49. Par les cachots

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Mardi 13 novembre 2013

Je me réveille avec la bouche pâteuse. Ma robe a soigneusement été pliée par une courtisane. M’asseyant dans le lit en repoussant la couverture de fourrure, je découvre Siloë en position fœtale qui me tourne le dos, la peau blanche toute aussi dénudée que la mienne.

La première fois que Siloë et moi avons été nues face à face, nos corps se transformaient. À l’époque, c’était un symbole fort de nos liens affectifs. Le partage d’une telle intimité résulte qu’une amitié devient une sororité. Par la suite, la frime s’est invitée dans notre duo. Il y a toujours eu un petit peu de piment à partager la salle de bains ou la chambre, parce que je commençais à me trouver canon et que je voulais que quelqu’un puisse en juger. Avouons-le, à voir sa croupe nue et ronde qui me fait face, Siloë aussi est devenue canon. Je fais pianoter mes ongles sur sa peau blanche.

— Mmm ?

— Réveille-toi, Poulette.

Siloë préfère ne pas bouger pour apprécier ma tendresse tant que ma main poursuit son parcours. Seulement ensuite, elle se tourne sur le dos. En voyant ma mine aussi chiffonnée que la sienne, un sourire se dessine sur ses lèvres.

Ces nombreuses semaines passées dans ce monde m’ont obligée à étendre le privilège de ma beauté bien plus qu’à Siloë, Chell ou même Fantou. Une vieille lubrique a salivé devant mes courbes, des rivales s’y sont comparées, et le magnifique Sten s’est fracturé la rétine. Malgré ça, me réveiller ce matin à côté de Siloë, sans autre atour que notre couleur artificielle, ça me rappelle que nous sommes telles des sœurs siamoises, sans secret l’une pour l’autre. Elle tend la main vers mon épaule et caresse mon bras.

— Bien dormi, Dame Future-Impératrice ?

— Comme après une cuite.

— Ça rappelle des souvenirs.

J’opine du menton tandis qu’elle s’assoit en tailleur. Pour autant que je me souvienne, nous nous levions très tard, et nous portions des pyjamas. Je lui demande :

— C’est toi qui m’a déshabillée ? Je ne me souviens pas. On discutait et…

— On m’a aidée. Il est quelle heure ?

— Je n’en sais rien.

— La grasse-matinée n’existe pas dans ce monde ?

Elle se laisse retomber sur le dos, les cheveux bleus étalés sur l’oreiller, et elle croise une jambe sur son genou. Je lui confie :

— J’aimerais libérer Victor avant qu’on vienne nous réclamer pour ci ou pour ça.

— Pourquoi tu veux le libérer tout de suite ?

— C’est Chell qui lui a donné les pilules, ça change tout. Je veux dire, il est moins coupable.

— Chell a dit qu’elle lui avait donné, et il te les vendait.

— Ouais, mais ça m’aurait paru louche qu’il me les offre.

— T’as failli te faire enculer pour ça.

— Oui, mais vous m’avez sauvée.

— Où est la Léna qui tue des dragons et des barons ?

— Victor est innocent, c’est différent.

— OK. On y va avant manger.

Quelques minutes plus tard, Malika a appelé Matthias et nous avons revêtue nos robes de la veille. Notre valet attitré nous guide dans les sous-sols du palai. J’ai préféré écarter les courtisanes de cet endroit.

Les couloirs menant aux geôles sont étroits, sombres et puent un mélange suffoquant de sueur et d’urine. Malika serre la gorge pour ne pas se montrer incommodée. Et les premières cellules fermées par de larges grilles jalonnent le corridor.

— Nous y voilà, indique Matthias.

La silhouette de Victor est recroquevillée dos à nous au fond de l’étroit cachot.

— Victor, articulé-je.

Il se retourne brutalement, puis se précipite sur les genoux pour saisir les barreaux.

— Hélène ! Sors-moi de là par pitié !

Son visage émacié, ses yeux cernés me font peine à voir. En quelques jours à peine, il s’est transformé en zombie.

— Je n’ai pas envie de te voir mourir ici, Victor. J’ai appris qui t’avait donné les pilules. Si je l’avais su, je ne t’aurais pas envoyé ici. Mais je ne te ferai sortir que si tu m’appelles par mon vrai nom.

— Léna ! S’il te plaît.

Autrefois, il n’aurait pas cédé, trop amusé à me faire bisquer. J’adresse un regard à Matthias.

— Pouvez-vous vous dire à Sten de le renvoyer d’où il vient.

— Le Seigneur Varrok est en train de s’entraîner, à quelques pas d’ici.

— Et bien allons le voir, suggère Siloë.

— Nous revenons, dis-je à Victor.

Matthias nous conduit à travers les couloirs de cachots jusqu’à une grande salle d’entraînement. Quelques soldats de la garde rapprochée se tiennent le long des murs. Sten est torse nu, seul face à un prisonnier, à peine vêtu, mais armé d’une dague. Celui-ci tourne, comme un mouton pris dans la cage d’un lion. Matthias nous fait signe de ne pas interrompre le duel. Aucun souci, j’admire la silhouette musclée de mon potentiel futur mari. Un rictus amusé souligne ses yeux de prédateur. Il avance sur le prisonnier. Celui-ci essaie de frapper avec la lame. Sten bondit sur lui en projetant un coup de genoux, puis il agrippe son adversaire qui chancèle sous ses frappes. Il l’empoigne, le projette vers le plafond, puis place sa ramure sous la chute. Le prisonnier s’embroche sur les bois affutés. Malika détourne le regard. Siloë murmure en voyant le sang qui ruisselle sur le crâne de Sten :

— Trop, trop stylé !

Je reste raide, à la fois impressionnée par la force animale avec laquelle il a soulevé sa victime et choquée par une telle barbarie. Venant de Sten, ça ne devrait pourtant pas m’étonner. Matthias nous explique :

— Chaque prisonnier peut acheter sa liberté s’il parvient à tuer l’Empereur dans un duel.

Sten nous aperçoit, penche la tête pour laisser glisser le gisant. Deux séides l’aident à débrocher le corps, puis un de ses jeunes courtisans vient essuyer le sang. Il s’avance vers nous et plonge ses yeux dans les miens.

— Je ne m’attendais pas à avoir si charmante visite en sous-sol.

— Je ne suis pas du genre à être où on m’y attend.

— C’est ce qui vous rend différente de toutes les autres.

— Je venais voir mon prisonnier. Et je pense que la punition a assez duré. Je voudrais le renvoyer vers son monde.

— Je vous croyais plus impitoyable que ça.

— J’ai découvert qui vendait les pilules.

— Ah ?

— Ma sœur, Léa l’Exilée. C’était un cadeau-mystère pour me remercier de tout le soin qu'elle a eu de ma part et de celle de Siloë.

— Elle n’était donc pas si surprise de vous rencontrer à la citadelle.

Merde, il faut que je rattrape la boulette.

— Non, mais elle a préféré vous dire cela. Elle m’a dit qu’elle craignait votre réaction car votre père a été l’ennemi de sa famille. Il semble que le Duché Noir voudrait oublier cette époque.

— Je n’en doute pas.

Voyant qu’il joue et se méfie, je décide de tendre ma toile de séduction. Je glisse mes doigts vers sa ramure, caresse son visage en passant, puis, les yeux dans les yeux, je lui dis :

— Sœur ou pas sœur, je compte bien gagner quand-même. Il vous en reste un peu.

J’essuie une trace de sang de sa corne et mets l’index en entier dans ma bouche. Je vois bien dans ses yeux que je suis en train de le rendre fou. Je passe mon index couvert de salive sur son pectoral, juste à côté de son mamelon. Il me saisit brutalement et me plaque au mur.

— Ne jouez pas trop avec moi, sinon, je ne vais pas me retenir.

Ses muscles chauds écrasent mon ventre nu, alors mes jambes s’extraient par les ouvertures de ma robe pour se nouer autour de ses hanches. Ses doigts découvrent mes cuisses avec appétit. Mes mains galopent dans son dos et je mords délicatement sa lèvre pour le provoquer. J’articule malgré le souffle comprimé :

— Ma sœur ne sera qu’un mariage d’arrangement. Moi, je vous désire réellement. Elle ne vous ouvrira les cuisses qu’une fois mise sur le dos. Moi, je vous ferai toutes les positions.

— Vous êtes la plus audacieuse de toutes.

— Alors si vous voulez ne pas connaître qu’une seule de mes facettes, retenez-vous bien.

Je passe la pointe de ma langue brièvement sur sa bouche, juste avant qu’il libère son étreinte. Il tourne le visage vers le garçonnet.

— Donne-moi une dragée verte.

À son timbre, je devine qu’il résiste pour ne pas céder à mes charmes. J’observe Siloë et Malika déconfites puis tends la main au garçon qui dépose la précieuse ecstasy dans son creux. L’Empereur déclare :

— Je vous retrouve au déjeuner.

Je pose un baiser sur le bout de mes doigts que j’appose sur son pectoral, juste pour le plaisir de le chahuter en dernière fois. Puis, j’ouvre le pas en chantonnant :

— À tout à l’heure, mon amour.

Aussitôt que nous retrouvons les premiers cachots, Siloë s’exclame :

— Putain comment c’était chaud ! Tu l’as trop bien mis en rut ! Même-moi je suis toute trempée, là ! J’ai cru que vous alliez baiser sous nos yeux. !

— Je partage ce sentiment, ajoute Malika.

— En tout cas, tu as repris du poil de la bête.

Nous parvenons à Victor, à qui je tends la dragée.

— Un pilule noire pour aller en prison, une verte pour repartir. Oublie tout ce que tu as vécu ici et jette les pilules bleues frelatées que tu vendais.

— D’accord.

— D’accord qui ?

— D’acc, Léna.

Il saisit la pilule. À peine est-elle enfournée dans sa bouche qu’il disparaît. Je propose :

— Bien, on retourne à la chambre prendre un petit-dej ?

— Je suis curieuse de voir comment va se dérouler le déjeuner, confie Siloë.

Vers midi, l’esprit apaisé par la libération de Victor, je rejoins la table ronde des Aspirantes. Exceptionnellement, l’Empereur déjeune uniquement avec nous cinq. Lorsque j’arrive aux côtés de Chell, ses yeux s’accrochent à moi comme si j’étais la seule qui existait. Je savoure ce petit retournement de situation. Prenant place sur la chaise que me présente Fantou, je lui demande :

— Vous êtes vous remis de notre rencontre ?

— Comme après chacune d’entre elles, répond-il.

— Et elle ne vous a pas donné envie de renvoyer chacune de mes rivales chez elles ?

— Non. Et vous ne devriez pas soulever ces questions ambiguës, vos rivales vont supposer que vous vous êtes abaissée à des actes dégradants pour obtenir mes faveurs.

— Nous n’avons fait que discuter.

La jalousie noircit le regard de Gaëlle, la gêne empourpre les joues de Kalia, la curiosite ouvre les paupières de Chell, tandis que l’amusement étire les lèvres de Pauline. Alors qu’on nous sert du vin, l’Empereur entonne.

— Bien, trinquons aux huit jours à venir. — Chacune se redresse sur sa chaise et brandit sa coupe, puis il poursuit. — Les scribes vont vous attribuer l’ordre dans lequel vous rencontrerez les Duchés Voisins. Vous aurez à chaque fois deux jours pour rencontrer leurs représentants et vous montrer sous votre meilleur jour. Il fait peu de doute que chaque Duc et chaque Duchesse voudra voir gagner sa championne. Il faut donc faire pencher la balance. Si l’une d’entre vous ne parvient pas jusqu’à la fin, les voix du duché qui aura perdu sa championne pourront jouer.

— Logique, commente Chell.

— Pourquoi l’une d’entre nous ferait l’erreur de se disqualifier ? questionne Pauline.

— J’y viens. Après ces huit jours de rencontres, vous aurez cinq jours pour préparer la grande Réception des Empereurs voisins. Vous aurez chacune une journée privilégiée avec nos invités. Leur vote aura une grande influence, car les bonnes relations avec eux sont primordiales pour une paix stable. Si un seul d’entre eux est particulièrement insatisfait de sa rencontre avec vous, cela vous disqualifiera.

Chacune d’entre-nous se raidit. Il ne suffit plus d’éliminer juste la concurrence. Il ne suffit plus de récupérer les voix du Duché Noir et de marcher droit vers la victoire. Même si je parviens à séduire les quatre autres Ducs et Duchesses, un Empereur pourrait me faire éliminer pour une erreur de conduite. Avoir Malika à mes côtés ne sera plus un luxe.

Tout le repas, une certaine tension s’est fait sentir. Les filles ont parlé des empereurs voisins. Ce que j’en ai retenu, c’est que le premier a plusieurs femmes, et que le second espérait que sa fille épouse Sten. Ce dernier n’a pas expliqué la motivation de son refus, mais il apprécie que la future Impératrice soit désirée par son peuple, et non pas un visage imposé par le royaume voisin.

L’après-midi arrive. Je suis dans ma suite avec Siloë et nous faisons une partie de dames pour tuer le temps, dans l’attente de la liste des rencontres. Malika et Matthias entrent avec le scribe 44. Ma conseillère déclare :

— L’ordre des visites est officiel.

— Bien. J’écoute.

Matthias lit un parchemin :

— Vous irez demain aux Duché des Eternels-Brûlants. Ensuite, vous serez attendue dans le Duché-Noir. Le Duché des Hauts-Ligneux suiveront, et vous terminerez par le Duché Fort-Littoral.

— Je note que vous avez bien pris connaissance de la liste, indique le scribe 44.

— Oui. Merci, vous pouvez disposer. Malika. Peux-tu rester que nous en discutions ?

La créature à lunette et le valet se retirent. J’indique à Fantou et Zélia de finir la partie de dames à notre place. Malika, Siloë et moi prenons place parmis les coussins.

— Alors ? Quelle stratégie on adopte ? Tous les Ducs et Duchesses doivent s’en ficher de me voir.

— Non, répond Malika. Tu restes potentiellement la future impératrice. Ils veulent vous avoir toutes vues, et faire la meilleure impression.

— Logique, ajoute Siloë. Au cas où, quoi.

— Bref, mais faut les séduire en retour aussi, supputé-je. Si jamais Pauline est éliminée, il faut que les Eternels-Brûlants votent pour moi, idem pour les Hauts-Ligneux, etcetera.

— Il faut les battre sur leur propre terrain, propose Siloë. Je veux dire : pour les Eternels-Brûlants, ils n’ont pas élue une guerrière. Alors, il faut être tout ce que Pauline incarne. À l’inverse, à fort-Littoral, il faut être une guerrière encore plus remarquable que Gaëlle.

— Et aux Hauts-Ligneux, il faut que je sois plus jeune que Kalia ? ironisé-je.

— Siloë a raison, raisonne Malika. Mon comté est frontalier avec un comté du Duché des Eternels-Brûlants. Ils veulent une impératrice raffinée, élégante. Pauline a tout un mythe qui l’entoure, c’est l’élue apparue au milieu du désert, c’est une envoyée du destin. Il faudra mettre l’armure du côté.

— D’accord.

— J’ai ce qu’il faut pour une tenue appropriée, sourit Siloë.

— Et pour le Duché-Noir ?

— Il faudra prendre conseil auprès de Léa… ou Chell, comme vous l’appelez, suggère Malika. Les aspirations politiques y sont assez compliquées.

Siloë opine du menton puis dit :

— Et pour concurrencer Kalia ?

— Que l’orgie qui a suivi son élection soit une rumeur ou non, sa victoire a engendré de larges déceptions. Les autres favorites font mauvaises mines. Il faudra se servir de ça pour retourner la situation. Avec un peu de chance, même si aucune Aspirante n’est éliminée, nous pouvons récupérer beaucoup de voix.

— D’accord, opiné-je. Me mettre les gens dans la poche, je sais faire.

— Et Gaëlle ? interroge Siloë.

— Elle est dangereuse, deviné-je. Son style imite le mien. Et elle a l’appui d’une ancienne courtisane du Duché Cœur-Empire. Irène.

— Il y a des rites guerriers dans les grandes familles du Duché Fort-Littoral, révèle Malika. Il suffira de relever l’un d’entre eux. Je vais me documenter à ce sujet.

— On se concentre sur les Eternels-Brûlants, conclut Siloë. Je vais chopper Thomas pour qu’il se mette au travail ! Une robe différente par Duché !

Siloë se lève brûtalement, et prend la direction de la porte. Malika se lève à son tour et déclare qu’elle va se documenter. Je me retrouve seule avec mes courtisanes.

— Léna ! Tu fais une partie avec nous ? demande Marianne.

— Non. Donne-moi mon bustier et ma jupe. J’en ai marre d’être le nombril à l’air. Je vais aller me balader.

Chihiro est plus rapide qu’elle.

Aussitôt changée, j’apostrophe la sentinelle à ma porte.

— Où sont les autres ?

— Elles s’entraînent avec Sigurd.

Les questions de Siloë concernant Frithjof me revenant, je lui dis :

— Emmène-moi.

La sentinelle me guide, tandis que les six gamines qui me servent d’ombre m’emboîtent le pas. Elles ont beau être charmantes, c’est très vite agaçant.

Au rez-de-chaussée de mon aile, il existe une salle dédiée à l’entraînement. Sigurd, assis sur un banc, observe ses propres guerriers combattre contre ma garde personnelle. Je fais signe aux courtisanes de me laisser, puis je m’assois à côté de lui. Il esquisse un sourire après m’avoir accordé un coup d’œil.

— Tu t’es décrochée de ta sœur siamoise ?

— De temps en temps, un peu de solitude, c’est apaisant. J’avais envie de discuter autrement qu’entre femmes ou filles.

— Et bien vois-tu, même dans les soldats, il y a des femmes, maintenant.

— Elles se battent bien ?

— Ta garde rapprochée a une bonne expérience, bien meilleure en corps à corps que les archères Messiennes. Mais elles doivent encore éprouver leurs techniques.

— Je te remercie pour tout ce que tu fais pour moi. Nous n’avons même pas pris le temps de repasser par ton village. Il doit te manquer.

— Ma femme me manque beaucoup. Mais je ne regrette aucunement de t’accompagner. Hier, j’ai vu une fille ambitieuse et courageuse, de la même trempe que celles qui naissent aux bords de nos lacs… de la même trempe avec quelque chose en plus. Aujourd’hui, je vois quel rang tu mérites.

— Tu me flattes trop. Moi, je m’en veux de vous avoir arrachés à vos terres. Mes courtisanes sont toujours souriantes, et j’apprécie la présence rassurante d’Adelheid. Mais elle aussi, sa mère doit lui manquer.

— Dans quelques jours, une fois l’élection passée, ce sera du passé. Je pense que tu trouveras le temps de passer nous voir au village. Et si tu es élue, la goire sur Adelheid sera plus grande. Je suis extrêmement fier de la savoir dans ton cercle fermé.

Je pose ma joue sur son épaule et lui confie :

— J’aime bien ta voix rocailleuse. Tout le monde l’aime bien. Tout le monde t’écoute.

Un rire insonore fait tressauter son épaule et m’oblige à me redresser. Frithjof entre dans l’arène pour faire face à une de mes gardiennes.

— Dis-moi, Sigurd. Est-ce que certains de tes hommes ne se seraient pas amourachés de Siloë ?

— Ils ne savent pas tenir leur langue. Aucun d’entre eux ne mérite la sœur de l’Impératrice. Je m’excuse de la vulgarité qui agite la langue de ces deux-ci.

— Deux ? Lesquels ? Frithjof ? Et puis qui ?

— Je ne te le dirai pas.

— Pourquoi ? Je ne vais pas les manger. Je suis juste curieuse.

— Ils ne méritent pas l’attention que leur donne Siloë. C’est une fleur d’une beauté aussi rare que la tienne, et ils tiennent des propos sur elle sans poésie aucune.

— C’est ce que dit le cœur qui compte, pas les mots. Ils ont dit quoi ? Qu’elle avait un beau cul ?

Préférant fuir la conversation, il hurle à la sentinelle :

— Bouge ! Ne reste pas face à lui ! Esquive ! Rentre dedans !

— Bon, j’y vais. Bon entraînement.

Maugréant intérieurement de ne pas lui avoir fait dire, je décide d’aller trouver Jeannine. Les couloirs parcourus par mes partisans m’octroient des saluts en grand nombre. Je croise les danseuses recrutées depuis Kitanesbourg. Quelques commis s’arrêtent de courir avec des étoffes dans les bras, pressés sans aucun doute par Thomas.

Puis je parviens à trouver ma cuisinière, un peu amaigrie par les voyages, vêtue d’une robe noire et d’une broche nacrée représentant mon emblème. Elle parcoure les stocks de vivre pour préparer les prochains voyages.

— Ah ! Dame Léna ! J’étais en train de voir ce que nous pourrions emmener. Nos voyages vont être courts.

— Dame Léna ? Et bien, vous me servez trop d’honneur Jeannine.

— Je n’ai aucun doute quant à votre élection. Siloë nous a conté votre échange de ce matin avec Sten. Elle nous a dit qu’il peinait à vous résister.

— Il n’y a aucun doute sur notre attirance mutuelle. Mais ce n’est pas ce qui fera mon élection.

— Nous nous y emploirons. Que puis-je faire pour vous ?

— Je voulais discuter avec vous.

— À quel sujet ?

— Ma foi, de vous. Vous m’êtes fidèle depuis le début, vous êtes la première à m’avoir soutenue, et ces derniers temps je n’ai eu guère un moment à vous accorder.

— Mais diantre ! C’est normal !

— Dans ce monde, peut-être, pas dans ma conception des choses. Sans vous, je ne serai pas là aujourd’hui.

— Sornettes ! Votre beauté vous y aurait conduit.

— C’est vous qui m’avez parlé du concours. Bon, vous vous plaisez bien en ces murs ? Vous n’êtes pas trop épuisée ?

— Non ! Je n’ai jamais été aussi débordée. Je n’ai le temps de rien. Je nourris vos partisans, et c’est un honneur. Je vous serai fidèle quoi qu’il advienne.

— Si vous êtes fidèle, vous ne me cacherez jamais rien.

— Dam Non ! Que j’aille en enfer si c’était le cas !

— Qui sont les deux montagnards qui ont flashé sur Siloë ?

— Oh ! Je pourrais vous dire beaucoup de noms. Mais ceux dont le cœur est vraiment atteint, ce sont les deux cousins. Frithjof et Haldor !

— Vous êtes merveilleuse, Jeannine.

— Pourquoi ?

— Sigurd n’a pas voulu me dire.

— C’est un homme de principes, et de valeurs.

— De quoi ? Il n’a pas compris ce que j’en faisais des valeurs ?

— Je pense qu’au début, c’est ce qui lui a plu chez vous. Mais désormais, vous êtes une reine à ses yeux.

— Je vais croire qu’il est amoureux de moi. Il est marié, vous savez ?

— Non, je ne dirais pas ça. Ça va au-delà de ça. Je vois bien que vous ne réalisez pas qui vous êtes pour vos partisans.

— Peut-être pas.

— Sigurd vous considérait un peu comme une de ses filles au début. Et, depuis qu’il vous a vu à l’élection ducale, c’est au-delà de ça, c’est de la vénération. Tous les Montagnards ont cette sensibilité à votre égard. Et elle se transmet. Vous ne vous rendez pas compte de l’honneur qu’ils ont de vous servir. Ça passe au-delà de tous les devoirs. Vos quatre soldates personnelles vous perçoivent comme une demi-déesse en pleine ascension.

J’écarquille les yeux :

— Va falloir que vous redescendiez tous de votre nuage.

— Dame Léna. Vous allez être Impératrice.

— Ou pas.

— Même si vous ne le devenez pas, vous êtes à deux doigts. Vous avez une relation privilégiée avec l’Empereur que nulle autre n’aura jamais. Moi, quand l’Empereur s’arrêtait à ma taverne, mais j’avais le cœur qui explosait. C’était un miracle de le voir dans ma modeste taverne. Et grâce à vous, il est revenu une deuxième fois ! Vous imaginez l’honneur ? Et aujourd’hui, je suis dans son palais ! Aujourd’hui, je suis la cuisinière de vos partisans ! Je vous parle à vous qui êtes peut-être la future souverraine de Varrokia !

Je pince les lèvres, embarassée de tant de vénération.

— Bon, vous êtes heureuse, donc, ça me convient. Je vais retrouver Siloë.

— Elle est au métier à tisser.

— Merci.

Je quitte la réserve avec une sensation à la fois délicieuse pour l’ego et dérangeante pour la conscience. Mes pas me mènent à Thomas, Cendre, Siloë et les nombreux commis. Thomas se raidit en m’apercevant et s’interrompt. Siloë me charrie :

— Tu veux gâcher la surprise ?

— J’ai peut-être mon mot à dire.

— Tu as été déçue, jusqu’ici ?

— Non.

— Tu devrais aller à la réception de l’aile pour recevoir les commerçants.

— Avant, j’ai un truc à te dire.

Elle s’éloigne avec moi et je glisse ma bouche dans ses cheveux pour lui murmurer :

— Tous les soldats te reluquent. Mais y en a deux qui en pincent vraiment pour toi. Frithjof et Haldor.

Siloë a les yeux qui pétillent. J’interpelle un des commis :

— Va dire à la foule que je vais la recevoir. Le temps de récupérer ma garde rapprochée.

D’un œil, j’ordonne à la sentinelle qui m’a suivie de regrouper ses copines.

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