20. Palais Ducal (partie 2)

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L’après-midi passe vite et les filles sont fatiguées de leur matinée. Nous avons rejoint les soldats, Jeannine et Thomas aux Gros Gosiers, pour passer le temps en apprenant un jeu de dés. Sigurd vient de perdre le nombre d’essais qu’il avait pour faire le score exact.

— Si ce n’était pas un jeu de hasard, je dirais que vous m’avez laissée gagner, dis-je.

Face à moi, il reste Adelheid et un habitué de la taverne. Je regarde ma liste. J’ai le droit de faire un full ou un carré de six. J’agite les cinq dés dans le gobelet et les fait rouler sur la table. J’obtiens deux six. Je décide de tenter le carré, et fais rouler les trois autres dés. Malgré mes trois lancers autorisés, je n’y parviens pas. Je dois donc éliminer de ma liste une combinaison. Malgré la quantité de points que rapporte le carré, je le considère comme peu réalisable et conserve l’espoir de réussir un full.

Adelheid doit faire une quinte, mais échoue.

L’homme devant moi lance les dés. Il sort presqu’une grande suite. Deuxième lancé, un seul dé, il parvient à combler la suite. Les gens retiennent leur souffle. Avec le nombre de points qu’il a, même si je réussis mon full, il a gagné. Ils me regardent avec inquiétude, jusqu’à ce que je déclare :

— Parfait ! Beau jeu ! On se fera ça demain si le temps m’est permis.

Leurs épaules s’affaissent de soulagement.

— Sur ce, je pense que le Duc nous attend. Messieurs, à un de ces quatre.

Pourvu que je ne disparaisse pas pendant le repas.

La citadelle ducale rejointe, je retrouve mes appartements pour une petite toilette. Tandis que Fantou me coiffe, je me dis qu’il va falloir que je ramène ma trousse de maquillage en ce monde.

On frappe à la porte.

— Chihiro, va ouvrir.

La servante s’exécute, et l’hôtesse me dit :

— Le Duc va bientôt vous présenter, vous êtes la dernière.

— Nous arrivons.

Elle reste en retrait. D’un œil je vérifie que mes courtisanes sont bien coiffées.

— Ok. Mala et Chihiro côte à côte devant, et Fantou et Adelheid derrière moi.

Nous nous levons. Il faudra que je récupère mes chaussures à talons pour la venue de Sten. Précédées par l’hôtesse émaciée, nous longeons le grand couloir au moment où résonne l’appel du chambellan.

— Damoiselle Pauline du Désert, la beauté apparue par magie au Seigneur Varrok.

La brune de quinze ans porte un saroual de tissus léger, presque transparent et un haut du même bleu azuréen laissant ses épaules et son ventre nus. La tenue parait nettement inspirée d’un certain dessin animé. Le mouvement félin de ses hanches hypnotise les premiers hommes que j’entraperçois. Ses esclaves ne sont habillées que d’un pagne de tissus léger et d’un bandeau en travers de leur poitrine.

— Et pour terminer, Damoiselle Léna Hamestia, la pourfendeuse du dragon d’Ig-le-Grand.

Je pousse les épaules de mes deux esclaves pour qu’elles me précèdent et me laissent l’espace d’un pas. J’adopte une attitude fière, celle d’une guerrière bien plus que celui d’une miss. Alors que je découvre la foule d’homme et de femmes en tenue de lumière, j’aperçois mes concurrentes. Pauline se détache considérablement du lot par sa tenue aux inspirations orientales. Je reconnais la timide fille aux ailes blanches immaculées croisée chez les scribes. Un foulard coloré remplace l’absence de ses cheveux et s’accorde avec une robe étroite interrompue en fuseau au niveau des chevilles. La seconde à ses côtés est une femme brune avec une robe rouge qui lui étreint les mollets et s’étale comme une fleur au sol. Le décolleté étroit met en relief la profondeur entre ses seins volumineux et dévoile sa chair jusque sous le nombril. La troisième a de petits bois d’une vingtaine de centimètre perçant le front. Elle joue la carte de l’air timide, ses cheveux noirs coupés à la nuque. Un pendentif couleur ambre attire tous les regards pour mettre en valeur un buste aux rondeurs trop modestes. Sa robe noire s’arrête bien avant les genoux et ses talons la grandissent. Sans eux ni ses bois, elle serait la plus petite. Ses trois esclaves sont de son espèce. Et je me dis qu’il serait bien que je compose des soutiens cosmopolites. Les cinq autres filles, cent pour cent humaines, rivalisent de beauté dans leurs robes. L’une d’entre elles est une noire ébène, aux esclaves de toutes origines. Sa robe, fendue sur un côté, laisse apercevoir la peau, de son mollet jusqu’à son aisselle et donc qu’elle ne porte nul sous-vêtement.

Leur beauté et la multitude de profils me sautent au visage. Soudainement, mes neuf concurrentes font de moi une prétendante parmi les autres, cherchant à se démarquer comme elles le font toutes. Derrière des sourires aimables, je les salue, masquant mon ressenti d’une compétition excessivement rude. Le Duc, lorsque je me place à côté de Pauline face à la foule, décide d’enfoncer le clou :

— Elles sont toutes magnifiques ! Les plus belles filles du duché Cœur-Empire sont réunies ici, sans oublier l’aimable visite de Pauline du Duché des Eternels-Brûlants. Alors sans plus attendre, je vais vous laisser faire plus ample connaissance. Musique !

Les ampoules perdent un peu en intensité. Nos esclaves courent nous trouver une flûte de champagne, tandis que les convives foncent vers nous pour nous poser des questions. J’ai droit en entrée en matière par une question à laquelle je devais évidemment m’attendre :

— Alors ? Comment vous êtes-vous prise pour tuer ce dragon ?

Me voici en train de répondre, de ralentir mon élocution pour la faire la plus belle possible. Quand je pense à ma mère qui me traitait d’associable quand j’avais quinze ans. Il y a plus d’une centaine d’invités, et de ce fait, nous avons toute notre bulle d’écoute. Nous sommes les seules à parler, alors parfois, pour être certaine de rendre la conversation variée, j’invite mes interlocuteurs à me parler un peu d’eux. Certains n’osent pas, éludent, d’autres apprécient d’être considérés autrement que comme des électeurs. Les gens vont et viennent, tantôt attirés par mon histoire, tantôt attirés par l’exotisme de la grande noire. Pauline, malgré son jeune âge fait preuve d’une extrême performance de communication. L’ailée pourtant timide répond d’une voix douce et agréable. Seule, un peu à l’écart, mal à l’aise, la jeune fille avec les bois. M’apercevant que la foule lui tourne peu à peu le dos, je l’appelle d’une main.

— Viens ! Oui, viens ! Ne reste pas toute seule. Mala, va lui chercher un autre verre. Chihiro, propose des petits fours.

L’aspirante s’approche et j’entoure son épaule de mon bras.

— Jolie robe, lui dis-je. Alors comment tu t’appelles ?

— Cendre.

— Ça, c’est joli. Parle-nous un peu de toi.

— Je ne sais pas quoi raconter.

— Comment en es-tu devenue aspirante ?

— Mon village me trouvait la plus belle et… je trouve le seigneur Varrok tellement beau, que j’ai accepté. Et puis, le temps passant, me voilà ici.

— Avec tes cornes, tu as un point en commun, il devrait apprécier.

— Je ne sais pas, je ne suis jamais apparue toute nue face à lui au milieu du désert.

Elle désigne du menton Pauline qui parle avec aisance, cernée d’une vingtaine de convives.

— Apparaître toute nue ne fait pas tout. Le charme, heureusement ne tient pas qu’à ça, mais aussi au mystère. Et le mystère tient surtout à ce qu’on ne voit pas.

Les convives acquiescent bruyamment mes paroles.

— En revanche, il faut que la foule te connaisse, car ils ont aussi apparemment leur vote à amener.

Elle pince les lèvres, et je m’en sens presque peinée pour elle. La timidité est un obstacle déjà énorme pour séduire un homme, et incommensurable pour fédérer une foule. La citadelle des scribes a dû être le pire jour de sa vie.

La soirée se poursuit, et je détecte dans le dos de la brune sulfureuse à la robe rouge que ces lacets tiennent tous en un seul nœud. Je profite qu’on annonce que le repas va bientôt être servi.

— Excusez-moi, je dois prendre l’air.

Je fais signe du regard à Adelheid pour qu’elle vienne vers moi. Nous nous éloignons de la foule, regagnant le couloir frais et je lui demande :

— Ça se passe bien ?

— Oui.

— Continuez à distribuer des petits canapés y compris là où il y a les autres. Et tu vois la pute en rouge ? Pendant le repas quand nous serons assises, si jamais discrètement tu arrives à défaire le nœud… seulement si personne ne te voit. C’est dans tes cordes ?

— Facile.

Je pose un baiser sur sa joue, puis reviens vers mes invités où Cendre s’est remise en mode invisible, entourée de ses petites courtisanes aux cornes naissantes. Alors que chacun se dirige vers les tables, je lui dis :

— À nouveau silencieuse ?

Les larmes aux yeux elle me dit :

— Je ne sais pas faire la conversation.

— C’est pourtant facile, il suffit de parler. Allez viens, avec un peu de chance on va rire après le repas.

— Ah bon ?

Je m’assois entre Cendre et Pauline. Les places des aspirantes font face aux autres, tandis que le Duc et la Duchesse siègent en bout de table, à ma gauche. Mes aspirantes s’empressent de venir remplir les verres, et les concurrentes se dépêchent de les imiter La Duchesse rit :

— Damoiselle Hamestia. Vous pouvez rappeler vos esclaves, nos serviteurs vont se charger de tout.

— Les filles, revenez ici, ordonné-je.

Les autres rappellent leurs servantes, et toutes se replacent derrière leur maîtresse. Je croise le regard victorieux d’Adelheid qui me sourit. Les servantes s’assoient dans un coin à l’écart de nos chaises, tandis que les domestiques locaux nous amène nos plats, des cuisses d’animaux d’origine inconnue, trempant dans une sauce vert de gris. Pauline à ma droite soupire :

— Mon Royaume pour un Big Mac !

— Avec frites ou potatoes ? demandé-je.

— Je peux te dire que je vais vider le frigo au prochain réveil.

Je souris, en priant pour que le repas ne s’éternise pas, auquel cas nous disparaitrions toutes deux devant nos hôtes et concurrentes. Adelheid n’a pas réussi à défaire l’attache, car la robe de notre concurrente tient toujours.

Le repas est cordial. Les poignets sur la table, le dos droit, nous dégustons la viande filandreuse au fumet sauvage qui nous est imposée. Pauline et moi nous faisons aussi discrètes que Cendre lorsque certains abordent des sujets concernant certaines villes ou régions dont nous ne connaissons rien.

Alors que les conversations s’éternisent après le dessert, c’est l’inquiétude de disparaître en public qui motive Pauline.

— Bien ! Excusez-moi de vous abandonner, mais je tombe de fatigue.

— Sauf votre respect, je vais faire de-même, déclaré-je.

Je me lève, puis toutes les courtisanes nous imitent. Lorsque la bimbo en robe rouge se lève, sa robe chute toute entière jusqu’à ses pieds, la découvrant nue aux yeux de tous. Ses bras viennent la couvrir lorsque ses joues se rosissent. Les hommes détournent leur regard par galanterie devant leurs femmes, tandis que toutes les autres aspirantes se retiennent d’exprimer leur amusement.

Maladroite, stressée, elle remonte sa robe devant-elle et ses esclaves se précipitent pour défaire le nœud qui retient la robe au dossier de la chaise. Pour l’enfoncer, une des concurrentes grimace :

— C’est bien la peine de mettre des robes si sulfureuses, si celles-ci ne tiennent pas.

La bimbo torpille du regard ses deux voisines respectives, persuadée que c’est l’une d’elles qui a fait le coup.

— L’incident est clos ! s’exclame la Duchesse. C’est un accident comme il peut en arriver. Bonne soirée à tout le monde !

Je regagne mes appartements. Voilà des points en moins pour une adversaire. Demain, je m’occupe de Cendre.

J’ôte ma robe devant le miroir, observe ma poitrine sous différents angles, par peur de me voir vieillir prématurément. Un coup de blues inattendu s’abat sur mes épaules. La soirée de faux-semblants m’a éreintée. L’envie de retrouver Siloë et Chell, sans penser au lendemain, m’envahit. J’aimerais qu’elles soient là avec-moi. Je rejoins les fillettes qui ont défait leurs robes pour se coucher au milieu des coussins. Je m’allonge au milieu d’elles et étreins le dos chaud de Mala contre ma poitrine.

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