Et après ?
Les jours qui suivent ressemblent à un flottement étrange, comme si l’appartement s’était imprégné de cette nuit — de leurs souffles, de ses gémissements à elle, du grondement rauque d’Élias quand il s’était vidé en elle.
Ils continuent pourtant à se voir. Ils textotent, ils se frôlent dans des cafés, rient, se cherchent, parfois se prennent chez lui, sans la mise en scène de cette fois-là. Mais c’est bien ça qui la trouble le plus : le souvenir de cette nuit la hante, la façon dont son corps s’était ouvert, comment elle avait aimé ça plus qu’elle ne veut bien l’admettre.
Et à côté, une autre peur germe, la ronge même : si c’est toujours doux, toujours simple, est-ce que ça va devenir banal ? Est-ce qu’ils finiront par se contenter de ça, sans jamais rejouer, sans jamais tester leurs limites — là où elle se sentait vivante pour de vrai ?
Lucy, elle, capte tout ça du coin de l’œil. Elle n’a encore rien dit, se contentant de la regarder avec ce petit sourire narquois qui promet déjà qu’elle viendra fouiller, la pousser à craquer, à avouer — même ce qu’elle n’a pas encore osé se dire.
Lucy est vautrée dans le canapé, jambes nues, laptop posé sur ses cuisses, un mug de café fumant calé entre ses mains. Elle pianote distraitement, l’air absorbé par un tableau Excel qu’elle a laissé ouvert juste pour se donner bonne conscience.
Ariane revient de la salle de bain, cheveux encore humides, t-shirt noir flottant sur ses hanches nues. Elle avance un peu en biais, comme si elle portait toujours la sensation d’Élias logée quelque part en elle. Son regard cherche vaguement le vide.
Lucy relève la tête, un petit sourire moqueur au coin des lèvres.
— « Alors… toujours vivante ? »
Ariane souffle, s’affale à côté d’elle, attrape un coussin pour le serrer contre son ventre.
— « Ferme-la, Lucy. »
— « T’as la gueule d’une lionne qui s’est fait bouffer pendant trois jours et qui sait plus comment marcher. »
Ariane éclate d’un petit rire sec, mais son front se plisse aussitôt. Lucy la fixe, ses yeux pétillent.
— « Allez… raconte. Pas la version stylée. Je veux le crade, le vrai. »
Ariane se tasse un peu plus contre le coussin, puis ses épaules se relâchent. Elle ferme les yeux, souffle, puis laisse filer, brut :
— « J’ai adoré. »
Lucy cligne des yeux, un rictus lent se dessine.
— « T’as adoré quoi exactement ? »
— « Tout. Le plug. Ses mains sur moi. Sa langue. Sa… »
Elle avale sa salive, baisse la voix. « Putain, j’ai adoré le sentir se répandre dans mon cul. J’ai cru que j’allais m’évanouir. »
Lucy lâche un petit sifflement admiratif, se penche vers elle.
— « Alors ? Ça change quoi, avec le plug ? »
Ariane ricane.
— « Tu veux un cours anatomique ? »
— « Ouais, carrément. J’ai déjà pris des bites par derrière, ça m’excite comme pas permis, mais j’ai jamais testé le plug. C’est… quoi la différence ? »
Ariane se mord la lèvre, son regard file vers le plafond.
— « Le plug… c’est pas juste un truc que tu fais entrer pour le trip. C’est là. Tout le temps. Ça te fait marcher bizarrement, ça pulse, ça te rappelle sans arrêt qu’il t’appartient déjà un peu. Alors quand il t’enlève ça et qu’il te prend… c’est pas juste “du cul”, c’est ton corps entier qui dit oui. »
Lucy ferme les yeux, souffle un petit « putain… », son sourire devient plus animal.
— « Ça me plairait peut-être trop, ce machin. Déjà l’anal sans joujou me rend dingue. Quand t’as le mec derrière, qui se colle, qui grogne… je deviens un putain d’animal. J’en ai rien à foutre de la petite esthétique. J’aime juste sentir qu’il me fout en vrac. »
Ariane éclate d’un rire plus clair.
— « Ça me surprend pas. T’as toujours été moins cérébrale que moi. »
— « C’est pour ça que je t’adore. Ton cerveau est encore plus bandant que ton cul. Mais j’te jure que je sais pas comment tu fais pour rester si brillante quand il te prend. Moi je deviens carrément conne. Je peux même pas parler. »
Ariane hausse une épaule, son sourire se tord.
— « T’as pas tort. Je joue la philosophe, la cartographe… mais là, c’était plus ça. Quand il m’a… quand il s’est vidé en moi, j’ai pas pensé une seule phrase. Juste un grand vide blanc. »
Lucy se penche, plante son regard dans le sien, presque trop près.
— « Et ça t’a fait flipper ? »
Ariane hésite, son sourire s’efface. Ses doigts tordent le coussin.
— « Ouais. Un peu. Parce que c’était pas qu’un jeu. »
Lucy se redresse, triomphante, tape des mains comme un gosse.
— « Voilà ! On y est. Même un grand félin joue pas autant avec sa nourriture. Si tu joues autant, Ari… c’est que c’est pas de la nourriture. »
Ariane roule des yeux, tente un rire moqueur, mais ça se brise en un son plus doux. Elle serre le coussin un peu plus fort contre elle, puis souffle, presque à contrecœur.
— « Ce genre de nuit me manque déjà. »
Lucy fronce les sourcils, intriguée, son sourire s’efface un peu.
— « Comment ça, déjà ? Il est encore là, non ? Vous continuez à baiser ? »
Ariane hoche la tête, un petit mouvement sec.
— « Oui, mais… pas comme ça. Pas avec cette tension, cette montée où tu sais pas si tu vas finir par pleurer, rire ou crever. J’ai peur qu’un jour on se contente juste de se prendre, vite fait, de jouir proprement et de dormir. Que ça devienne plan-plan. »
Lucy ricane, mais c’est un son plus tendre qu’avant. Elle se penche, tapote la jambe d’Ariane du pied.
— « Putain, Ari. Même quand tu parles de cul, t’es tragique. Mais j’te comprends. Y a rien de plus flippant que de perdre le côté affamé. »
Ariane souffle, ferme les yeux, puis murmure :
— « Ouais. Je veux pas devenir sage. Je veux pas oublier ce que c’est d’avoir peur d’aller trop loin. C’est là que je me sens vivante. »
Lucy la fixe encore un moment, puis secoue la tête avec un petit sourire tordu.
— « T’es irrécupérable. Mais t’es la meilleure putain d’irrécupérable que je connaisse. »
Un silence retombe, un peu plus doux. Ariane relâche enfin son coussin, laisse sa main tomber sur celle de Lucy, leurs doigts s’entrelacent un instant, juste assez pour que ça compte.
Lucy la fixe encore un moment, son sourire se mue en quelque chose de plus sérieux, presque grave. Puis elle lâche, d’une voix posée, sans moquerie cette fois :
— « Alors fais en sorte que ça n’arrive pas. »
Ariane rouvre les yeux, la regarde sans comprendre. Lucy hausse une épaule.
— « Vous avez pas tout exploré. Loin de là. T’as forcément des trucs qui dorment encore dans ta tête. Lui aussi, j’en suis sûre. Vous avez juste commencé à gratter la surface. »
Elle s’interrompt, son regard se fait plus vif, presque gourmand.
— « Franchement, Ari… vous avez tellement de marge. Faut pas laisser la routine s’installer. Continuez à jouer. À vous faire flipper un peu. Y a rien de plus excitant que de pas savoir jusqu’où ça peut aller. »
Ariane esquisse un sourire tremblant, son regard s’adoucit, presque brillant. Elle souffle, plus pour elle-même que pour Lucy :
— « Ouais… rien de plus excitant. »
Lucy ricane, reprend son mug, le lève comme pour porter un toast imaginaire.
— « Alors à tes futurs vertiges, salope. »
Ariane rit, un son qui la secoue un peu trop fort, mais qui sonne comme un soulagement. Ses épaules se détendent enfin contre le dossier. Ariane vide son sac, retrouve la carte ivoire. Au dos, un simple code QR. Son ventre frémit ; la gemme n’est plus là, mais le souvenir pulse. Elle sourit : pas banal, donc
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