55. Gang de rouquines (partie 3)

8 minutes de lecture

Plusieurs heures plus tard, une fois mes anciennes rivales installées, c’est avec un grand plaisir que je retrouver les murs de ma suite au château impérial.

Dans mon bain, seule, je me laisse bercer par le massage du cuir chevelu opéré par Chihiro. De chaque côté de moi, Fantou et Zélia massent mes bras, des doigts aux épaules, dénouent le stress latent créé par les rencontres. Mala, Marianne et Adelheid ne disent mot, me préservant dans un cocon de silence zen. Plus qu’un duché à aller voir et nous nous rapprocherons de l’élection. J’espère que Siloë a prévu une robe plus confortable que la dernière.

On frappe à la porte. Marianne s’exclame :

— C’est qui ?

— Malika, répond la concernée.

— Deux minutes, réponds-je.

— Deux minutes ! crie Marianne.

Je me lève et m’avance contre la serviette qu’Adelheid et Mala me tendent. Elles épongent ma peau, puis me présentent ma belle jupe noire brodée d’or avec mon bustier assorti.

— Merci, vous pouvez rester dans le bain.

Je ferme le rideau, puis avance jusqu’à la porte, m’étonnant de trouver ma conseillère seule.

— Siloë n’est pas avec toi ?

— Elle se repose dans sa chambre.

Je hausse les épaules et l’invite à rentrer. Malika me dit :

— Je suis venue pour préparer la dernière visite.

— Et ? Comment on convainc les élites du Duché Fort-Littoral ?

Nous nous asseyons dans les coussins. Elle croise ses jambes puis me dit :

— Gaëlle est la plus dangereuse car elle est ta semblable. Comme toi, elle est plus mâture que Kalia ou Pauline. Elle fait preuve d’éducation et de retenue auprès de l’Empereur. Après que ta légende de tueuse de dragon se soit répandue, elle a été accomplir les rites guerriers de chaque comté. Donc la seule façon de faire vibrer son électorat c’est d’être meilleure guerrière qu’elle.

— C’est curieux qu’ils n’aient pas élu une gamine qui fait sa poupée comme partout ailleurs ?

— Comme quoi le peuple ne cherche pas forcément une impératrice effacée et soumise.

— Et donc, il faut que j’accomplisse toutes les épreuves en deux jours ?

— Ce serait difficile. J’en ai sélectionnée une très ardue, mais c’est encore la saison, et elle se pratique à quelques kilomètres du palai ducal.

J’ai envie de dire à Malika que je ne suis pas une farouche amazone comme le veut la légende. Mais ce serait ruiner l’idée qu’elle se fait de moi.

— En quoi ça consiste ?

— Vous savez nager ?

— J’ai appris.

— Voler un œuf de dragon de mer. C’est la dernière chose que Gaëlle a fait, et peu d’homme osent le tenter. Tu n’as le droit qu’à un couteau et un pagne, tu sautes du haut d’une falaise de vingt mètres, tu nages jusqu’au récif du dragon, tu voles l’œuf et tu reviens en escaladant la falaise.

— Tout en tenant l’œuf ?

— Gaëlle l’a fait.

— Et il y a d’autres épreuves ?

— Là-bas, non. Il y en a une pour les jeunes, mais la saison est terminée.

Je ne vais pas dormir de la nuit. N’y a-t-il pas un meilleur moyen pour battre Gaëlle à son jeu ? La cicatrice que ma laissé le mage sur mon ventre ne fait-elle pas assez guerrière ? Faut-il que je revienne éclopée, en laissant ma jambe dans la gueule d’un dragon ?

— Bon. Admettons. Que sait-on qui puisse aider ?

— Je sais que la grotte est sombre et que les œufs sont sous l’eau. Je sais aussi que durant l’après-midi, quand l’eau est plus chaude, la mère dragon est éloignée du nid. Elle chasse. Et si elle revient, elle est repue.

— Repue, ne signifie pas qu’elle ne sera pas agressive.

— Comme toute femelle défendant sa progéniture. Mais ce rite du vol de l’œuf est tout un symbole, car les dragons de mer sont un vrai problème pour les pêcheurs. Donc limiter leur nombre par ce biais, c’est un geste sacré. Si tu y parviens, tu rentres dans le panthéon de leurs héros.

— Et le pagne, c’est quel genre ? Un truc imposé ou je peux mettre un string dessous ?

— Je l’ignore. J’ai demandé à Thomas de te fabriquer un pagne avec ton effigie et un bandeau pour maintenir la poitrine.

— Je suis ravie de ne pas avoir à me balader les seins à l’air devant les nobles de Fort-Littoral.

Un message sur le groupe Rainbow Sorority me siffle. Je tends la main vers le téléphone qui gît sur le lit.

Chell : Quoi neuf, poulettes ? Je suis rentrée.

Léna : Je suis avec Malika, on a bientôt fini, on peut se retrouver à ma suite.

Chell : J’arrive

— Bon, conclus-je. Léa l’Exilée arrive. Autre chose pour me préparer ?

— Non. Je suis impatiente de voir l’épreuve.

— Je te comprends.

Malika se lève, s’incline puis s’éclipse. Si je réussis l’épreuve, je m’assure l’adulation éternelle de mes partisans. Si je rate, je meurs. Si je ne fais pas l’épreuve, je perds le dévouement de ma conseillère, mais je reste en vie. Quelle est l’importance de l’admiration de Malika ? Est-ce que jouer avec ma vie va me faire gagner une élection ? Est-ce que je suis encore elligible avec un bras en moins ou le visage défiguré ?

On frappe à la porte.

— C’est Chell ?

— C’est moi.

— Entre.

Ma meilleure amie entre, vêtue d’une robe de dentelle plus blanche que sa peau. Des serpents noirs s’entrelacent dans le feuillage blanc. Une sorte de soie translucide laisse deviner la teinte rose des pointes de ses seins.

— Whaoo !

— C’est ta robe de bal de Kitanesbourg qui a inspirée mon couturier.

— Le duc a dû être séduit.

— Je pense. J’ai beaucoup parlé de ma sœur Léna. On m’a dit que l’élégance de ma robe ne surprenait pas, si j’étais ta sœur. Que je tenais également de ta beauté, que j’étais la glace et toi le feu, la sagesse et l’intrépidité.

— Ouais, en parlant d’intrépidité…

— Tu as l’air patraque.

— Oui, parce qu’en parlant d’intrépidité, Malika voudrait que je pêche un œuf de dragon à Fort-Littoral.

— Ah ! Il paraît que ce n’est pas si dur. Faut savoir nager, et faut y aller deux heures après le zénith, quand le soleil a commencé à chauffer l’eau, la femelle s’en va.

— C’est ce que m’a dit Malika. Tu me rassures un peu… juste un peu.

— Si tu veux te détendre, on peut se faire un narguilé.

J’hésite, le bon souvenir de la dernière fois me titille. Ça aura le mérite de me faire penser à autre chose.

— Grave ! Je vais chercher Siloë. C’est bizarre qu’elle n’ait pas répondu sur Whatsapp. J’espère qu’elle n’est pas malade. Restez ici les filles !

Je quitte ma suite avec Chell, et nous traversons le couloir jusqu’à la chambre de Siloë. Je frappe, puis je dis à Chell :

— Elle est peut-être en bas, avec ses deux prétendants.

La porte s’ouvre doucement et le visage rayonnant de Siloë apparaît. Elle tient contre sa poitrine un linge de bain et murmure :

— Je suis occupée.

Je pousse la porte pour savoir lequel est l’élu, et je découvre deux hommes assoupis dans son lit. Frithjof et Haldor, le brun et le blond. Ils cachent leur sexe d’un même geste en me voyant, puis quittent le lit.

— Non, restez, leur ordonné-je. J’espère en tout cas que vous êtes de bons amants.

Siloë couine et me dit :

— Quand y en a un sur le point de jouir, tu passes à l’autre, et vice-versa et là…. Pouf ! L’explosion ! Tu ne sais pas ce que tu rates :

— Trop poilus pour moi. Bonne continuation.

— Merci Poulette !

Elle referme sa porte et je confie à Chell :

— Je ne comprends pas qu’elle aime les mecs poilus comme ça. Les beaux muscles et tout, oui, mais, c’est plus beau quand c’est tout glabre.

— Je les aime bien glabre, mais plus androgynes.

— Donc, Sten n’est vraiment pas ton genre.

— Pas trop, non. J’ai eu des nouvelles des prêtresses. La nouvelle de ton pouvoir se répand comme une traînée de poudre, et le fait que je te soutienne est en train retourner la situation en ta faveur.

— C’est vrai ?

— J’ai des bardes qui sont venus me rencontrer. Ils voulaient l’entendre de ma propre voix. J’ai fait notifier notre sororité par un scribe pour que les gens y croient.

— T’es une véritable sœur. — Je l’embrasse sur la joue. — Je vais me préparer pour l’épreuve. On se retrouve demain ?

— Même pas un narguilé ?

— Non. Ça aurait ét amusé à trois mais… Je suis stressée par cette épreuve et j’en ai marre d’être toujours avec plein de monde. J’ai besoin d’être dans le calme. Si tu veux, tu peux venir, mais juste, je n’ai plus envie d’un narguilé.

Elle hausse les épaules et me suit vers ma suite :

— Il te faut un bon massage, toi.

— Les filles s’y sont déjà employées.

Nous entrons, je m’assois au milieu des coussins et je lui confie :

— J’envie Siloë d’avoir déjà mis dans son lit ses prétendants. Moi, pendant ce temps là, j’attends, je ne fais que rêver. J’ai envie de le sentir, là, juste à côté de moi, que sa main se glisse sous ma jupe, qu’il me… Bref…

— Ça viendra. Plus qu’un duché à aller voir, puis les empereurs. Si tu ne fais pas de faux pas, avec le vote de mon Duché, tu devrais être élue.

— Je ne sous-estime pas mes adversaires. Comme l’a dit Malika, Gaëlle est comme moi, mais avec plus de savoir-vivre. Elle peut très bien retourner le duché Cœur-Empire pour elle. Elle est moins insolente, plus éduquée aux coutumes. Kalia gardera le soutien de son Duché, Pauline du sien… Pauline est dangereuse, très dangereuse. Même si je ne sais par quel miracle je réussis l’épreuve de voler l’œuf de dragon, qu’est-ce qui me donnera plus de légitimité que Gaëlle ?

— Tuer le dragon.

— Très drôle.

— T’inquiète, Poulette, tu verras, ce sera easy. Ça paraît dur parce que les gens dans ce monde ne savent pas nager. C’est sûr que ce serait plus facile avec un masque de plongée et de palmes.

Je soupire. Il me faudrait plus qu’un extincteur pour réussir ce tour de passe-passe. Il me faudrait un sous-marin. Chell passe sa main dans mes cheveux et remonte ma nuque. Je lui dis :

— Je pourrai cacher des lunettes sous le pagne ?

— Je pense.

— Je vais en chercher.

Je récupère mon coffret et en sors une pilule verte. Je passe mon médaillon autour du cou, en y cachant une dragée bleue.

— Je vais voir ma mère. Si tu croises Siloë, dis-lui que je dors sur Terre.

— Ça marche.

Je garde mon téléphone contre moi, gobe la pilule et vois le tourbillon de champagne déformer le plafond. Je vise le salon où mes parents sont assis. Je saute et me laisse emporter.

J’apparaîs devant eux, et mon frère que je n’avais pas perçu, assis dans le sofa sur le côté, en a la mâchoire qui tombe. Ma mère se lève comme un diable et m’étreint de toutes ses forces.

— Ma chérie !

— Bonsoir Maman, Papa. Bonsoir Mathieu.

— Nous ne pensions pas te revoir si vite, ajoute mon père.

— J’ai eu envie de vous revoir. Siloë est avec ses amants, et j’ai laissé Chell là-bas.

— Chell vous a rejointes ? s’étonne ma mère

— Figure-toi qu’elle est non seulement originaire de ce monde, mais elle été l’aspirante élue par le Duché Noir. Faut que je vous raconte !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire petitglouton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0