Faux billets… faux billets…

La pensée tournait en boucle dans son esprit. En fixant son visage, il se replongea dans le souvenir des yeux clairs de Paula ; il se rappela cet éclat particulier qu’ils avaient eu lorsqu’elle lui avait touché le visage.

La mâchoire brisée, il s’imaginait parler, mais rien ne bougeait. Aucun son ne sortait, juste un souffle ténu vacillait au fond de sa gorge :

— Les toilettes… C’est toi qui m’as assommé… C’est toi qui as échangé les billets…

Ses paupières se fermèrent à moitié. Il la fixait encore. Alors qu’il perdait progressivement connaissance, il répétait :

— C’est ta fille maintenant…

Paula se redressa sous la pression des soldats. Elle soutenait Natasha, hagarde. En passant devant l’hôtesse, elle dit simplement :

— Merci.

et saisit la main de Rebecca.

Elles marchaient toutes les trois dans le couloir : Natasha titubant, Rebecca tirée par la main, les yeux perdus dans le vide.

Tard dans la nuit, les portes se fermèrent automatiquement. Les vingt-quatre heures étaient écoulées.

Le colosse vrombissait. Lentement, il s’engagea sur son macabre sillon : il poussait les corps, tranchait la chair et les os, puis poursuivit sa route. Le Scolopendre noir avait fait son office, selon la volonté de Bryan DeTrafford. Il quitta la station, puis la ville.

Fin du Volume 1

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