Chapitre 3 - Dilemme
Il ne lui restait qu’une centaine de mètres à parcourir pour retrouver John. Lynn hésitait encore. Pouvait-elle lui faire confiance ? Son cœur lui dictait de tout lui avouer entre ses origines et la mission qu’elle venait d’effectuer mais le code déontologique des Mermaid Squad était clair : toute divulgation à l’homme sur le peuple des sirènes était considérée comme de la trahison. Les traîtres de cette organisation étaient condamnés à mort sans procès aucun. Elle n’avait donc que deux options : tout divulguer à son amant et s’enfuir avec lui ou disparaître de sa vie sans laisser de trace. Encore hésitante, bien que le désir de vengeance de sa famille n’était pas tout à fait encore étouffé avec ce premier assassinat, elle décida de s’accorder encore une journée avec son petit ami.
Lynn considérait ce quartier résidentiel comme l’un des plus beaux de San Francisco. Toutes les maisons étaient similaires et possédaient un petit jardin. C’était mignon à souhait, à condition de ne pas s'attarder sur les prix du loyer. Heureusement, elle percevait des fonds minimaux pour vivre grâce à son organisation secrète qui la subventionnait pour la couvrir mais elle gagnait aussi très bien sa vie de son côté. John y était pour beaucoup car il lui avait fait signer un contrat dans une grande maison de disque qui lui avait donné une célébrité notable. En contrepartie, il prenait un pourcentage considérable sur ses ventes ou toutes les actions commerciales qu’elle réalisait comme, par exemple, des apparitions télévisées ou à la radio. Cela leur allait très bien et ils étaient heureux de pouvoir vivre dans ce quartier prisé situé à proximité de la plage Golden Gate. La jeune femme s’y rendait d’ailleurs très régulièrement afin d’y prendre un bain d’eau salée qui la revigorait et réactivait son pouvoir de transformation qui n'était pas illimité. Elle nageait loin de la côte afin d'éviter que les passants ne voient son étrange queue remplacer ses jambes. John, quant à lui, n’aimait pas trop se baigner. Il amenait sa guitare et essayait de nouveaux airs lorsqu’il l’accompagnait. Il ne se rendait alors compte de rien concernant sa petite amie qui se métamorphosait à grande distance de lui.
La jeune femme parvint enfin au pas de la porte. Ne prenant pas la peine de sonner, elle s’empara du double de clefs qu’elle possédait dans son sac et entra. John devait être au travail à cette heure-ci. Alors qu’elle allait s’offrir un verre de vin blanc, Lynn entendit un bruit inhabituel dans cette maison censée être vide. Aux aguets, elle s’avança vers la chambre entrouverte et entendit une voix féminine :
— Faudrait peut-être que j’y aille. Ta gonzesse devrait pas tarder, non ?
— Ah ouais… c’était la voix de John. Fais chier. C’était cool qu’elle se soit absentée pendant trois jours. Elle me foutait la paix au moins. Va falloir que je me la coltine de nouveau…
— Elle a pas l’air si terrible, ci ?
— Pas terrible, oui, tu l’as dit. Encore un disque, j’encaisse et j’me casse.
Un petit rire aigu se fit entendre.
— Avec moi, hein ? Pas vrai mon John ?
— Mouais… dit-il après un certain temps de réflexion.
Il n’en fallut pas plus à Lynn pour sortir de ses gonds. Ce sentiment de trahison terrible qui la prenait à l’instant lui donna envie de tout casser. Son sang ne fit qu’un tour. Elle poussa la porte avec une telle violence que tous les murs de la pièce en tremblèrent. La petite blonde aux lèvres et aux seins refaits passa dans son champ de vision sans qu’elle ne lui accordât aucune attention. Elle saisit John par les cheveux. Ce dernier fut décontenancé par sa force inouïe et il ne put rien faire pour se libérer de son emprise. Alors qu’il n’était qu’en caleçon, elle le tira, le traînant à moitié, jusque dans la voiture, un gros Dodge. John fut jeté à l’arrière comme un sac de chiffon. La petite blonde qui les avait suivis en grande panique et seulement vêtue d’une chemise bleue et d’un string noir hurlait comme un goret. Un regard courroucé suffit à la faire taire.
— Toi, casse-toi d’ici ou tu vas mal finir.
Une menace sincère. La pauvre femme ne savait pas si elle devait partir dans son accoutrement actuel ou si elle pouvait rentrer récupérer ses affaires. Sans plus s’occuper d’elle, Lynn rentra dans le véhicule et démarra en trombe. John était si éberlué qu’il ne savait quoi faire. Il bégayait des « C’est pas c’que tu crois… » ou des « Allez, chérie, calme-toi… ». Ils n’allèrent pas bien loin et s’arrêtèrent sur la première portion du pont du Golden Gate, juste après le site historique du Fort Point. Ignorant les coups de klaxons parce que la voiture gênait la circulation, Lynn s’empressa de récupérer son ex-amant sans qu’il ne puisse résister de nouveau. D’un geste violent, elle le poussa contre la balustrade. Des larmes de colère lui piquèrent les yeux et la sirène n’entendait ni ne voulait recevoir aucune de ses supplications. Elle allait le tuer. Le jeter de là. Comment, les êtres humains étaient-ils capables de trahir ainsi sans vergogne ? Ce n’était pas étonnant qu’ils détruisent tout sur leur passage. Ils ne regardaient que leur nombril. Perdue, elle poussa John de nouveau. Il s’accrochait tant bien que mal pour ne pas basculer par-dessus la barrière. Des témoins de la scène s’arrêtaient non loin pour regarder la scène et sortir leur téléphone mais Lynn n’en avait que faire. Qu’ils filment ou qu’ils appellent la police, cela lui était égal. Alors qu’elle s’apprêtait à lui donner une dernière bourrade, une subite pensée lui vint :
Je ne suis pas comme eux.
Non, elle ne devait pas tomber dans les travers humains. Elle avait mal mais elle ne devait pas céder. Pas à cette vengeance-ci. Il ne méritait pas la mort. Il était stupide, certes, mais il ne méritait pas la mort. Le regard de John en disait suffisamment. Il avait compris la leçon et avait eu la peur de sa vie. Dans un dernier « Non, je t’en prie Lynn ! » car il pensait que c'en était fini de lui, elle le saisit et le jeta sur la route. Enfin, elle sauta à sa place. Alors que tous s’attendaient à la voir s’écraser dans l’eau depuis cette hauteur, il n’y eut pas un bruit, pas une vague lorsqu’elle entra à son contact. Tous les témoins, qui avaient rejoint la balustrade empreints d’une malsaine curiosité, virent seulement une écume blanche qui recouvrait le point d’impact. Lynn avait disparu.
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