34. Formalités

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Samedi 12 octobre 2013

Siloë : Alors ?

Léna : Je te dis après.

Petit-déjeuner. Mes parents n’ont pas fait la grasse-matinée. Avant de descendre, j’ai remis mon armure. Ils ont déjà fini de manger.

— Hélène, ou Léna Hamestia, devrais-je dire. Moi-même Duc Hamel et ma courtisane, la Duchesse Hamel avons décidé de te laisser vivre ta drôle d’aventure.

L’humour paternel est toujours aussi nul, mais leur décision agréablement sucrée.

— Cool.

— À l’évidence, tu es heureuse. Il faut profiter de la jeunesse pour se faire de nouvelles expériences et nous verrons à la fin de l’année scolaire pour décider de la suite. Je pense que d’ici janvier, nous commencerons à nous faire une petite idée.

— J’espère.

— Nous ne sommes que deux à te soutenir, c’est trop peu pour kidnapper la fille d’un voisin et te l’offrir comme esclave.

Je souris.

— Vous êtes gentils.

— Dame Hamestia, voulez-vous du café ? questionne Maman.

— Oui, s’il vous plaît, Mère.

Les sourires se dessinent sur les visages, et je crois qu’à l’instant, c’est la seule chose qui importe à mes parents. Ils ne comprennent pas tout, mais du moment qu’on reste une famille, c’est l’essentiel immédiat.

Le repas terminé, je les salue :

— Bon. À ce soir ?

Je les embrasse chaleureusement, puis je quitte la maison, pour leur faire croire à un déplacement physique. Je me réfugie dans le sentier qui remonte la colline entre les maisons. Personne. Mon corps s’enfonce dans la haie pour être certaine de ne pas être vue, et je sors la pilule que j’ai cachée dans mon bras d’arme.

Et merde, je n’ai pas répondu aux filles.

Trop tard ! La haie dégouline sur moi en m’entraîne vers le sol. Je m’enfonce petit à petit. Le sol m’entrave les hanches, puis progressivement la poitrine. Je peine à respirer. Seul mon visage dépasse. Soudain, je suis aspirée.

Je me réveille dans ma chambre à Falaises Rouges. Marianne est étendue nue sur le ventre à même le sol, et mes courtisanes lui ont fait une coloration des ailes.

— Mais qu’est-ce que vous avez fait ?

— Et bien, comme ça, elle est des nôtres, répond Fantou.

— Mais le scribe ne l’a pas encore marquée. Peut-être qu’on n’aura pas assez de votes !

— Je vous l’avais dit, commente Adelheid.

Lisant la panique qui grimpe chez Fantou, je prends une voix complaisante :

— Non, mais ne vous inquiétez pas, c’est… C’est l’intention qui compte. Et ça fait de très belles ailes. Le scribe n’est pas arrivé ?

— Non, me répond Mala.

J’observe mes tubes de coloration vides. Il va encore falloir que je taxe ma mère pour en racheter.

— Restez entre copines. Je vais prendre la température.

À leur regard, je réalise qu’elles n’ont pas compris ce que je voulais dire. Je quitte la pièce sans chercher à expliquer. Mes pas me mènent à la cour, où résonnent les bruits du marteau sur le métal. L’odeur de corps brûlé a déjà disparu, il ne reste que des gerbes de fleurs déposées par des Messiens. Cela fait bizarre de voir les gens honorer l’homme qu’on a tué. Mais ce n’est même plus le meurtre en lui-même qui me met mal à l’aise, mais l’idée que mes parents apprennent un jour que je l’ai tué de sang-froid.

Quelques Messiens restés pour soutenir la famille du défunt dans ces durs moments sont regroupés près de la forge. Parmi les spectateurs, Thomas et Cendre, main dans la main observent Sigurd en plein travail.

— Je n’ai pas de mérite, ni même le talent des vrais forgerons de chez nous, mais à force d’aider, on apprend des choses, dit-il. Et voilà la dernière.

— Quoi qu’on en dise, c’est de l’art, commente une femme. Mes félicitations.

— Vous me flattez inutilement. Je ne suis moi-même pas forgeron, et nous ne faisons pas les plus belles œuvres. L’art demande aussi de l’esprit.

— Vos mains réalisent. Le produit est donc une œuvre.

J’interviens :

— Elle a raison, Sigurd. Baldrick, votre forgeron est le plus grand des artistes et il a fait autant travailler son esprit que ses mains pour concevoir mon arme.

Je sors le yoyo et le présente à chacun, en tirant sur le crin pour montrer les mécanismes. Je le dépose entre les mains de la femme, et les convives se la passent, jusqu’aux paumes du Duc qui s’étonne :

— Comment vous en servez-vous ?

— Je vous montre ?

La matinée se poursuit en démonstration, m’amène à raconter mon séjour chez les Montagnards. Comme à chaque fois que je bavarde, ça me fait apprécier.

Nous passons ensuite à la grande salle où un banquet a été dressé. Mathilde préside. Je me retrouve à la droite de Magdeleine, face au Duc et à la Duchesse. Magdeleine a une robe noire qui monte en bustier. Une veste sans aucune longueur forme des manches moulantes jusqu’à ses poignets, et entoure son cou. Elle est bouffante aux épaules, et si courte qu’elle découvre la peau au-dessus du corset. Elle laisse également le haut du dos nu pour que les ailes en sorte. Un chapeau à voile retombe devant ses yeux, et elle ne l’ôte pas après s’être assise. À ma droite, se tient dignement Vivianne Monceaux.

— Où étiez-vous donc passé ? demande la Duchesse à son époux.

— Nous sommes restés à la forge pour voir la conception des armures des archères. Dame des Genêts a soulevé un débat sur l’art et Damoiselle Hamestia nous a donc fait découvrir son arme, un très bel objet doté d’un mécanisme ingénieux.

— Cela a dû être fort passionnant, commente Vivianne.

— La pratique de ce yoyo est originale, et peut s’apparenter à une danse. Nous en revenons à l’art. Je conseillerais Damoiselle Hamestia d’en munir ses courtisanes pour développer un côté plus artistique qui puisse éblouir la foule.

— Bien, soupire la Duchesse. Notre Humaine a su vous conquérir comme elle a conquis mon frère.

— Sans nul doute. Vouliez-vous changer d’avis ?

— Nous en aurions discuté dans d’autres circonstances, je crois que j’aurais penché en votre faveur, Damoiselle Montceaux. Mais je tiens à respecter la volonté de mon frère, et mon époux semble avoir été conforté dans cette idée.

— Ne vous inquiétez pas, répond ma concurrente. Je comprends très bien. Léna a toujours su charmer les hommes.

— Qui eut cru que les hommes seraient plus charmés par le côté guerrier que par l’élégance ?

— Elle ne charme pas que les hommes, corrige Cendre toute rouge d’avoir osé prendre la parole.

La Duchesse la regarde du coin de l’œil.

— Je n’ai pas eu l’occasion de correspondre avec votre mère depuis quelques temps. Mais je crois savoir que votre ralliement fait débat au sein de votre comté.

— Nous irons rencontrer les sceptiques, répond Cendre.

— J’aimerais être présent quand vous présenterez ce jeune commis couturier à votre mère.

La Duchesse cache son sourire railleur du bout de ses doigts et Mathilde s’énerve :

— Comment pouvez-vous vous moquer de l’amour et rire alors que Père est mort ?

— Excusez-moi, Mathilde.

Le silence nous interrompt, mais ce n’est pas notre discussion qui le provoque. C’est l’arrivée de mes courtisanes, et de Marianne dans la même tenue, un bandana noir sur le crâne, les ailes d’un rouge-orangé comme le feu. La Duchesse renvoie une pique à Mathilde :

— Voilà une couleur d’enterrement.

Mais personne ne l’oit et à l’inverse, on applaudit la gamine souriante dont les plumes se déploient. Avoir la fille d’un noble parmi mes courtisanes, suffit à marquer les esprits. Même le visage de la Duchesse semble s’apaiser.

Le repas se termine lorsque le scribe fait son entrée en blouse blanche, sa mallette de cuir à la main. Les rumeurs se taisent.

— Damoiselle Hamestia ?

Je me lève.

— Scribe Quarante-quatre, pour vous servir. On m’a chargé de vous faire part des votes anticipés en votre faveur. J’en ai moi-même collecté nombreux en chemin. Depuis votre passage à Kitanesbourg, vous disposez de neuf-cent deux soutiens. Comme l’indique notre règlement, les derniers votants peuvent vous désigner une courtisane, et on m’a rapporté que c’était le cas.

— En effet, dis-je en désignant Marianne.

— Néanmoins, avant que je puisse graver le lien, il y a une formalité que je dois remplir pour la Haute Instance.

— Une formalité ?

— Un rumeur prétend que vous avez perdu votre virginité, indispensable pour le maintien de votre candidature. Je dois infirmer ou confirmer cette rumeur.

Je me tourne vers Vivianne qui sourit :

— C’est toi qui a raconté ces conneries ? — Elle lève les mains pour se défendre, je regarde le poisson. — Ce sont des fadaises.

— Je dois pouvoir le constater par moi-même.

Je fais tomber un regard de tueuse sur le scribe qui ne bronche pas. Le souvenir de la citadelle n’a rien de délicieux. L’idée de me faire encore toucher par cette horrible créature à antenne est loin de m’enchanter. Mais, impossible de se dégager des formalités administratives, surtout devant tout le monde.

— Bon, allons-y. — Le scribe ne m’emboîte pas le pas. — Vous venez ?

— Où ?

Les gens rient.

— Quelque part de plus isolé, si ça ne vous ennuie pas.

— Nullement.

— Alors venez. Marianne, tu viens ?

La Messienne saisit la main que je lui tends, et le scribe, suivi de mes courtisanes m’emboîte le pas à travers le couloir.

— Il l’a mise en colère, rit une voix d’homme.

Nous arrivons à ma chambre, et ne voulant aucune spectatrice, j’ordonne aux filles :

— Restez-là, ça ne sera pas long.

Je ferme la porte derrière le scribe numéro quarante-quatre. Je détache ma jupe de l’ensemble, puis la pose sur la banquette de pierre qui, je sais, peut servir de poste d’observation. Tandis qu’il sort ses crochets, dos à lui, je baisse mon tanga. Conservant mon armure, je m’assois sur le lit. Il porte son monocle rose devant ses lunettes pleines d’eau, puis lis l’inscription sur mon poignet.

— Allongez-vous.

Une grande inspiration, et mon corps obéit en shuntant mon esprit. J’ouvre les jambes, et les deux lames froides de son écarteur glissent entre mes lèvres avant de s’ouvrir. De l’autre main, il s’empare d’une baguette et la fait glisser le long de la vulve.

Lorsqu’il termine, je referme les jambes et m’assois. Il touille son instrument dans une fiole, et le liquide incolore devient rose.

— Il semblerait que les rumeurs soient fausses.

— Et qui vous a transmis cette rumeur ?

— Vous savez, les rumeurs s’appellent ainsi car on ne sait jamais de qui elles naissent. Le doute, la suspicion. Hors, vous êtes vierge et toujours saine.

— Sans blague.

— Je vais diffuser un démenti, Dame Hamestia. Vous pouvez appeler la nouvelle courtisane.

Je me rhabille, puis ouvre la porte.

— Entre.

Toutes mes courtisanes s’engouffrent dans la chambre et Marianne se tient fièrement à côté de moi. Le scribe qui a rangé ses fioles, sort son stylet suivi du câble prisonnier de la sacoche. La petite Messienne bloque sa respiration, et la lame glisse sous son nombril. Lorsque qu’il presse le bouton de son stylet, l’encre vient remplir la fresque, ce qui chatouille tant Marianne qu’elle en rit.

Le scribe range son matériel, ferme sa sacoche, puis reste immobile en la tenant contre lui. Je questionne :

— En avons-nous fini avec les formalités ?

— Oui.

— Bien, vous pouvez aller annoncer ça à tout le monde dans la grande salle, puis ensuite, vous pourrez retourner renifler des chattes.

— Etant donné que vous avez plus de huit cent partisans, je vous suis affecté. Je vous suivrai dans vos déplacements pour témoigner de l’impact de votre passage.

— Bien, bien… commencez par démentir, et ensuite, on vous trouvera un vêtement plus seyant.

Il s’incline, alors j’ouvre le chemin jusqu’à la grande salle. Tous retiennent leur respiration. Mes deux index pointent vers Marianne, alors ils se lèvent et applaudissent. En retrouvant l’extrémité de table, je demande à Vivianne qui a applaudit sans conviction :

— Tu en doutais ?

— Non. J’avais espéré malgré-tout.

— Ton honnêteté me touche.

— À ma place, qu’aurais-tu espéré ?

J’opine du menton et lui fais signe du doigt qu’elle a raison. Les gens scandent en chœur :

— Un discours ! Un discours ! Un discours !

Je fais signe que je vais prendre la parole, puis m’éclaircis la voix tout en cherchant mes premiers mots. Un peu comme une femme politique, je salue mes hôtes pour donner le temps à mes idées de se construire.

— Mes chers partisans, chère Mathilde, chère Magdeleine, chère Marianne, chère Duc et chère Duchesse, je vous remercie du fond du cœur de cette confiance. Pour être honnête, en venant rencontrer le Baron des Falaises Rouges, paix à son âme, je ne pensais pas obtenir ses faveurs. A contrario de mes partisans qui m’ont poussée à venir ici, je pensais qu’il préfèrerait élire une Messienne, une femme de son peuple. Connaissant la beauté infinie de Vivianne, comment aurais-je pu imaginer compter sur sa voix. Notre rencontre a été une surprise, l’un pour l’autre. Je me suis mise à nue, pour lui montrer que j’étais une femme comme une autre, et il a étouffé ses préjugés. — Mes propres jeux de mots me font sourire. — Aujourd’hui, en tant qu’aspirante impératrice, quel que soit le résultat final, j’aimerais incarner ce lien entre nos peuples. Cendre des Grisons, une Ramienne, a préféré laisser sa place pour me soutenir, et hier, le plus réfractaire des Messiens m’a accordé sa confiance. Sten, de par ses origines, appréciera ce mélange cosmopolite et pacifique. Je vous dis merci, du fond du cœur. Merci beaucoup

Une ovation s’élève. Seule la Duchesse reste un peu fermée tandis que ses deux paumes claquent l’une contre l’autre. Tant pis si elle vote pour moi à contrecœur. Mes votes sont désormais acquis, nous pouvons partir. Vivianne fait une moue pour lui indiquer que mon discours ne l’a pas laissé indifférente.

La cérémonie passe, puis nous préparons notre nouvelle cohorte. Magdeleine qui me voue une admiration secrète est du voyage avec sa petite sœur. Il faudra que je puise dans tout mon amour maternel pour que, si complot il y a, Marianne devienne un obstacle et non une alliée de ses sœurs. Les armures assemblées par Sigurd vont à quatre archères ailées. Avec les six barbus et les quatre Ramiens, je possède désormais une petite armée de quatorze personnes. Avec eux : quatre partisans, cinq courtisanes auxquelles s’ajoutent trois autres pour Cendre, et le scribe numéro 44.

Fin d’après-midi, notre cortège de vingt-huit véloces et dix dinosaures de bât, reprend le chemin escarpé à flanc de montagne, en direction du comté des Verts-Bois.

Le soir tombe très vite, et nous trouvons une clairière escarpée pour monter les tentes. Lorsque la nuit tombe, je me réfugie avec les filles. Tandis que trois d’entre elles déroulent le tapis de fourrure, Fantou et Adleheid desserrent mon plastron. Marianne, immobile, s’excuse :

— J’ignore comment vous rendre service.

En effet, à six, il reste peu de tâche. Amusée par la situation, une fois ma robe ôtée, je m’assois puis lui ordonne :

— Et bien sois tu dors vêtue, sois tu défais ta tenue.

Elle hésite, puis se dévêt sous le regard amusé des autres qui l’imitent sans qu’elle s’en rende compte. Les ailes resserrées autour de son corps nu et frigorifié, elle me demande :

— Et maintenant ?

— Assieds-toi ici.

Elle s’installe à côté de moi, et les autres ramènent la grande fourrure sur nos épaules. J’éclaire mon menton avec mon téléphone et questionne :

— Connais-tu l’histoire des trois brigands ?

Elle secoue la tête, tandis que les autres s’enthousiasment d’une nouvelle histoire. Mes souvenirs reconstruisent les bribes de souvenirs de ma propre enfance. Les trois brigands, adoptant une petite fille avant d’accueillir une fourmilière d’orphelines me font penser à moi, à Fantou, et à mes spectatrices. Le noir, le rouge…

Ce soir, c’est Marianne qui se blottit dans mes bras. Je remplace l’affection maternelle dont elle a manqué, et que l’éloignement de ses sœurs va aggraver. Fantou nous borde et m’octroie un regard complice. Les grandes ailes douces de Marianne se referment sur moi, et la lueur du téléphone se coupe. Mes doigts parcourent ses omoplates et étudient les articulations de ses membres.

— Merci de m’avoir emmenée.

La sincérité de son remerciement humidifie mes yeux tant sa tessiture est émotive. Les derniers regrets d’avoir tué son père s’envolent à tire d’ailes.

— C’est un plaisir, murmuré-je.

Soudain un air glacé remplace l’étreinte douce du plumage. Les branchages du buis s’enfoncent dans ma peau. Je suis dans le chemin derrière chez moi, en tanga, et il fait nuit. Putain quelle conne ! J’avais oublié !

Je passe un bras devant la poitrine puis remonte le sentier, pieds nus et gelée. Sans croiser personne, je parviens à la maison, et traverse pas après pas le gravier douloureux. Evidemment, c’est fermé à clé. Je contourne la maison et soulève la pierre en espérant que le jeu de clé de secours n’a pas encore été perdu par mon frère. J’enfonce la main dans le trou plein de toiles d’araignée, jusqu’au coude, jusqu’à sentir la boucle de métal sous mes doigts. Ouf !

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