11. Bonus Dragon (partie 1)

7 minutes de lecture

Vendredi 13 septembre 2013

Jeudi après-midi et vendredi, j’ai suivi mes cours et j’ai passé quelques heures à la photocopieuse du CDI. Pour être honnête, j’ai travaillé comme une folle. J’ai révisé, et recoupé ce que je ne comprenais pas avec Internet. J’ai même fait tous les exercices de mathématiques et de comptabilité. L’idée est aussi d’avoir les bases dans la gestion d’un royaume. Car même si dans l’univers machiste et quasi-médiéval de Varrokia, mon rôle sera mineur, je veux pouvoir garder un œil, quite à faire des propositions intelligentes, ou briller d’intelligence à côté de mes rivales.

Mon père a apprécié que je dîne avec lui et ma mère, et que je raconte mes journées. Retrouver une vie normale a quelque chose de reposant.

— Au fait, ma chérie, tu as pu faire ce que tu voulais avec le Chatterton ?

— Oui.

— Et qu’as-tu prévu de ta journée de demain ? questionne ma mère.

— Je termine des devoirs qu’on a à faire, et ensuite je retrouve des amies pour faire du shopping. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai.

— Tu vas t’acheter encore des vêtements ?

— Moi ? Non… Je n’ai plus rien. C’est elles que j’accompagne.

— Tu veux un peu d’argent pour t’acheter quelque chose ?

— Boaf, si tu veux bien.

— Ça me fait plaisir. Surtout si tu me montres après.

— Ça marche.

Elle part dans l’entrée et ramasse son sac. Elle ne semble pas s’être rendu compte que son portefeuille a été allégé car elle revient avec un billet de cinquante euros. Très peu pour acheter un vêtement sexy, mais ça vaut cinq pilules.

J’étreins ma mère.

— Si j’avais su que ça te ferait tant plaisir !

— Tu ne peux pas savoir combien !

La soirée terminée, je gagne ma chambre pour reprendre ma conversation, dans laquelle j’expliquais que j’avais des concurrentes de quatorze ans.

Siloë : Mais c’est une émission pour ado ?

Chell : Il a quel âge, Sten ? S’il est militaire, il a au moins 18 ans.

Léna : Je dirai autour de 25-30 ans.

Chell : Oo !!

Siloë : En fait, c’est une émission de pervers ?

Léna : Les prétendantes sont autorisées à partir de treize ans, c’est l’âge minimal là-bas.

Chell : Ce n’est pas en France ?

Léna : Ben non, puisque c’est du fantastique en même temps.

Chell : Même ! Y a des lois !

Léna : Les lois, c’est Sten qui les fait, c’est l’Empereur.

Chell : Non mais, dans la réalité !

Léna : Que sait-on de la réalité ? Finalement n’est-elle pas uniquement celle que l’on nous montre ?

Siloë : Ça devient philosophique. Moi je ne capte plus rien.

Léna : Avec le temps, vous allez toutes les deux mieux comprendre. Je vous raconte mon histoire, et vous suivez. Je vous ferai un max de photo, c’est promis.

Samedi 14 septembre 2013

C’est l’aurore. Un café et deux tartines prises à la lumière des réverbères, je regagne ma chambre. Par la fenêtre, l’horizon fait rougeoyer les tours de béton. Il me reste deux pilules, seulement deux pilules, mais ça suffira pour le week-end.

À nouveau en robe et bas noirs, épaules nues, cheveux bien peignés, je reste debout en portant la gélule bleue à ma bouche. Le ciel se jaunit, la fenêtre se fendille alors que des petites bulles de champagnes apparaissent. J’écarte les bras, ferme les yeux, le verre cède brutalement.

Je redresse les épaules, sentant Anaëlle onduler sous mon ventre et Jeannine sursaute.

— Vous m’avez fait peur ! Heureusement que Fantou nous a dit de ne pas nous inquiéter !

— N’ayez crainte. Je navigue entre les mondes, un peu contre mon gré.

— Vous voyagez bien. Nous arrivons à Ig-le-Grand.

Le village qui se découpe devant nous est beaucoup plus grand que celui d’où nous venons. Les maisons principales sont regroupées en un petit bourg aux rues pavées de pierre. Je questionne :

— Comment votre voyage s’est passé ?

— Sans ennui. Peut-être plus tard, notre cohorte grandissant, elle attirera la malveillance d’autres aspirantes. Mais pour ce court trajet, ça a été. Je n’ai pas l’allure d’une aspirante impératrice.

Nous approchons des premières maisons. Le villageois sortent par curiosité, alors Jeannine s’exclame toute enjouée :

— Oyez oyez ! Veuillez accueillir Lena Hamestia, aspirante impératrice.

— Nous n’avons guère besoin d’une aspirante, nous avons déjà désigné une pour représenter le village, tranche une femme blonde aux airs de famille avec ma principale concurrente.

— Vous me faites penser à une blonde que j’ai croisée chez Dame Irène, lui fais-je remarquer. J’espère que ce n’est pas elle, car je doute qu’elle fasse une bonne impératrice.

Un homme prend sa défense.

— Notre village n’a pas besoin d’une impératrice, mais d’une aspirante qui gagne assez de soutien pour avoir le droit à une escorte de chevaliers, qui viendront pour tuer le dragon qui s’est installé dans les rochers.

— Peut-être que je serai cette aspirante. Pouvons-nous être hébergées pour la nuit ?

— Nous ne pouvons refuser le gîte à une jeune aspirante. Suivez-nous.

Ils nous mènent au cœur du village, à une auberge dont la taille fait pâlir d’envie Jeannine. Lorsque nous posons pied à terre, elle soupire :

— Mon établissement fait piteux à côté.

— Vous avez reçu par trois fois l’Empereur, reprenez-vous, dis-je.

— L’Empereur a séjourné ici également, nous indique notre hôte. Nous vous offrons le gîte et le couvert pour ce soir. Si vous revenez avec une escorte, que vous tuez le dragon, nous vous choisirons plutôt que l’aspirante native du village. C’est à vous que nous remettrons la courtisane que nous avons déjà élue.

— Bien. Aucun chasseur n’a jamais essayé ? Ce dragon est-il si difficile à tuer ? Ses écailles sont-elles épaisses ?

— C’est une bête comme une autre. Un coup d’épée suffirait à le tuer. C’est le mur de flamme qu’il est impossible à passer.

Juste le mur de flamme ? Une idée germe délicatement au fond de mon cerveau et me fait sourire. Il me regarde avec un œil rond, alors je questionne :

— Si je le tue de mes mains, je gagne votre reconnaissance éternelle ?

— Vous ? Une frêle jeune femme et ses deux courtisanes ?

— Donnez-moi une chambre, trois jours de repos, une arme, et je le tue seule.

— Par ici.

Nous montons des escaliers, puis de ses grosses clefs, il ouvre la porte d’une chambre spacieuse, aux larges fenêtres.

— C’est notre plus grande chambre. Reposez-vous bien.

Lorsqu’il part et que la porte est fermée, Jeannine s’étonne :

— Comment comptez-vous tuer un dragon de vos mains ?

— En utilisant quelque chose qui vient de mon monde. Pour cela il faut attendre que je sois à nouveau aspirée dans mon monde, pour que je revienne avec.

— Ça peut être long, dit Fantou.

— C’est pour ça que j’ai dit trois jours au tavernier. Et puis, il faut voir combien de temps il faut pour arriver à lui. Il nous faut le plus d’information possible. S’il crache dès qu’on approche de lui ou d’un lieu, s’il vit dans une grotte ou dans les bois…

— Je vais enquêter, lance Jeannine. Vous faut-il autre chose ?

— Rien, ça ira.

Tandis qu’elle quitte la chambre, je marche jusqu’à la fenêtre. Les habitants sont regroupés et jasent. J’ai l’opportunité de me créer une solide réputation. Ma seule inquiétude dans l’idée de mourir, c’est que je doute revenir au monde réel saine et sauve. Ma mère retrouvera-t-elle mon cadavre calciné dans ma chambre ? Cette idée me tire inexplicablement un sourire.

— Vous n’avez pas peur de mourir ? questionne Fantou.

— Si.

Mourir en tentant d’ériger une gloire me paraît plus sucré que de vivre dans mon monde insipide et pollué. Si je vaincs le dragon, ma réputation ira droit aux oreilles de Sten et attisera davantage sa curiosité. Une aspirante guerrière, c’est une aspirante unique parmi mille autres. Cette idée gonfle le cœur de hardiesse. J’ignore encore vers quoi je me jette, mais ma peur ne domine pas mon avidité de gloire.

Le soir tombe. La journée a été tellement ennuyeuse que je crains que l’effet de la pilule dure trop longtemps. Assise à table avec mes accompagnatrices, j’écoute tout ce que Jeannine a appris :

— Le dragon se terre dans une grotte près du lac. Il sort tôt à l’aube ou au crépuscule pour chasser. Il attaque un troupeau, brûle parfois une ferme, puis se terre toute la journée. Les chevaliers sont tous morts à l’entrée de la caverne, prisonniers des flammes.

— Ils ont tous été brûlés ? Pas mangés ?

— Les dragons ne mangent pas d’hommes. Les vêtements et les armures sont indigestes. Le jet de flamme est un système défensif redoutable.

— Intéressant.

— On m’a expliqué le chemin, c’est excessivement simple. C’est à une heure de marche d’ici.

J’imagine ces chevaliers rôtissant dans leur armure métallique. Je commence à douter de pouvoir faire mieux qu’eux. Je redresse néanmoins les épaules pour cacher mon désespoir, puis déclare :

— Plus nous passerons de temps ici, plus nous risquons de voir arriver la favorite. Demain, nous irons chasser ce dragon.

Le tavernier dépose nos écuelles de patate et de lard. Voilà qui change des mets tantôt raffinés tantôt infâmes de Dame Irène.

— J’ai entendu que vous alliez le chasser demain ?

— C’est mon idée… mais peut-être après-demain. C’est le temps que mon plan soit parfaitement imaginé et conçu. M’avez-vous trouvé une arme ?

— Il y a des haches et quelques épées, mais elles sont un peu trop lourdes pour vos poignets.

— Alors fabriquez m’en une légère.

— Ne soyez pas arrogante, vous serez brûlée vive, et si vous ne mourrez pas sur le coup, vous agoniserez plusieurs jours. C’est gâcher votre beauté que de vous laisser y aller.

— C’est vous qui m’avez mise au défi.

Il s’éloigne. Je conclus :

— J’espère que Monsieur Dragon n’est pas marié, sinon ça sera plus compliqué.

Nous montons à notre chambre une fois nos assiettes vides. Je pose ma main sur les épaules de Mala :

— Tu as bien mangé ?

Elle opine du menton. J’ajoute à l’attention de Jeannine :

— Il faudra qu’il n’y ait aucun témoin de la scène.

— Alors notre départ devra être discret.

Je m’allonge sur le lit en imaginant tous les scénarios possibles. Ça va être tendu du string !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire petitglouton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0