15. Cœurs de forgerons (partie 1)

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Jeudi 19 septembre 2013

Je suis rentrée chez-moi assez-tôt. Je n’ai pas quitté ma robe, mais j’ai mis un des shorties de dentelle noire que ma mère m’a offert, suite à sa réunion lingerie. La prochaine fois où Sten fait son apparition, j’aurais de quoi lui faire tourner la tête… ou à défaut lui déclencher une crampe à la verge.

En route pour une nouvelle aventure.

Assise en tailleur j’attends les premiers effets. Une tête de lapin sort par la serrure de ma porte, puis le lapin s’en extirpe, suivi d’un autre, et je découvre douze lapins bondissant dans ma chambre. Si le délire habituel a bien commencé, la danse des lapins ne déclenche rien de plus.

Je me lève, observe mon reflet dans le miroir. Je suis bien-là, mais ma chambre ne se reflète pas. Le fond est jaune champagne. Soudain, c’est comme si la gravité était changée. Je me trouve collée contre mon miroir. Mon reflet choit en hurlant de terreur, et je me laisse tomber à mon tour, la tête la première en hurlant comme une folle.

Je me réveille en sursaut, assise sur ma monture, alors que mes gens sommeillent sous un arbre.

— Nous sommes arrivés ? questionné-je.

Ils sursautent tous les cinq.

— Oui, le village est à cinq cent mètres, me répond Jeannine, plus lucide que les autres.

— Parfait. Je vais enfiler l’armure, je veux leur donner une certaine image.

Fantou et Thomas réagissent tout de suite et m’amènent mon plastron. Nous remontons en selle. Thomas ouvre la marche, essayant d’afficher une certaine vaillance.

Le village apparaît alors, entouré des petits murets renforcés de palissades et de pieux de bois.

Un grand barbu avec un bouclier sonne dans un cor, puis défouraille son épée.

— Halte ! Qui êtes-vous ?

— Je suis Léna Hamestia, aspirante impératrice, et je viens chercher le gîte, l’air pur, et le soutien.

Un autre grand barbu, encore plus costaud, arrive à notre rencontre entour de quatre solides gaillards.

— Une aspirante impératrice, résume la sentinelle.

— Vous êtes bien la première à penser à nous.

— Pourtant vos forges ont grande réputation dans le comté, ainsi que votre… comment dire… je perds mes mots, désolée.

— Votre nom, aspirante.

— Léna Hamestia.

Il éclate de rire :

— Léna Hamestia ? ! La pourfendeuse de dragon ? ! Entrez ! Soyez la bienvenue !

Nous faisons avancer nos montures et je questionne :

— Vous me connaissez déjà ?

— Tous les bardes ont raconté votre histoire. Le dragon s’aventurait jusqu’à nos pâtures les plus reculées. Si je m’attendais à une aussi frêle jeune fille ! Je ne parvenais pas à imaginer une solide gaillarde avec une hache quit fût en même temps une poupée aspirante impératrice. Je suis bien heureux de vous voir en chair et en os !

L’entente pour le moment passe bien, mais je sens au caractère nature de ces hommes qu’ils peuvent à tout moment changer d’avis.

— Notre village vous paraîtra moins confortable que les villes dans lesquelles vous avez été accueillies.

— Je préfère la rusticité aux artifices, et la franchise aux belles paroles.

— Dans ce cas, vous n’apprécierez sans doute pas la vie de palais.

— Il ne tiendra qu’à moi de l’adapter. Et Sten est de cet acabit.

— Sten ? Vous l’appelez par son prénom.

— Je ne le tutoie pas, rassurez-vous, pas encore.

— Sten Varrok est un guerrier, c’est vrai. Mais la vie de palais ramollit et vous transforme un grand chevalier en princesse mijaurée.

— Ce n’est pas son cas. Sten reste proche de ses hommes, du peu que j’en ai vu. Et quant à ses baisers, ils sont sauvages et indomptables.

— Vous voulez me faire comprendre que vous êtes proches ?

— Non, mais qu’il est un souverain qui devrait vous plaire.

— Il oblige ses soldats à se raser, ils ressemblent à des fillettes.

— Pour une femme, une peau douce, c’est agréable à caresser, ça n’enlève rien à la virilité. En tout cas d’où je viens, les plus grands combattants sont épilés.

— Les cultures… soupire-t-il.

Une fille aux cheveux tressés et au regard d’acier nous rejoint.

— Adelheid, va dire à ta mère de préparer un petit banquet. Nous avons une invitée de marque ce soir. — L’enfant part en courant. — Je… Je vais l’aider sinon ça va barder. Promenez-vous dans le village, vous êtes la bienvenue. La hutte là-bas sert aux visiteurs de passage, vous y serez à l’étroit, mais c’est chez-vous. Emmène-les.

Il se retire sur un bref salut et un de ses sbires nous conduit à la hutte des invités. Sa dernière phrase vient de me faire comprendre que ce ne sont pas les hommes qui portent la culotte ici. Ça va me changer des autres villages machos.

Nous déchargeons nos montures. Je me défais de ma pièce d’armure inconfortable, puis n’ayant rien à faire je dis :

— Faisons ce qu’il nous a dit, promenons-nous.

— Je vais voir s’ils ont besoin d’aide pour préparer, annonce Jeannine.

— Je devrais peut-être garder nos affaires, nous ne savons pas si ce sont des gens de confiance, annonce Thomas.

— Oui, souris-je. D’où je viens aussi on se méfie des barbus.

J’erre donc avec mes trois aspirantes jusqu’à ce que nous tombions sur une enfant jouant avec un yoyo en bois. Elle en reste à des mouvements simples, et ayant manipulé le yoyo toute mon enfance, je me sens enorgueillie de pouvoir partager mes talents.

— Bonsoir petite.

— Bonsoir.

— Il est beau ton yoyo.

— Ah, je ne savais pas que ça s’appelait comme ça.

— Ce n’est pas toi qui l’a fait ?

— Si. C’est un étranger de passage qui en avait un.

— Tu veux que je te montre d’autres mouvements ?

Elle me tend l’objet. Je le noue autour de mon majeur puis teste un premier mouvement. Mes trois courtisanes s’assoient, captivées.

— Attention ! Le petit chien en promenade !

Je fais rouler le yoyo sur le sol puis le ramène.

— Double salto périlleux. Le boomerang ! Yahh ! Ninja !

Mala et la fillette inconnue rient. Alors j’imite un combat en faisant des bruitages de films de kung-fu, je fais tournoyer le yoyo, je l’envoie, le ramène, le passe entre mes jambes.

— Oups ! On a vu ma culotte ?

Les quatre filles sont hilares et d’autres enfants viennent avec le crépuscule pour me regarder.

— Le tour de taille ! La tornade… Merde, raté ! Je recommence. Le tour de jambe, et hop. Pim ! Je t’assomme !

Le yoyo s’arrête à un centimètre du nez d’un garçon. Ils rient tous, puis les barbus et leurs compagnes se rapprochent. Je rends le yoyo à la fillette.

— Merci.

— Vous faites rire les enfants, vous restez naturelle malgré vos beaux atours, c’est une grande qualité.

— Merci. On verra si à la ville, ils pensent ça.

— Venez, le banquet est prêt.

C’est avec hâte que je le suis. Leur odeur de barbecue me creuse l’estomac depuis longtemps.

Le banquet est garni. Je suis entourée de mes courtisanes. Face à moi le chef, sa femme et ses filles trônent.

— Alors ! Vous maniez la hache aussi bien que les jouets ? J’aimerais vous voir à l’œuvre.

— Non. J’ai juste eu le cran et la chance avec le dragon. Je ne voudrais pas vous décevoir.

— Qu’est-ce qui vous a fait choisir notre village comme étape ?

— Pour être honnête, j’ignore tout de l’Empire et des populations qui s’y côtoient. C’est ma cuisinière Jeannine qui m’a parlé de vous lorsque je lui ai dit qu’il nous fallait des armes. Mes rivales ont les dents longues et déjà une d’elle m’a fait attaquer. Je voudrais que chacune de mes courtisanes ait un coutelas. Elle m’a dit que vos forges étaient réputées et elle m’a raconté le genre de personne que vous étiez. Je me suis dit que j’aurais bien plus à apprendre de gens comme vous que d’un forgeron de la ville.

— Votre présence nous honore. Une liqueur de sapin ?

— Je ne connais pas, volontiers !

Il remplit mon bock d’un liquide qui sent l’alcool à trois mètres. Il va falloir tenir la distance, mais ça va ralentir la dissipation de la pilule et me faire bien voir.

Je trinque avec les hommes et quelques femmes qui boivent cul-sec. Je les imite. La liqueur et épaisse, sucrée et m’arrache le gosier.

— Ha ! Ha ! Vous n’avez pas froid aux yeux.

Les yeux humides, je repose mon bock.

— C’est sympa.

— Encore un ?

— Si vous proposez.

Il remplit les bocks qu’on lui tend. Les femmes refusent, mais avant d’y tremper sa barbe, il me parle des villages plus au sud qui tentent tous d’envoyer leurs plus jolies filles au palai.

Plus nous discutons, moins de barbus osent boire. Nous finissons à quelques-uns et je tiens bon.

Je rentre tard, je n’ai pas pris mon smartphone, donc je ne sais pas l’heure. Je suis ivre morte, je peine à marcher, et ce sont Fantou et Chihiro qui m’aident à aller droit. Mala, elle me prévient quand il y a une marche.

Dans la hutte, Thomas s’est endormis assis à son atelier, la joue sur un ouvrage de dentelle. Vu la taille, il me confectionne une robe. Je m’effondre sur le lit.

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