Au delà de la falaise creuse (5/5, fin de chapitre !!)
S’en était trop. Blême jeta précipitamment son râteau à la gueule du monstre, puis se mit à fuir vers l’îlot. Le sol meuble rendait chaque pas plus lourd, elle manquait fréquemment d’y choir pour de bon. Son imposant couvre-chef ajoutait encore à son embarras, frappant le haut de sa tête à chaque nouveau tressautement.
Elle allait sans se retourner, ignorant la sécheresse dans ses poumons et le frétillement des poissons sous ses pieds ; une murène, une véritable murène voulait faire d’elle son dîner.
Il y eut un éclair douloureux, puis un autre, éclatant long de sa jambe depuis la chair tendre au-dessus de son talon. Blême vacilla, voyant subitement sa vue s’obscurcir. Elle n’avait jamais été piquée auparavant, mais on lui avait conté la douleur perçante qu’infligeait le poison des vives lorsqu’il dévalait les veines pour embraser jusqu’à la moelle des novices étourdies.
Mais elle n’était pas coupable d’étourderie, elle n’avait pas mérité d’être envenimée ou mangée toute crue. On l’avait appelée ici pour accomplir une tâche, et elle était venue malgré la peur qui lui trifouillait le ventre, car elle désirait s’en acquitter. Blême mordit à pleines dents dans l’intérieur de sa joue pour ne pas s’évanouir pour de bon. De derrière, elle pouvait entendre les reptations du grand poisson, mais la peur en elle était maintenant supplantée par la rage.
De toute sa force, elle se remit à courir. Sa jambe était lourde, son souffle chargé d’accents plaintifs, sa poursuivante si proche qu’elle voyait presque son ombre se dessiner à son coté, mais Blême, elle, se sentait pleine de cette immensité qu’elle découvrait parfois dans l’alcôve. N’étant plus qu’une chose mouvante et frémissante, malmenée et indemne à la fois, elle parvint enfin aux marches grossièrement taillées qui menaient à la masure esseulée. Alors qu’elle se résolut enfin à regarder par dessus son épaule, l’ignoble figure de la murène lui sembla s’être évanouie, ne laissant derrière elle qu’une longue tranchée serpentine.
La jeune fille tomba sur les fesses, haletante et engourdie. Le péril passé, la brûlure palpitante du venin vint à nouveau se presser contre elle, accompagnant vicieusement sa confusion ; bien souvent, il lui arrivait de rêver qu’une chose odieuse convoitait la chair de ses os, mais jamais le péril ne lui avait semblé si réel, sa propre fin si possible.
- Où donc les prostrations ? Où donc les chants et les cloches ? prononça-t-on d’en haut, depuis une voix qui peinait à articuler ses syllabes.
- Nulle part ailleurs, répondit-on avec férocité.
- D’ici je n’entends rien, fit encore la bouche chuintante.
Rassemblant son courage, la jeune fille parvint à se relever pour traîner la patte jusqu’à l’ermitage ; la dispute avait déjà commencé et chaque mot qui s’écoulait aggravait un peu plus son retard.
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