63. Spectaculaires aspirantes (partie 1)

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Mardi 27 novembre 2013

La sonnerie Whatsapp de Siloë me réveille. Nous sommes toujours en robe par-dessus les draps, blotties les unes aux autres pour nous tenir chaud.

Ma meilleure amie aux cheveux bleus regarde son écran et grommèle :

— Mais il est quelle heure ? … Oh ! Putain !

Elle se redresse, refroidissant brutalement mon flanc droit. Mon esprit de désembrumant, je constate que la seule autre personne que moi à pouvoir lui envoyer des messages est lovée contre moi.

— C’est qui ?

— Ma mère.

— Ta mère ?

— Elle arrive à Varrokia.

— Ta mère ?

— Oui, avec mon père, mon frère…

— Ton père s’est barré… Attends, t’as un frère ? Ton père est de ce monde ?

Elle me toise avec un sourire narquois, le visage marqué par les plis du lit.

— Nous sommes sœurs, non ? — Je plisse les yeux. — Donc mon père est ton…

— Mes parents sont là ?!

Chell sursaute dans le lit, tandis que le sourire de Siloë s’étire davantage. Je répète :

— Mes parents sont là ?!

— À ton avis ? Ils sont là d’ici une petite heure.

Je passe la main dans mes cheveux, mon pouls s’accélère. Je me lève d’un bon devant la psyché et je me recoiffe rapidement. Putain ! On dirait un épouventail ! Si ça se trouve, je pue la gerbe !

— Les filles ! Brosse ! Maquillage ! Savon !

Je défais ma robe et me précipite vers le bain. Sitôt dans l’eau, mes servantes accourent et Siloë se joint à moi :

— Fais-moi une petite place, il y a ma vraie mère, aussi.

Les courtisanes se répartissent. Chell dans le lit s’étire, puis laisse choir sa tenue pour nous rejoindre d’un pas lent. Siloë, m’explique qu’officiellement, mon père est son géniteur et que sa mère est une femme de mon père. Elle n’a pas trouvé mieux pour légitimer nos liens de sang. Elle les a fait arriver à une heure de la capitale pour ne pas que leur arrivée passe inaperçue. C’est Haldor et Fridtjof qui sont allés les chercher avec les archères messiennes.

Sitôt parfumée, maquillée et coiffée, je quitte l’eau. Chell et Siloë qui ont tu la surprise, enfilent une robe à écailles, identique à la mienne, à l’exception que leur dentelle est noire et non dorée. Elles ne portent pas de diadème, mais mes servantes leur font la même coiffure que moi. Ainsi, sans me voler la vedette, elles me ressemblent. Mes courtisanes portent pour une fois l’exacte réplique de ma robe, et même le diadème.

Tout en quittant la suite, poursuivie par mes mini-sosies, je réalise à voix haute :

— Mes parents vont assister à la soirée ?

— Oui, répond Siloë.

— Matthieu aussi ?

— Ben oui.

— Ils vont me voir danser à poil ?

— T’allais le faire devant des inconnus, souligne Chell.

— Mais je préfère mille fois le faire devant des inconnus !

Nous parvenons à la cour des courtisanes. Pauline attend elle-aussi, entourée de ses servantes et quelques partisans.

— Elle attend mes parents ? me moqué-je.

— Les siens sont aussi du voyage, m’indique Siloë. Souhait de Monsieur Varrok.

— Qui ? Sten ou le père de Chell ?

— À ton avis ? À qui ai-je demandé l’autorisation d’inviter tes parents ?

— Donc, Sten est au courant.

— Je lui ai dit que les parents de Kalia étaient bien là. Sten a semblé ravi de les renconter, à condition que j’amène les parents de Pauline.

— Tu ne m’as rien dit tout ce temps depuis que tu es rentrée ?

— Ma mère amène ton string.

Je baisse les yeux, un peu confuse de voir mes deux univers se mêler si intimement. Sten Varrok apparaît sur les marches de l’escalier principal. Pas le temps d’aller le titiller, la cohorte de mes soldats arrive, et ils escortent les parents de ma rivale. J’écarquille des yeux béants en découvrant la calèche qui les amène. Mon père a les cheveux vert fluo aux pointes jaunes vif. Ma mère a des cheveux couleur prune et celle de Siloë des cheveux bleu sombre. Mon père semble rajeuni, parfaitement rasé, habillé d’un costume princier, avec de larges épaulettes dorées et mon emblème cousu d’or sur la poitrine. Mon même emblème forme les quatre boutons de manchette disposés en carreau. On dirait un roi. Nos mères portent des robes noires identiques des bijoux dorés se mèlent à leurs coiffures et ornent leurs gorges découvertes. Siloë me murure :

— Ton frère a refusé de se teindre les cheveux.

— Le contraire m’aurait étonné.

Je suis trop contente que nos parents aient joué le jeu. Ça les distinguera au milieu de tous les nobles de Varrokia. Le père de Pauline a opté pour un costume coloré dans un rouge soyeux aux reflets argent, avec un pantalon aussi léger que bouffant, et une ceinture de tissu noir. Quant à sa mère, beauté d’une quarantaine d’années, à peine marquée par le temps, elle arbore une cache-poitrine et un saroual couleur sable. Eux aussi ont joué le thème pour leur fille.

Sitôt les invités descendus de calèche, Sten descend deux marches mais attend qu’ils fassent les pas vers lui. Pauline comme moi, leur faisons un signe de tête d’aller vers l’Empereur en priorité. Un peu nerveux, ils nous obéissent et alors Sten préfère descendre complètement. Il leur sourit :

— Soyez les bienvenus. Je suis ravi de ne pas avoir à me poser la question à quelle famille vous appartenez. Mes dames, vos filles sont les plus belles qu’il m’ait été donné l’occasion de rencontrer et elles développent une imagination redoutable pour renouveler l’émerveillement chez mes sujets. Les préparatifs accaparent une partie de mon temps. Je vous laisse donc le soin de vous installer dans vos quartiers. Je serai ravi de faire plus amplement votre connaissance dans le courant de la soirée.

— Nous de même, seigneur Varrok, répond la mère de Pauline. Merci pour l’invitation.

— Vous êtes un joyau pour les yeux, vos traits sont ceux de votre fille.

Elle rougit. Sten adresse un regard vers ma famille et mon père lui dit :

— Nous nous verrons à la soirée, ne vous inquiétez pas pour nous. Et merci encore pour votre hospitalité.

Sten lui fait signe d’approcher et plaisante d’une voix tout juste audible de ma position :

— Il faudra que vous m’expliquiez comment, vous qui réussisez l’exploit d’être marié à deux femmes, vous avez pu engendrer une fille habitée par une jalousie si exclusive.

Mon père hésite puis trouve une réponse :

— Le caractère de mes filles est un alliage bien plus tranchant que celui de leurs mères. Je crois qu’elles tiennent ça de leur grand-mère.

— Le caractère saute souvent des générations, il est vrai, acquiesce Sten. Nous pourrons discuter de votre généalogie plus en soirée.

Sten regrimpe les marches et nos familles se séparent pour rejoindre leur fille à marier.

— Ce cou de taureau qu’il a ! commente ma mère.

— Il porte une lourde ramure, souligne mon père.

Je les embrasse un à un. Mon frère s’exclame tout excité :

— C’est un monde de dingue ! J’hallucine que vous m’ayez caché ça tout ce temps !

— Tu nous aurais cru ? demandé-je.

— Alors, ça fait quoi d’être mon frère ? le charrie Siloë. Toujours envie de me mater les boobs ?

Il rougit et mon père désamorce le malaise dans la même seconde :

— En tout cas, les bêtes sont plus impressionnantes en vrai qu’en photo. Heureusement que nous avions un attelage, je ne sais pas si j’aurais osé en chevaucher un.

— On s’y habitue très bien, dit Siloë.

Haldor et Fridtjof restent en retrait. Quelque chose me dit que Siloë n’a pas prévu tout de suite de les présenter à sa mère. Cette dernière me sourit :

— Vous êtes toutes les trois magnifiques. Et vous aussi les filles.

Les courtisanes font une petite révérence. Ma mère les approche :

— Tu dois être Fantou, et toi Mala. Chihiro et Adelheid ? Mmm... Marianne et… je sais que ça commence par un Z.

— Zélia, lui dit mon père.

Les servantes sont fières d’être connues de mes parents. Siloë d’humeur à plaisanter, passe son bras au creux de celui de mon père.

— Venez Papa, je vais vous présenter votre chambre.

Nous gagnons le couloir, alors ma mère m’agrippe le bras pour marcher à côté de moi.

— C’est vraiment féérique !

— Ça le sera si je suis élue.

— Mais donc, si jamais tu gagnes, tu dois te marier avec lui ?

— C’est le but.

— Mais quand tombe le mariage ?

— Le lendemain.

— Même pas le temps d’organiser un enterrement de vie de jeune fille, indique Chell.

— Mais le lendemain, ça ne te laisse pas le temps de le connaître.

— Je le connais assez bien, dis-je.

— Mais tu as pu passer du temps avec lui ? Plus que ce que tu nous as raconté ?

— Oui, après l’épreuve de nage. Depuis nous avons joué aux dames, beaucoup parlé, passé une soirée ensemble.

— J’espère que tu ne fais pas le mauvais choix. Je ne sais pas si le divorce est aussi facile ici que chez nous.

— De toute façon, il faut déjà que je sois élue.

La sécheresse de mon timbre lui fait comprendre que cette discussion ne me plait pas.

— Comprends-nous. Les parents de Pauline comme nous sommes inquiets. Pauline, tu te rends compte, elle n’a que quinze ans. Elle a toute la vie devant elle.

— Alors vaut mieux que je sois élue à sa place, ris-je.

Nous parvenons à la plus grande chambre après la mienne, jusqu’ici occupée par Siloë. Pour dérider un peu, mon père dit :

— Ce qui inquiète ta mère, c’est qu’elle ne pourra pas avoir de justificatif de mariage pour valider ses congés.

— En tout cas ! jubilai-je. Je suis trop contente de vous voir dans ce monde ! Je ne m’y attendais pas du tout ! J’avais espéré vous avoir pour mon mariage, mais pas si tôt !

— Nous aussi, dit la mère de Siloë. Et Chell ! Tes parents vont venir ?

— Oui, vous les verrez à la soirée.

— Siloë nous a raconté ces histoires de famille, je n’ai rien compris. Tu es née ici ?

— Oui. Mais je suis un peu comme Superman, je n’ai pas eu le temps de me faire des souvenirs qu’on m’a envoyé sur Terre.

— Superman, il a été envoyé sans ses parents, lui dit mon père.

— Papa ! Laisse-la parler ! rit Siloë.

— Ma chère Siloë, j’ai l’impression que ça te fait bien plaisir de m’avoir comme père.

— Carrément !

J’entends des pas feutrés sur le tapis du couloir, alors je jette un œil et découvre Malika. Elle porte un paréo doré qui ne couvre qu’une hanche et laisse parfaitement nue une de ses jambes. Une boucle dorée le maintient à la bande de tissu qui passe entre ses jambes et forme un sous-vêtement très peu large pour laisser sa fesse rebondie visible. Son ventre est nu, sa poitrine maintenue par un ensemble d’entrelacements rigides en or qui forment un soutien-gorge. Une dizaine d’anneaux enveloppe son cou. Ses cheveux sont attachés hauts, et ses paupières comme ses lèvres peintes de dorure. Mon emblème est dessiné à même sa peau, juste au-dessus du nombril. Derrière-elle, dix fillettes aux cheveux roux comme le feu, habillées comme mes courtisanes la suivent sans un mot. J’identifie d’abord les deux Ramiennes de Cendre, la troisième étant restée au pays pour se remettre de sa blessure. Ensuite je reconnais ses quatre propres servantes avant de réaliser que les quatre autres sont celles de Chell.

— Vous avez fini ? s’exclame Siloë. Trop bien !

— Comme tu le vois, répond Malika.

— Ça va en faire des prénoms à retenir, souffle ma mère.

— Mais, on a le droit ? m’inquiété-je.

— J’ai épluché le règlement avec le Scribe 44. Chell, Cendre et moi sommes sur la liste des invités, il ne nous est pas interdit de teindre les cheveux ou d’habiller nos courtisanes aux couleurs de celle que nous soutenons.

Siloë surprend le regard de mon père se perdre sur l’épiderme de ma conseillère et lui envoie une pique.

— Papa, tu es mariée.

— Et deux fois, souligne ma mère en riant. Ça ne te suffit pas ?

— Pardonnez-moi, je rêvais.

— Ne demandez pas pardon, répond Malika, vous me flattez. Il faut que j’attire le regard de l’Empereur des Sables.

— Bon ! Vous les posez vos affaires ? s’impatiente Siloë.

Nos parents s’engouffrent. J’en profite pour prendre Malika à part.

— Je voudrais te remercier pour tout ce que tu fais pour m’aider à gagner.

— Je suis ta conseillère.

— Tu n’étais pas obligée de teindre tes courtisanes.

— Oui, mais j’ai envie que tu gagnes. Je ne sais pas si je vivrais bien le fait que celle qui ma battue à Kitanesbourg ne soit pas celle qui obtienne la couronne. J’aurais toujours le doute de me dire qu’à une centaine de points près, peut-être que ce serait moi qui aurait gagné et que Kalia et Pauline n’auraient pas fait le poids.

— Là, tu inventes.

— Oui, mais il y a une part de vérité. Et puis j’apprécie mon poste. Il n’a rien d’ennuyant et… si j’avais eu une sœur, j’aurais aimé qu’elle soit comme toi ou Siloë.

— Ça me touche, avoué-je.

— Bon ! Vous nous faites visiter ? demande ma mère. Je veux rencontrer tout le monde ! Sigurd ! Jeannine ! Thomas !

— Attendez ! s’exclame la mère de Siloë. Avant que j’oublie, Léna, il y a un colis qui est arrivé pour toi.

Elle me tend la pochette carton affublé des timbres postaux français. Je la saisis sans rien dire sur son contenu. Je préfère ne pas aborder le sujet du spectacle.

Nous rencontrons tout mon cercle de partisans proches. Cendre et Thomas ont des cernes de malade, malgré les nombreuses mains pour les aider. Il travaille sur la robe de mariée, car si je suis élue, il n’aura pas le temps de la finir. Il devra juste faire les derniers ajustements au lendemain de l’élection, et il n’aura pas d’autre choix que de me la dévoiler à ce moment.

Jeannine fait l’éloge de ma gentillesse et Sigurd l’apologie de mon courage. Il n’y a que Magdeleine que je ne peux leur présenter, car trop occupée à préparer la danse.

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