Exhumation - 3

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— Ce n'était pas un abstract ! explosa quelqu'un tout devant. Je me redressai pour mieux l'apercevoir, mais je ne vis que son dos. Elle continua : J'en suis certaine ! J'ai incarné ton ennemi, Arun ! Et cet homme — celui que tu appelles "boucher", Harmonie — s'est avancé vers moi, j'ai vu ses yeux...

Mais qui est cette fille ? J'connais sa voix, c'est pas une nouvelle et elle semble connaitre Arun, vu sa façon de lui parler.

« Il a même essayé de me faire sortir de mon personnage en me bravant, aucun abstract n'aurait fait ça ! Il faut retrouver cette personne, elle a voulu saboter la simulation !

C'est Inna, très énervée, qui se tourna finalement vers la salle. Je ne l'avais jamais vue aussi remontée (c'est peut-être pour ça que je ne l'avais pas reconnue), elle inspectait chacun comme si elle était un scanner vivant qui lirait dans nos yeux notre culpabilité.

Le terrain de la salle de débriefing numéro dix semblait aussi marécageux que le champ de bataille. S'y casser la gueule était hautement probable, monter à l'assaut y était tout aussi obligatoire que dangereux et faire du sur-place m'assurait de me faire piétiner. Alors que faire ? Oblique, je lançai :

— J'ai une question !

Inna, Valkyrie à ses heures, m'envoya de ses yeux les foudres d’Odin. Mon air innocent me servit de bouclier. J'étais déjà apparu comme un monstre sur le champ de bataille, je ne voulais pas que la scène se reproduise ici.

Les examinateurs me donnèrent la parole sans égard pour la viking fulminante. Je reconnu au passage ce même regard vengeur que j'avais saisis dans les pupilles du nobliau. Il était étrange de retrouver les traits des gens que l'on connaissait dans la simulation. Si on identifiait facilement qui était des nôtres, retrouver de quelle personne il s'agissait relevait de la gageure. Par contre, il m'arrivait souvent de reconnaitre mes camarades après notre sortie. On se tapait alors dans le dos en se disant "Non ? c'était toi ?!" — Sauf qu'ici je ne voulais pas être reconnu ! Détournant l'attention, j'annonçai « Les odeurs sont apparues ! (Comme si c'était un scoop) Mais la simulation s'en trouve alourdie, j'ai aperçu des anomalies sur le champ de bataille (au moins un petit coup de vérité, pour noyer le poisson). Mais ma question est la suivante : Avez-vous demandé à l'IA d'intégrer le champ olfactif ou bien l'a-t-elle fait d'initiative ? Aussi, comment a-t-elle fait ?

Les preneurs de notes professionnels n'avaient bien entendu aucune réponse, mais je ne m'adressais pas à eux, les véritables savants étaient dans la salle. Ils ne se privaient pas de voir opérer leur merveille technologique en se payant régulièrement des petites tranches de moyen-âge.

Horst répondit dans son français approximatif où les v devenaient de f.

— Plus personne n'a introduit de demande dans le système. Vous auriez bien entendu été mis au courant le cas échéant (il n'arrivait pas à le prononcer, il disait : cas échant). Nous découvrons comme vous l'émergence des percepts olfactifs. Et nous invitons à nous faire parvenir un rapport détaillé sur ceux-ci. Quant à leur origine... Comme le reste, nous ignorons comment le système procède pour extrapoler les odeurs, mais n'oubliez pas qu'il est connecté à vos cerveaux et qu'il amasse des milliards de données émanant de vos propres percepts ! Il n'a pas besoin de sentir une fleur pour reproduire l'odeur de celle-ci dans votre zone olfactive, ou la voir pour éveiller son image dans votre aire visuelle.

Ou égorger un homme pour connaitre l'odeur de son sang... me vint en réponse, sans que je n'ose le dire. Je savais que l'IA était, comme ils aimaient tant le rappeler, une authentique boite noire. On savait, grosso modo, ce qui rentrait. On observait, interloqués, ce qui en sortait. Mais entre les deux... Comme disait Harmo : ses voies étaient impénétrables.

L´idée de Horst ne tenait pas tout à fait la route. Car elle supposait que le système ne pouvait produire des sensations qu'à partir des percepts des gens branchés. Mais je doutais franchement que qui que ce soit connaisse l'odeur particulière d'un cheval mort ou les relents nauséabonds des viscères libérées des entrailles. L'IA ne tirait pas cela non plus de ses banques de données. Elle devait extrapoler ces percepts d'autre part...

— Et vous, Alexandre ? m'interpela l'examinateur en reprenant la parole. Qu'avez-vous vécu durant votre sortie ?

Quel genre de baratin allais-je leur servir ? J'avais retourné l'affaire une bonne dizaine de fois dans ma tête pendant que j´écoutais les autres parler. Non, je ne pouvais pas leur dire. On ne me croirait pas.

Je leur pondais une version bien édulcorée. Alors qu'à l'autre bout de la salle, Inna faisait peser sur moi la noirceur de ses grands yeux. Elle n'était pas dupe... Elle m'avait reconnu. J'ai feint l'ignorance sans trop la regarder. Mon tour passa.

Les autres défilèrent un à un. Ils avaient tous été de près ou de loin liés à la bataille. C'était un nexus, comme l'appelaient les théoriciens de la simulation. Des zones des rassemblement qui se mettaient à exister de manière plus sensible au sein de l'émulateur. Ils comparaient ça au système attentionnel (car ils personnifiaient toujours pour faciliter la compréhension), ces points mobilisaient toute l'attention du système qui, hyper-focal, attirait alors tous les éléments qui le compose vers cet espace nodal, comme si de cette manière elle se constituait une certaine une forme de cohérence. Pour faire simple, je comparais cela à un film, il devait toujours y avoir un climax, sinon on s'emmerdait. Ils disaient que l'histoire que l'IA tentait de reproduire impliquait logiquement d'atteindre ces fameux points d'acmé ou tout - les histoires individuelles, les êtres, les choses, les trajectoires, les rythmes, même les significations - se rassemblait, s'imbriquait, pour former un nœud... Un nexus (parce qu'en latin ça décape).

Était-il possible que ce nœud évènementiel ait pu produire l'aberration que j'avais croisée ?

Je gardai cette question pour moi, il faudrait que je trouve la réponse seul.

Les examinateurs sonnèrent la fin du débriefing.

Je me casse vite fait car Inna m'a dans son collimateur. Je la connais, elle va essayer de me coincer. C'est le genre de fille qui lâche rien. Nez à nez avec elle, je sais pertinemment qu'elle va reconnaitre mon regard et qu'elle va me cuisiner jusqu'à obtenir mes aveux et ensuite se débrouiller pour que je sois éjecté du projet.

Alors, je file. Tant pis pour Arun et Harmo. J'les retrouverai plus tard. Si toutefois je vais pas directement me coucher... Mourir est tellement épuisant.

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