Chapitre 2 - 1

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Bahamas 1718 - ( 13 ans plus tard )

Un rayon de lumière traversait la vitre. Impudique, il imprégnait l’atmosphère de sa chaude caresse de velours fauve et dévoilait la moindre parcelle de poussière, stagnante et dansante, de la petite boutique d’apothicaire. Chaque particule virevoltait au gré d’un souffle ou du plus infime et rare courant d’air. Bekhy Barnes en faisait une chasse quotidienne. Mais à quoi bon lorsque l’on vit sur une île jalonnée de sable en proie aux quatre vents ?

Elle empaqueta minutieusement la commande spéciale sur son rutilent comptoir en bois et le tendit à sa cliente, accompagnée d’un sourire plus sincère que commercial :

— Et voilà pour vous, Madame Carlyle, un petit mélange d’herbes de mon cru. Pas plus de deux infusions par jour aux risques de constater des effets inverses ou indésirables.

— J’en prends bonne note, merci, tu es un ange, fit la vieille dame au visage tanné par le soleil et le vent.

Elle récupéra le petit sac en tissu ficelé par un cordon violet et le dissimula rapidement sous ses fripes avant de le lui échanger pour quelques pièces :

— Et n’oublie pas, c’est notre petit secret.

— Croix de bois, croix de fer. Votre mari n’y verra que du feu. Il pensera avoir retrouvé sa jeunesse et sa vigueur d’autrefois.

— C’est parfait (elle lui lança un clin d’œil entendu). À la semaine prochaine.

— Oui, à la semaine prochaine, Madame Carlyle.

Une fois seule dans sa petite échoppe, Bekhy put souffler un peu. Elle extirpa de sa poche un mouchoir en tissu brodé et s’épongea le front et le cou. Son décolleté était orné d’un pendentif en forme de clé, celui-là même qui ne l’avait plus jamais quittée depuis cette fameuse découverte à la falaise avec son frère.

Elle regagna l’arrière-boutique pour préparer d’autres commandes. Ces temps-ci, son commerce marchait plutôt bien. C’était encore mieux pendant les jours de canicule et en période d’épidémie mais depuis près de deux mois, elle ne pouvait pas se plaindre. Le bouche-à-oreille avait fait son petit bonhomme de chemin et la réputation de sa boutique d’herboriste battait son plein. Même si la clientèle se composait en majeure partie de femmes, quelques hommes s’y faufilaient pour permettre à leur couple de retrouver le regain des premiers jours ou de trouver de quoi attirer la demoiselle tant convoitée dans leurs filets. Malheureusement, cela n’empêchait pas les médisances de certains ni le dénigrement de son travail par d’autres une fois leur dos tourné. D’ailleurs, c’était eux les premiers à acheter le plus ainsi qu’à essayer toutes les nouveautés proposées.

Bekhy n’était pas magicienne, elle avait appris le potentiel de la nature, ses bienfaits tout autant que ses poisons sur le corps et l’esprit, auprès de sa mère. Elle proposait énormément de produits : herbes médicinales, décoctions, emplâtres, baumes, ou simplement parfums et huiles de sa propre confection. C’était plus qu’un métier, c’était sa passion depuis toujours. Elle aidait les habitants de l’île à sa manière.

Les rubans colorés à l’entrée de sa boutique laissèrent filtrer une silhouette qui amena dans son sillage les odeurs de la mer et surtout de ses poissons. Agressé, le nez de Bekhy se retroussa.

— Hé sœurette, poissons frais pour le déjeuner !

Il brandit devant elle quelques beaux spécimens de sa pêche. Elle fit un pas de côté pour ne pas avoir à répondre à une tête pleine d’écailles mais bel et bien à celle de son frère.

— Tu es rentré plus tôt aujourd’hui.

— On a été chanceux. J’ai pu garder les deux plus gros en gagnant un pari contre Ernst. Le reste, c’est lui qui s’y colle pour les vendre au marché de la plage. Je vais aller les préparer. Tu rentres pour manger avec maman et moi ?

— Madame Neil doit passer sous peu retirer sa commande mais je serai des vôtres. Préviens maman de mon retard.

— Très bien, dans ce cas je…

Soudain, un brouhaha monta depuis la rue. L’agitation était à son comble. Des voix grimpèrent d’un ton et leur parvinrent depuis la plage. Le frère et la sœur échangèrent un regard inquiet.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en suivant Ethan à l’extérieur.

Quelqu’un la bouscula à sa sortie. Il maronnait des injures et ne s’arrêta pas pour s’excuser. Bekhy soupira face à ce grossier personnage avant de mettre sa main en visière. De son échoppe, elle avait vue sur le port en contre bas car la rue était longue et droite jusqu’à la mer.

— Tu as remarqué quelque chose à ton retour ? interrogea-t-elle.

— Un navire ancré au large. J’étais trop loin pour voir le pavillon et ma longue-vue est cassée.

— Des marchands ?

— Quelque chose me dit que c’est autre chose.

Très vite, les nouvelles furent colportées le long de la rue telle une bourrasque. Une voix s’écria :

— Des pirates, c’est des pirates !

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