Là-bas au Fond du Couloir

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Quelques jours plus tard, Julie était de nouveau sur pieds. Ses camarades avaient appris qu'elle avait un vrai prénom et ne cessait de l'appeler ainsi. Ça lui plaisait bien. Cependant, personne n'était réellement d'humeur joyeuse. Une semaine après l'affrontement, on organisa une cérémonie funéraire en l'honneur des « Héros de Panaam ». À l'entrée de la salle commune, elle regarda la liste des défunts qui avait perdu la vie pour la survie commune. Vingt noms étaient écrits. Parmi eux, des élèves de dix à dix-sept ans. Cinq qu'elle avait entraînés, un élève de sa classe, deux professeurs et d'autres noms qu'elle ne connaissait pas. Elle aurait aimé les connaître, pouvoir leur rendre hommage, garder le souvenir de leur passage sur terre. Elle nota les vingt noms dans sa tête et se jura de s'en souvenir.

Parmi ces noms, elle vit qu'on comptait Monsieur Fidz. L'infirmière lui avait expliqué, quand elle lui avait demandé comment il allait, qu'il avait voulu se battre, malgré ses blessures pas encore totalement remises. Il s'était fait tué tard dans les combats, à cause de son épuisement.

Quelqu'un appela chacun à s'avancer près d'une estrade en bois. Tour à tour, les personnes les plus proches des défunts prononcèrent leur discours funéraire. Les larmes ravageaient chaque visage de l'assemblée. Des gouttes amères filaient le long des joues rougies de Julie. Ils pleuraient parce qu'ils avaient perdus des êtres chers. Ils pleuraient parce qu'ils avaient perdus des amis. Mais surtout parce qu'ils avaient perdus des membres de leur famille, la grande famille unie de Panaam. Tous aidèrent à enterrer leur frère ou leur sœur perdu, au fond du stade de sport. On érigea une stèle en leur honneur. Pendant le repas, le silence n'était coupé que par les sanglots et les larmes salées creusaient les joues de tous.

À la fin de la journée, les langues commencèrent à se délier. Tout le monde restait dans la salle commune, comme ayant peur de se retrouver seul de nouveau. Ju erra entre les groupes d'élèves qui se faisaient et se défaisaient sans cesse. Elle apperçut un garçon aux cheveux noir de jais. Le même qui l'avait bousculé dans un couloir, le même qu'elle avait vus se battre avec tant de précision avant l'attaque. Elle chercha au fin fond de son esprit, son visage qui lui semblait si familier, et pourtant si lointain.

Un souvenir remonta à la surface. Son petit frère, à l'âge de deux ans, lui souriant à s'en décrocher la mâchoire. Et ses grands yeux verts rayonnant. Elle entendit une voix de petite fille résonner dans sa tête : « Léo ! Léo, où es-tu ? » appelait-elle.

Elle se dirigea vers le jeune garçon en traversant la salle de bout à autre. Elle s'approcha de lui et appela son prénom avec douceur. Il se retourna vers elle. Son œil droit était toujours de ce vert si pur et si profond qu'elle connaissait bien. Son œil gauche, quant à lui, avait la même couleur que son œil droit à elle. C'était définitivement bien son frère. Elle sentit que sa mèche rebelle était retombée devant son œil sans qu'elle le remarque.

  • Heu, excuse moi mais... on se connait, demanda-t-il, semblant perplexe.

Elle hocha la tête. Des larmes de joie commencèrent à ruisseler sur ses joues encore rouges.

  • Tu vois, tu l'a fait pleurée, ironisa un de ses camarades.
  • Ça va, demanda-t-il, visiblement inquiet.
  • Oui, tout va pour le mieux.

Elle sourit faiblement.

  • Et tu es… ?
  • Julie.

Il la regarda fixement, comme s'il cherchait à remettre un nom connu sur ce visage en face de lui. Puis son regard s'éclaira.

  • Julie ? C'est... c'est vraiment toi ?
  • Oui, dit-elle avec un sourire bien visible cette fois.
  • Tu... tu es ma sœur ? Je... je ne pensais pas... que je te reverrais un jour. Je n'osais plus espérer.
  • Je suis là maintenant.

Elle écarta les bras avec un regard doux et protecteur. Il la prit contre elle et éclata en sanglots. Elle resserra sa prise autour de lui et pleura sur son épaule. Ce soir-là, ils pleuraient de joie.

Au fond de la salle, Morg observaient les jeunes réunis dans la salle. Tous étaient encore sous le choc, c'était évident, mais ils semblaient emplis d'une envie de continuer encore plus forte qu'avant, comme si la mort de leur camarade avait anihiler tout doute et remplacé par cette détermination de vivre. Il porta son regard sur la brunette dont les secrets l'avaient laissé si longtemps interrogatif. Elle parlait à un jeune garçon aux cheveux noirs. Puis ils se serrèrent dans les bras l'un de l'autre.

  • Un peu de joie dans cette triste journée, fit une voix derrière lui.

Il se retourna et dévisagea l'infirmière, qui avait troqué son éternelle blouse blanche pour une tenue plus décontractée et noire en l'honneur des défunts.

  • Oui, je pense que c'est ce dont le monde a le plus besoin en ces temps troublés, répondit-il
  • C'est son frère, expliqua-t-elle, quand il est arrivé, il a demandé à tous les adultes si sa sœur était là. Bien sûr, aucun d'eux n'a su répondre.
  • Pourquoi ne lui avez vous rien dit quand vous avez réalisé ?
  • Ce n'était pas à moi de le faire.

Il tourna les yeux vers la famille à nouveau réunie. Cette journée serait peut-être pas que mort et désolation, au final. Il vit la femme à ses côtés sourire. Il fit de même.

Après s'être remis de leurs émotions, le frère et la sœur discutèrent de tout ce qui leur était arrivé pendant qu'ils étaient séparés. Elle lui raconta comment elle était arrivée au camp, comment elle y avait grandi, et surtout tous ces problèmes qui l'avaient submergée dernièrement. Il écouta attentivement, semblant essayer de connaître aussi bien qu'il l'aurait dû son unique famille.

Lui aussi lui raconta son histoire. Quand les Créatures l'avaient attrapé et emmené jusque dans la ville pour le tuer. Quand il avait réuni ses dernières forces pour frapper la Créature dans la nuque pour s'enfuir. Quand il avait erré dans le désert brûlant, exténué et déshydraté. Quand il avait rencontré dans les Ruines les deux hommes qui avaient aidé sa sœur sans qu'il ne puisse le savoir. Et ces longues années pendant lesquelles il avait vécu avec eux et traversé des centaines de kilomètres pour survivre. Il leur fallait toujours changer de cachette ou les Créatures les retrouveraient. Puis quand il avait eu onze ans et qu'il était capable de se débrouiller, les deux hommes qui avaient pris soin de lui lui avait montré le chemin pour Panaam en lui disant que son futur était là-bas. Il avait passé deux années comme jamais auparavant au complexe, emplies de joie, de vie et de personnes tellement différentes et pourtant tellement similaires. Quand il avait fallu se battre, il n'avait pas eu peur : il avait déjà échapper à la mort onze ans auparavant. Pourquoi pas de nouveau ? Jusqu'à ce jour, lui avait-il avoué, il doutait sérieusement que sa grande sœur ait survécu.

Ils discutèrent pendant plusieurs heures. Ils parlèrent de leur vie, de leur camarades, de comment ils avaient grandi, de leur œil aussi. De temps en temps, quelqu'un venait les voir et leur demandait s'ils se connaissaient depuis longtemps ou venait dire bonjour à l'un d'eux. Étrangement, Julie avait l'impression qu'il lui manquait quelque chose lorsqu'elle parlait. Elle finit par se rendre compte qu'elle n'avait plus besoin de retenir une quelconque onde de force en elle, comme si celle-ci avait disparu de son corps. Pendant toute la soirée, elle et son frère sourirent. Malgré la tristesse, ils sourirent. Tard dans la nuit, alors que la salle se vidait de plus en plus, Léo lui demanda :

  • Mais que va-t-il se passer maintenant ?

Elle réfléchit un instant, avant de répondre :

  • Je ne sais pas. Mais peu importe après tout, non ?

Il la regarda, surpris.

  • Après tout, nous sommes tous unis et prêts à nous défendre les uns les autres maintenant. Nous gagneront chaque fois que ce sera nécessaire. Et puis, nous sommes une famille désormais, une gigantesque famille.

Il sourit, ému, et hocha la tête. Elle avait raison, ils faisaient tous partie de la même famille. Ils étaient tous du même côté du champs de bataille. Et s'ils devaient se battre de nouveau, s'ils devaient retourner au bout du couloir, chacun se souviendrait de ses amis perdus et viendrait en aide à tous ceux qui en auraient besoin. Oui, c'était ça, être une famille. Il la regarda droit dans les yeux. Ils levèrent les yeux au ciel, vers ce plafond de pierre, et ensemble, ils sourirent face à l'adversité.

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