09. Première célébration

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Mercredi 11 septembre 2013

J’ai laissé passer le mardi. Je suis allée en cours. J’ai repris des forces en mangeant. J’ai bien senti que j’étais affaiblie. Les bains froids, la bouffe de là-bas. Du coup, je suis restée également le mercredi matin en cours d’économie. Les profs n’ont fait aucune remarque sur mon retour.

À midi, je rentre chez moi, seule, sachant que Fantou m’attend et qu’elle a dû parvenir au village, si elle ne s’est pas fait agresser. Je ferme la porte dans ma chambre impatiente de connaître la suite de mon histoire parallèle. Je viens de me remaquiller, j’ai enfilé ma robe corset et des bas noirs pour me tenir chaud.

J’avale mon dernier cachet puis m’assois en tailleur sur mon lit.

Pas d’effet.

Un placébo ?

Je me lève prudemment, m’attendant à voir le plancher bouger. Rien. Putain ! Victor va entendre parler de moi !

J’ouvre la porte de ma chambre. Elle est soudainement aspirée. Ma main reste collée à la clenche. Je tombe à plat ventre, et dévale les escaliers sur lequel cascade un torrent de champagne. La porte file à toute allure et me projette contre le mur. Je me protège du choc avec les bras et me réveille brutalement, allongée sous un arbre.

Fantou sursaute :

— J’ai eu peur que vous ne reveniez pas.

— Et moi donc !

J’observe les alentours. Nous sommes en pleine campagne. Il fait particulièrement beau malgré le parfum d’humidité.

— Nous ne sommes pas arrivées au village ?

— Il est juste en bas de la colline. Mais ça n’aurait pas été très bien que vous arriviez comme si vous étiez morte. Il y a un pâtre qui est passé, je lui ai dit que vous arriveriez bientôt et que vous aviez réussi. Je lui ai donné la lettre de recommandation pour que tout le village sache.

— D’accord. Et bien allons-y.

Je remonte à dinosaure, et nous prenons le sentier descendant vers le village. Je suis impatiente de voir l’hystérique qui a raté chez Dame Irène et qui ne voulait pas que son mari me prête une monture.

Les villageois sont tous réunis. Ils m’acclament lorsque j’approche. Fantou est toute souriante et fière. Les haies de villageois mènent à d’autres qui m’attendent avec six fillettes. Un homme hurle :

— Choisissez ma fille !

L’enfant doit avoir six ans, trop jeune. Je veux qu’elles aient à peu près l’âge de Fantou pour s’entendre. La femme hystérique est parmi eux avec une petite fille blonde d’environ huit ans. Elle s’écrie :

— La mienne ! Prenez la mienne ! Elle a les dents blanches ! Elle est sans cicatrice, sans mal formation !

Elle tire sur la robe jusqu’à ce que la fille se laisse déshabiller, et la pousse si violemment vers ma monture, que la gamine tombe à genoux dans la boue. Elle l’agrippe par les cheveux et lui file une claque :

— Tu es salie maintenant !

Tristan, le père, n’ose pas s’interposer, priant lui-aussi pour voir sa fille élue. Je ne peux détourner le regard d’un tel comportement et j’aimerais être déjà en position de couper des têtes. Les autres enfants semblent gentilles, mais leurs parents sont plus calmes. Tandis que je reste silencieuse, et que tous ses voisins attendent, la femme m’implore :

— Excusez-la ! C’est une souillon, mais elle est très sage !

— Lâche ses cheveux. Tu ne mérites pas d’être sa mère. Désormais, c’est moi. Je la prends.

Un soulagement se lie sur le visage de certaines enfants. La petite, résignée baisse la tête pour ne pas qu’on voit ses larmes. Je lève le menton vers ma courtisane :

— Fantou, occupe-toi d’elle. Si quelqu’un a une jolie robe noire pour cette enfant, qu’il lui donne.

Tandis que ma servante met pied à terre pour aider l’enfant à remettre sa robe de miséreuse, je fais avancer Anaëlle vers la taverne où la tavernière grassouillette m’attend, toute heureuse.

— Léna ! Comme je suis heureuse de vous revoir.

Je saute sur le sol.

— Moi aussi, Jeannine.

— L’Empereur est passé il y a deux jours. Ce n’est pas pour la bière. Je suis certaine qu’il veut vous voir.

Voilà qui me plaît. J’ouvre ma besace et sors la lettre que j’ai écrite.

— S’il repasse, vous lui remettrez ce mot privé de ma part.

— D’accord. Et maintenant, entrez que nous fêtions ça. Je vais vous redonner votre lettre de recommandation. Je l’ai lue, et je saurai la réciter à l’Empereur le jour où il viendra.

J’entre à l’intérieur de la taverne, suivie par mes deux courtisanes, puis par la foule. La tavernière monte sur une table et s’exclame :

— Mes amis ! Notre village pourra bientôt se vanter d’avoir été celui qui a permis à Léna de devenir impératrice. Grâce à nous, elle a pu avoir cette lettre de Dame Irène que je vous ai lue. Et nous savons tous que l’Empereur est revenu ici. Nous avons cru en une étrangère arrivée de nulle-part. Nous avons toutes les chances de gagner.

Ils l’acclament et elle offre sa tournée. Je m’assois parmi eux, et la petite nouvelle reste prostrée à côté de Fantou. Je n’ai guère envie de la forcer à nous suivre, mais la redonner à sa mère serait pire. Qui sait ce qu’elle lui ferait ? Je suis bien avec Fantou comme complice unique, et cette règle des courtisanes me chagrine. Toutefois, si en effet, mes concurrentes font valoir leurs soutiens par le nombre de fillette à leur côté, je ne peux me défiler.

Le soir s’approche. J’ignore combien de temps la pilule va continuer à faire effet. Alors j’ai prétexté le besoin d’un bain pour m’isoler avec Fantou et la gamine. Cela permettra à la nouvelle de se décrasser de la boue.

Dans la petite chambre chaleureuse réservée aux voyageurs, humant le bois et l’humidité, je m’adresse à la petite blonde contrite.

— Comment tu t’appelles ?

— Mala, répond-t-elle timidement.

— N’aie pas peur, je ne suis pas méchante. En tout cas moins que ta mère.

— Je lui ai déjà dit, m’indique Fantou.

— Donne-lui le bain et décrasse-la.

Ma servante ôte la robe poisseuse, puis accompagne Mala en la rassurant par murmure. Fantou ôte sa propre tenue, la pose soigneusement sur le lit comme s’il s’agissait d’une parure à plusieurs millions d’écus, puis grimpe dans le bain à son tour. Mon cerveau est déjà en train de penser à la suite.

— Quelle est notre prochaine étape ?

— Et bien on pourrait aller à Ig-le-Grand, propose Fantou. C’est le village d’où vient la blonde. Ils ne lui ont pas encore donné de courtisane puisqu’elle est chez Dame Irène. Et ils cousent de très belles robes.

Je réfléchis à un plan pour salir la réputation de leur candidate. C’est un choix de destination assez délicat, car j’ignore quelle position ma rivale occupe dans ce village. Rares doivent être les villages qui n’ont pas élu leur propre candidate. Moins rares celles qui ont passé l’épreuve des scribes. Ne vaudrait-il pas mieux viser des villages où toutes ont échoué ? Prendre de vitesse la pétasse blonde me siérait bien.

D’être dans l’attente de la fin de pilule me fait chier. Je défais ma robe, mes bas et ma culotte pour me glisser dans le baquet avec mes deux courtisanes. Nous sommes un peu serrées à trois, surtout que je suis grande. Mala me dévisage sans un mot et baisse les yeux en croisant mon regard. Je l’impressionne, elle croit peut-être que je l’ai volée à sa mère.

— Mala. Tu veux que je te rende à ta mère ?

Elle secoue doucement la tête. J’ignore si c’est par peur de décevoir ses parents ou par crainte de sa mère. À y réfléchir, mieux vaut que je ne revienne pas sur mon choix, rien que pour le déshonneur qu’elle pourrait porter toute sa vie. Il vaut mieux qu’elle s’habitue à moi, et je ne doute pas que ça soit le cas. Fantou, un peu conditionnée par dame Irène, relève mes cheveux, les attache avec une broche en bois, puis verse un peu d’eau chaude sur mes épaules. C’est délicieux, mais la position maîtresse-esclave continue à me mettre mal à l’aise.

— Ça ira, soupiré-je. Je veux juste me détendre.

Elle opine du menton sans un mot. Désire-t-elle être la parfaite courtisane aux yeux de Mala ? Voulant détendre l’atmosphère, je questionne :

— Vous ne connaissez pas un jeu rigolo ?

On frappe à la porte et Jeannine pénètre comme un ouragan sans que je ne lui laisse l’autorisation. Elle plaque la porte derrière elle, sa poitrine se soulève de panique :

— Il est là ! L’Empereur est là ! Je lui ai remis votre lettre et lui ai cité celle de Dame Irène. Il a appris que vous étiez-là, il aimerait vous voir.

— Bien, ne le faites pas attendre.

J’attrape le drap du lit et m’en enroule la poitrine en sortant de l’eau. À cet instant, l’homme en armure noir et or fait passer sa grande ramure. Il reste un instant interdit de me voir en sortie de bain, le drap collé à ma peau humide. L’effet voulu est là, et il tient dans sa main le précieux mot que j’ai rédigé chez dame Irène.

— Chaque soir où vous m’apparaissez, c’est sortie des eaux.

Cette voix d’homme sûr de lui me brise littéralement dans mon jeu. Il me possède, me séduit par sa simple présence, par son regard viril, sa stature dominante. Je vais chercher au fond de moi toutes les tripes pour lui faire une réponse telle que je l’aurais prononcée devant dame Irène.

— Un heureux hasard pour vos yeux.

— J’ai appris le regroupement du village, et j’ai fait un détour. Vous êtes donc de retour avec la bénédiction d’une courtisane déchue, et les villageois vous ont désignée comme leur représentante.

— Oui. Quand j’ai appris que vous recherchiez l’âme sœur, je me suis mis en quête de surpasser toutes les filles de votre Empire.

Il caresse délicatement mon épaule et il murmure d’une voix suave :

— Vous êtes d’une beauté rare.

Il me rend complètement folle. La gorge sèche, je suis incapable de trouver mes mots. Il ajoute :

— Votre lettre est audacieuse et agréable à lire. À l’instant, je brûle de vous avoir suspendue à ma ramure. Cependant, je vais être patient car il plairait encore plus de voir une beauté telle que vous trôner à mes côtés.

— Ça tombe bien, je vous veux pour toujours, pas pour un coup d’un soir. J’espère bien que le grand jour, votre choix ne sera pas trop difficile.

— Ne vous méprenez pas, Léna. Il y a presque mille aspirantes au trône. Vous êtes une centaine de soupirantes que je connaisse par leur prénom, et chacune de vous est d’une beauté infinie. Ce bracelet à mon bras d’arme m’a été offert par Johanna du comté des Planes-Prairies. Elle a quatorze ans, fraîche comme la rosée, à la fois timide et audacieuse. Son simple regard suffit à fêler mon armure. Ce pendentif est un gage de Tatiana une fille du duché des Hauts-Ligneux, la tignasse rousse comme le soleil l’été, la peau douce comme la soie et elle sent bon la mousse des clairières. Et de vous, je n’ai aucun gage d’amour.

Je presse ma poitrine contre son armure et l’embrasse. Je darde ma langue dans sa bouche avant qu’il ne le fasse. Il empoigne mon crâne fermement et nous échangeons un baiser d’une rare douceur. Mon ventre se tord, mon écrin se trempe. Et lorsqu’il nous éloigne l’un de l’autre, j’ai envie qu’il prenne mon corps dans la seconde.

Il a plus de pouvoir que moi, et il joue avec. Je lui tourne le dos en laissant mon drap dévoiler l’échancrure de mon dos, un peu pour attiser son désir. Je fais mine de ne pas être impressionnée et articule :

— Une dernière question avant que vous partiez. Pourquoi ne pas toutes nous prendre ?

— Parce que je ne veux aimer qu’une femme.

— Et vous laissez vos gens choisir pour vous ?

— Ils vous connaissent mieux que moi. Lorsque vous aurez été élue par un Duché, je passerai une journée entière avec vous, comme je le ferai avec d’autres. Alors la beauté ne suffira plus à vous départager. Bon courage, j’ai hâte de vous revoir.

— Moi aussi. Je vous promets que je ne traînerai pas à la tâche.

Il quitte la pièce, me laissant bouillante de désir.

— Les filles, habillez-vous, allez demander des gâteaux à Jeannine et amusez-vous. J’ai besoin d’être seule.

Mes courtisanes se sèchent, enfilent leurs robes. Fantou attrape la main de Mala, puis l’entraîne au dehors de la pièce. Enfin seule, je comprime mon entrecuisse au travers du drap. J’ai envie de me faire plaisir, une envie animale comme rarement il m’en ait venue. Il y aura peu d’instants où je pourrais être seule en ce monde, et je tiens à en profiter.

Sans me découvrir une seconde, je masse mon pubis fermement. Les lèvres closes, ma paume accentuant ses mouvements circulaires, je m’agenouille devant le lit. J’imagine la peau blanche de Sten, ses muscles taillés et son sexe long et bandé. Mon ventre se contracte de plaisir. Mes yeux se ferment à leur tour, j’écrase le buste sur les draps et laisse les spasmes venir.

Un quicky délicieux.

Je ne m’évapore pas vers l’autre monde, alors je vêts ma robe, puis quitte pieds nus la chambre. Hélas, si la taverne est pleine de monde, l’Empereur et ses soldats sont partis. Les clients s’exclament de félicitations. Sans même demander, je devine que Fantou leur a raconté la rencontre. Je m’assois avec mes courtisanes.

— Comment s’appelle le village ici ?

— Les Deux-Pierres, répond Fantou.

— Il y a combien de personne.

— Oh, répond Jeannine en passant. Nous sommes cent trois.

— Et Ig-le-Grand, ils sont combien ?

— Oh, ils seraient bien cinq cent, au bas mot. Ils prospèrent bien avec le commerce du cuir et leurs maroquiniers et tailleurs sont réputés dans tout le comté. C’est le chef-lieu.

— Cinq cents personnes, c’est le chef-lieu ?

— Le comté des Collines Ventées n’est composé que de tout petits villages.

— Il faut combien de voix pour une troisième courtisane ?

— C’est facile, il vous faut le double. Passer les scribes pour la première, cinquante pour la seconde, cent pour la troisième, deux cents pour la quatrième… Mais attention, c’est deux cents nouvelles, vous ne cumulez pas.

— Donc, potentiellement, Ig-le-Grand pourrait me donner trois courtisanes.

— Potentiellement, si tout le village tenait à vous soutenir avant le vote ducal.

Je m’adosse à ma chaise. C’est décidé, j’irai au village de la blonde et ferai mine de m’étonner qu’elle soit leur favorite, en leur révélant quelques mensonges qu’il me reste à broder.

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