Moi
Non, vraiment, pas besoin de le répéter : je suis extraordinaire.
C’est comme ça. On ne se choisit pas, on ne se rencontre pas, on ne s’aime pas. On s’apprivoise. Quand on sait y faire, les autres nous donnent notre essence, notre silhouette, notre âme. Il n'appartient qu’à nous d’accepter, d’adopter et de chérir ce cadeau. Sans eux, pas de nous. Sans nous, peu d’eux.
Ou alors, faites comme tout le monde : ne faites rien, ignorez le regard des autres et... passez à côté de vous-même, à côté de votre vie. Vous ne serez qu’un de ces admirables anonymes qu’on croise partout, surtout dans les transports en commun. Vous savez, ceux dont on se fiche ? Oui, ceux-là. Vous, peut-être. Vivez cachés, vivez heureux. Mon œil. Vous vivez tous pour des cœurs, des pouces, des « j’aime ». Mais vous en avez tellement peu que c’en est risible. Vous vous reconnaissez ? On parle bien de vous ? Alors je ne peux rien pour vous, mais vous pouvez pour moi. Il suffisait de vous écouter pour vous donner ce dont vous me fabriquez, mais vous n’avez rien fait. Ce masque de fausse modestie, de retenue, de pseudo-honnêteté... Ah ! C’est répugnant. Ceux qui ne s’estiment pas ne méritent aucun intérêt. D’ailleurs, c’est ce qu’ils récoltent.
Comment ? Vous me demandez ce que j’ai fait d’incroyable ? Mais quel culot ! Je vous demande avec quelle marque de poudre on vous a blanchi le postérieur quand vous étiez bébé ? Lisez-moi si vous voulez savoir. Vous me reconnaîtrez immédiatement. Ou alors, on vous a vraiment sorti d’une vieille cuisse de Jupiter, et vous prétendez péter plus haut que votre rectum. Virez-moi ces œillères que je ne saurais voir !
Vous vouliez un héros ? Je suis là, je suis ce que vous idéalisez. Vous voulez autre chose ? Je suis toujours là, je suis ce que vous imaginez. Vous voulez le secret ?
Je suis beau, exactement comme vous m’avez fantasmé. Vous me vouliez blond aux gros biceps ? C’est moi. Plutôt brun aux muscles élancés ? Toujours moi. Vous préférez un modèle plus exotique ? J’y suis aussi. Le beau noir ténébreux aux formes discrètes ? Je prends. Je peux même être belle, aux courbes tellement rondement parfaites que vous n’en finissez pas de faire le tour.
Ou encore belle-eau. Ou beau-laid. Appelez-moi i.elle.on ou autre, ou ça, j’ai perdu le fil. Mais j’adhère. Au fond, je me moque de vos goûts, je m’adapte quand il le faut. Votre minable contribution littéraire dont vous êtes si fier galère ? Plus assez mainstream ? Pas de souci, je change de costume. Gabriel, Michel ou Raziel, au féminin-neutre-singulier-oral, ça se prononce pareil.
Vous voulez que je parle avec un accent du sud ? Je le fais aussi. Ou alors une bonne voix du nord, oui, je peux aussi hacher mes mots. Visez l’Est ou l’Ouest, je réponds présent.
Je suis fort. Tout comme vous m’avez imaginé beau. Avec mes muscles, je détruis. Avec mes techniques de combat, je domine. Avec mes armes surpuissantes, je gagne. Avec mon intelligence, je résous tout. Mon potentiel s’adapte à toutes vos histoires, à toutes vos nouvelles, à tous vos romans, à tout ce qui a déjà été écrit ou qui le sera, de l’Antiquité grecque à l’hyper-cybernation du futur. Je suis celui qui domine votre cinéma, vos livres, vos BD, vos jeux vidéo, ou tout autre support sur lequel vous me faites vivre.
J’inspire l’amour. Je suis un amant exceptionnel. Ou une amante. J’aime les hommes, les femmes, les bis, les autres. Je les aime tellement qu’ils ne peuvent que m’aimer en retour. Mon amour rend jaloux. Mon amour tue. Mon amour crée, mon amour meurt. Mon amour s’évade mais il vous renvoie toujours à ce que vous voulez ou ce que vous avez perdu. Jamais à ce que vous avez. Normal, vous êtes normal. Et moi, même dans ma normalitude, je suis le normal que vous désirez.
J’inspire le respect. De l’intelligence artificielle aux anciens, tout le monde me retrouve dans ses écrits. Un peu, beaucoup, en miroir ou au contraire. Je suis là, et on ne peut rien y faire. Je suis celui qu’on apprend à adorer, qu’on aime détester, qu’on voudrait supprimer mais sans qui l’histoire ne serait pas.
Vous vous croyez inventeur ? Pas de chance, j’existe déjà. Vous m’empruntez. Je suis moi, le seul, l’unique, l’universel, le vôtre, celui de tous. Vous n’avez rien de plus, j’ai déjà tout.
Je suis celui qui meurt, celui qui survit, celui qui n’a rien, celui qui est, celui qui n’est plus, celui qui n’a jamais été... je suis...
À la fin, même quand je n’existe plus, j’existe malgré tout, dans vos tripes.
Oh, je vois bien que je vous énerve. Mais c’est de votre faute. Vous croyez composer quand vous ne faites que m’utiliser. Vous croyez être quand vous ne faites que recopier.
Admettez-le, je me retrouve dans la plupart de vos histoires. Peut-être même dans toutes. Vous m’aimez depuis longtemps, mais vous me détestez aussi, surtout de vous l’avoir fait remarquer. Pas de ma faute si on me demande de me présenter en défi.
Permettez-moi.
Alors à bientôt ? :-)
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