Datalangue
Ju prit le chemin de sa chambre, chambre qu'elle avait réintégrée la veille au soir. Elle savait que ce simple petit mot avait sûrement blessé l'homme plus que n'importe quelle injure. Mais elle lui devait bien ça. Elle ouvrit sa porte et s'assit sur son lit. Sa jambe lui faisait encore mal, mais c'était surtout son ventre qui la brûlait. Elle attrapa un pot de crème et étala sur les deux plaies l'onguent que lui avait fourni l'infirmière. Elle s'allongea ensuite et en profita pour penser un peu.
Elle ne savait pas trop comment prendre les réactions de ses camarades. Étaient-ils sincères ? Ou profitaient-ils simplement de ses exploits comme des excuses pour l'approcher, elle, le monstre. Oui, elle avait un œil de Créature. Tous les élèves d'ici en avait déjà vu au moins une en vrai, et sûrement en train d'essayer de les tuer eux, leur famille ou leur complexe. Alors c'était normal qu'ils aient eu peur en reconnaissant la couleur que tous détestaient tant.
La pommade commençait à faire effet. Elle sentit ses blessures qui lui faisait moins mal. Elle se détendit enfin. À ça s'ajouta la fatigue des jours passés à courir et la fièvre dont elle recouvrait lentement. Elle s'endormit toute habillée, plongeant dans un sommeil des plus profonds.
Lorsqu'elle se réveilla, Ju découvrit avec joie que sa jambe ne la brûlait plus autant que la veille. Elle ne la brûlai presque plus à vrai dire. Elle s'étonna elle-même des capacités de récupération de son corps. En se préparant, elle eut le préssentiment que cette journée serait une bonne journée. Elle se rendit en cours et découvrit que la leçon de ce matin-là porterait sur la langue des Créatures.
- Bonjour à tous, lança son professeur en traversant la salle vers son estrade, aujourd'hui nous allons étudier les bases fondamentales de la langue des Créatures, plus communément appelée Datalangue. Je suppose que vous vous êtes déjà demandé au moins une fois d'où venait ce nom. L'explication est très simple. Les Créatures sont connues pour leurs capacités mémorielles presque infaillible, et donc leur mémoire des différentes données. D'où le mot 'Data' qui signifie 'données' en anglais. Je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer d'où vient le 'langue' à la fin du mot. Bien, sachez tout d'abord que la langue des Créature est basée sur une suite logique des sons qui forme des mots et des phrases, comme à peu près toutes les langues du globe. Les sons sont cependant très différents des notres et donc assez difficiles à reproduire. Peu d'êtres humains sont capables de suivre une conversation en Datalangue.
Il continua ainsi pendant deux longues heures, expliquant les caractéristiques de la langue, et faisant répéter chaque son à ses élèves, sans cependant parvenir à un résultat satisfaisant. Ju, en entendant leurs médiocres essais, se demanda si le professeur parlait réellement le Datalangue.
- Bien, je n'ai appris cette langue qu'il y a quelques années. Mon accent est donc loin d'être irréprochable, s'excusa-t-il, y a-t-il quelqu'un ici qui soit capable de parler le Datalangue couramment et qui ait un accent naturel ?
S'étonnant elle-même de son courage, Ju leva la main. Griner ouvrit des yeux surpris, avant de sourire. Elle remarqua qu'elle était la seule à avoir le doigt haut. Ses camarades la regardaient avec surprise ou peur, comme si cela confirmait le fait qu'elle soit anormale. Son secret était révélé après tout. Elle ne cachait même plus son œil. Alors pourquoi ne pas leur apprendre ce qu'elle savait, même si cela la rendait encore plus étrange ou effrayante aux yeux des autres ?
- Penses-tu être capable de nous faire une petite démonstration, demanda-t-il avec un sous-entendu qu'elle seule comprit
Elle s'apprêtait à envoyer ses pensées à toutes la classe lorsqu'elle vit un garçon se lever.
- Oui, Aaron, tu as un problème, interrogea le professeur
- Je veux juste lui dire quelque chose, répondit le dénommé Aaron
Elle se rendit compte que c'était le fanfaron qui se moquait d'elle dès qu'il en avait l'occasion. Elle sentait que ça allait mal tourner...
- Voilà, je voulais te demander pourquoi tu ne parlais pas, expliqua-t-il
Elle le regarda fixement, surprise par cette demande inattendue.
- Tu sais, c'est pas grave si ta voix est pas très jolie ou cassée ou quoi que ce soit dans le genre. On se moquera pas de toi. On sait que tu as d'autres soucis en ce moment. Et nous aussi. C'est vrai qu'on est assez gamins, mais on veut pas être méchants, tu sais. Alors voilà, je voulais m'excuser pour tout ce que j'ai pu te faire depuis qu'on s'est connus. Je ne te dis pas ça juste parce que je pense qu'une déclaration publique rendra la chose plus facile à pardonner. Je ne sais même pas si j'ai envie que tu me pardonnes en fait. Mais je veux que tu saches que je suis désolé, et je te dis ces mots de la part de toute la classe. Nous sommes infiniment désolés !
Il s'inclina en prononçant ses derniers mots. Puis il se rassit. Ju était touchée. Oui, il lui avait fait toutes les mauvaises blagues possibles et imaginables. Non, elle ne l'aimait pas franchement. Mais c'était un bon garçon. Et ses excuses avaient atteint son cœur.
Elle ne savait toujours pas si ce n'était pas trop dangereux. Après tout, cela mettrait en danger tout le monde, elle y compris. Mais de toute façon, ce n'est pas comme ça qu'elle progresserait. Si elle voulait grandir, s'affirmer, évoluer, elle devait faire face au danger. Aaron avait fait face au danger en lui disant clairement ce qu'il pensait en présence de tous. Pourquoi ne prendrait-elle pas de risques, restant cachée pour l'éternité, et refusant de contre-attaquer ? Elle fit son choix.
Ju ouvrit la bouche et se mit à parler le Datalangue. Sa voix était brisée par toutes ces années sans parler, mais toujours aussi mélodieuse. Elle parla de toutes les choses qu'ils avaient vues, répéta les sons encore et encore. Et elle retint en elle l'onde qui tentait de sortir de sa coquille. Quand elle eut finit, elle se rassit sur sa chaise sous un tonnerre d'applaudissements.
Elle regarda son professeur, tout sourire, et lui sourit en retour. Depuis quand n'avait-elle pas sourit comme ça ? La cloche sonna la fin des cours. Et elle souriait encore quand elle atteint sa chambre. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait réellement heureuse. Son cœur était chaud, ses lèvres refusaient de retomber. Elle sourit en prenant son déjeuner. Toute cette joie réchauffait son cœur, trop longtemps gardé de toute émotion positive, entouré par la glace qu'elle avait elle-même appliquée autour.
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