Comburant

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Toc-Toc.

« Bonjour, souhaitez-vous du café, du chocolat peut-être ? Non ? Avez-vous quelque chose à m’apporter ? Ou dois-je vous apporter quelque chose ?

— Dormez. »

Réveil. Tiens, une nouvelle chambre ? J’adore les nouvelles chambres, surtout quand je ne les ai pas commandés. Des draps violets ? Des murs bleus canards ? Le concepteur n’a vraiment aucun goût, mais ce n’est pas grave. J’ai une nouvelle chambre ! Ce n’est pas fantastique ? Il faut le dire, l’hurler même. C’EST FAN-TAS-TIQUE !

N’empêche, je ne sais pas pourquoi ils m’ont mis là. C’est turlupinant tout de même. Turlupinant ? Enquiquinant plutôt. Enfin, qu’importe. Pas d’importance, pas important, tout est parfait, car j’ai une nouvelle chambre ! Qui ne rêverait pas d’avoir une nouvelle chambre ? Et cette composition de couleurs sur le tapis… magnifique. Un bon point pour le propriétaire.

Par contre, je veux bien faire comme l’oiseau, mais je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche. Qui vit d’amour tout de façon ? Faut vivre de joie, c’est bien plus simple ! J’ai un peu faim quand même. J’inspire, et je lâche : « Pourrait-on emmener un plateau dans ma nouvelle chambre ? Non ? Tant pis. » Je me contenterais d’avoir un endroit pour reposer ma tête.

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C’est vraiment le meilleur des mondes ici ! Pourquoi ? Parce que mon lit me donne de la bravoure lorsque je suis complètement nouille, et j’en perds les « words » tellement il y a de « worlds ». Même mes phrases deviennent des casses-têtes, c’est ainsi dire. Pas d’arrêt de rythme, mes pensées vont à la vitesse de la lumière alors que ma bouche essaye de les rattraper à la vitesse du son. Le cerveau tourne à plein régime, il n’y a pas de crans d’arrêts. Il tente de se souvenir :

« T’es qui ? T’es bizarre ? Pourquoi tu souris ? Cela te fait rire ce qu’on fait ? Non mais dégage. Tu sers à rien, tu fais que juger, et puis t’es trop bizarre. C’est quoi ces dents ? On dirait un requin. Un requin de la finance. Tu bouffes que des billets c’est ça ? T’en a pas marre de t’étaler devant nous ? Va-t’en, va chasser d’autres poissons. »

« Monsieur. C’est assez dur à annoncer, ça va un peu vous bouleverser sûrement. Je regrette tellement de ne pas pouvoir avoir fait plus. [Mot brûlé par le temps] et votre [Mot brûlé par l’esprit] n’ont pas survécu à leurs séquelles. Ils ne bougeaient pas beaucoup, alors le fait de les arrêter totalement, ça les a achevés. Sincèrement désolé monsieur. »

« Il y a quelqu’un ? J’ai un colis à déposer à cette adresse. Hey ? J’ai un colis sous le nom de… [Fracas] Lâchez ce bidon d’essence ! Lâchez-le. Vous allez le regretter, une étincelle et vous aller le regretter. Lâchez-le !

...

C’est bien, c’est bien, vous êtes courageux, vous ne méritiez pas ça. »

« Président, pourquoi vous souriez tout le temps ? C’est inquiétant tout de même. Vous êtes au courant que votre société risque la faillite ? Oui, les maladies emportent parfois l’argent, c’est contre-intuitif je sais. Mais ce n’est pas ça le sujet. Quel est le sujet ? Mais enfin, vous ne voyez pas ? Vous avez souffert toute votre vie durant, vous en êtes même fier, et vous vous sentez toujours heureux ? Vous me faites confiance ? Alors écoutez-moi ! Sourire, ça permet juste de se cacher temporairement des emmerdes. Un jour, toutes les blessures vous explosent au visage et vous calcinent jusqu’au fond de vos tripes, je parle par expérience. Vous ne voulez pas vous confier ? Pas à moi ? À personne ? Bien, c’est vous qui choisissez. Mais vous savez que : « La meilleure politique, c’est la crise provoquée. ». Ce serait mieux de choisir le moment pour vider votre sac avant d’être étouffé par ce dernier ».

« Réveillez-vous.

— Mhh ?

— Réveillez-vous. On vous emmène quelque part.

— J’ai attendu ce moment pendant toute ma vie ».

Tiens ? Drôles de pensées. C’est ça quand le moteur tourne à plein régime, il n’y a que le frein d’urgence qui peut l’arrêter avant l’incident. On m’a déposé de la nourriture par ailleurs. Des plats bruts, industriels, comme quand j’étais petit. L’odeur du rustique et de l’enfance. C’est tout ce dont j’avais besoin pour rassasier mes pensées.

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Je suis si fatigué de reboucler, j’aimerais aller de l’avant, mais tout pèse, tout a un poids. Pour gagner de l’énergie il faut augmenter la vitesse-esse-esse-est-ce une obligation ? Forcément, car c’est mathématique-tique-tique puisque on agrandit l’énergie cinétique-tique-tique-aucun-hic ? Peut-être, mais comme tout défile-file-file-il faut bien commencer quelque part.

Alors, forons plus vite. Récoltons plus de carburant. Augmentons le débit de parole. Dormons à toute vitesse pour avoir plus de rêve. Apportons plus de bidons pour l’énergie onirique. Allons à toute berzingue-zingue-zingue en voyage sur les zingues. Plus de points. Plus de ponctuation. Plus d’arrêt. Plus vite. Plus vite. Plus. Plus. Plus. Plus. Surplus. Trop de vitesse, ça reboucle sans arrêt. On fore trop vite, on va toucher les couches inférieures et massacrer l’inconscient. Si on va trop profond, tout jaillit, tout nous repart à la gueule. C’est le retour de flamme, le carburant brûle tout seul, sans contrôle.

Alors, pour ne plus reboucler, pour pouvoir enfin dormir à vitesse normale, il me faut aller voir ailleurs, au-delà des murs ? C’est ça ? Think outside the box to see the sunny side of street ? J’en perds mon français-çais-çais-c’est-déplorable. Alors, on va aller le voir ce côté ensoleillé. Là-bas, on pourra forer à loisir. Et alors, lorsque ce mélange deviendra parfait, la température augmentera jusqu’à atteindre 495°Farenheit.

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Je n’ai plus besoin de dormir ! Trop d’énergie partout, il suffit de tendre la main pour l’avoir à sa portée. Plus besoin de sortir non plus. Je suis heureux, si heureux. Il n’y a rien qui puisse gâcher mon bonheur. J’ai vu le côté ensoleillé de la rue et j’ai compris. Je n’ai pas besoin de carburant, j’en ai à outrance. Ce qu’il me faut, c’est un comburant. J’ai besoin de respirer au lieu de m’étouffer dans toute cette réserve. L’homme est une machine, on brûle un carburant et cela se met en marche, a-t-on dit. Mais moi, j’en avais tellement que je m’y noyais, sans pouvoir me sortir de ces méandres liquides. L’environnement était saturé de toutes ces pensées. Tout ce qu’il me fallait, c’était un peu d’air. J’ai pu en trouver juste sous mon nez, alors que je projetais mes pensées dans des lointains pays. Vraiment, tout ce qu’il me fallait, c’était un peu d’air. Il fallait que je respire.

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Je n’ai plus besoin de manger. Je n’ai plus besoin de boire. Je n’ai plus besoin de voir. Je suis quelque part, j’ai de l’air à respirer, du carburant pour bouger, rien de plus. L’auto-suffisance est atteinte. Plus besoin de corps, plus besoin de savoir, il faut juste être là dans le moment présent. Il n’y a que peu de nécessaire et beaucoup de contingent.

Je suis éternellement aveugle dans l’espace. Pas dans le temps, uniquement dans l’espace. Parfois, j’ouvre mon troisième œil et je vois des images du passé et du futur. Plutôt du futur, c’est plus agréable le futur, on peut rêver sur le sujet sans dormir, alors que fantasmer le passé ressemble plutôt à avaler un immense cachet de somnifères.

Je me sens enfin complet, je n’ai plus besoin de voir les lieux, de rencontrer les personnes pour comprendre ce que dégagent ces mêmes lieux et personnes. Mon cerveau ne tourne plus à plein régime. Il se concentre, décortique, interprète, et analyse sans contraintes. Une machine parfaite en somme. Expiées les relations, transcendées les émotions, place au calcul analytique sur l’humain pour une éternité d’instant dans un temps infinitésimal. J’ai compris tout le bonheur et j’ai détruit tout mon malheur. Que ce dernier revienne ? C’est impossible ici.

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Tu ne t’enfuiras pas. Tu resteras à côté de moi, à forer-forer,-forer-faut-réparer tout ce que tu as fait. Il n’y a pas de pardon. Tu as eu ton soleil, à toi de remplir ta partie du contrat. Tu l’as signé de ton honneur, presque de ta vie. L’honneur, ça fout le camp presque aussi vite que la vie. Alors tu ne t’enfuiras pas, je t’enchaînerai-rai-rai-raide dingue de tout ce que tu vas perdre. Tes jambes, tes bras, ta tête, ta langue, ton cœur, seront enfermés par des chaînes d’envies, de nécessité même pour te faire croire ce dont tu n’as plus besoin. Il ne te restera que tes yeux pour forer-rer-rer-réellement dans ta tête. Tu ne t’enfuiras pas je te dis. Tchac, je prends ton bras. Tu ne peux plus te dégager-ger-ger-ger-j’ai la force pour te maintenir. Ma tête ne partira plus à plein régime. Tu te défends ? Allons, sois raisonnable-able-able-able to work. Tu ne peux te libérer, et je ne peux que t’enfermer. Faisons un pacte-acte-acte de reconnaissance. Non ? Très bien, certains y perdent des plumes, toi tu y perdras des dents.

Crac.

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Jamais je n’aurais dû faire ça. Il ne reviendra plus, c’est terminé. C’est la fin du doux rêve. Retour brutal à la réalité, une sorte de chute libre. Dans ce monde, on ne rêve pas les yeux ouverts, on crève les yeux ouverts. Ce sont les autres qui ferment les yeux. Ils sont là, dans le recoin des rues et parcs à te juger, à t’analyser de tête au pied pour voir si tu mérites une réaction. Et si par malheur ils ne te trouvent pas intéressant, ils t’ignorent pour le restant de ta vie, de toute ta réalité.

C’est bien de rêver pour échapper à ça. Il y en a beaucoup qui le font. Mais moi je peux pas. Je peux pas, la tête doit tourner à plein régime, la tête doit comprendre, saisir son environnement pour apprendre à le moduler et rendre le tout plus soutenable, si ce n’est plus agréable. Vous avez déjà essayé de déplacer l’océan ? Ou au moins le transformer ? Vous voyez, vous m’ignorez aussi. Je ne suis pas intéressant pour vous, j’ai compris. Vous n’êtes pas obligé de m’écouter vous savez ?

Transformer l’océan, j’ai déjà essayé. Le déplacer également, mais on finit par boire la tasse. Un des seuls rêves que j’ai faits était dans l’océan. C’est paisible. On s’enfonce peu à peu en contemplant le soleil qui s’éloigne de nos têtes. C’est une nouvelle naissance. La lumière au bout du tunnel s’éloigne.

Il est temps de le rappeler. Il faut essayer de s’endormir pour qu’il vienne à sa consultation. Pas d’excuses, ça jamais. Le destin nous a liés, je n’ai rien à voir là-dedans. C’est sa dystopie, son mauvais endroit, pas le mien. Il n’a aucun droit de me priver de mon coin de paradis.

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Cela devait se terminer comme ça. Oui tu es devenu incendie. Tout ton carburant brûle au sein de tes os. Tu es machine. Tout brûle et ça se met en mouvement. C’est magnifique. Effrayant aussi, mais magnifique. Tout brûle en toi. Ton corps, tes pensées, ta tête, tes dents, ta réflexion, et même ta rage.

Qui sème le vent récolte la tempête. Moi, j’ai lancé plein de petites étincelles, et j’ai reçu un incendie. Chacun ses choix. Moi, je trouve qu’il y a plus de profit dans un incendie. La terre redevient fertile après que les flammes s’apaisent, et c’est tout un renouveau qui s’élève dans les contrées brûlées. Il y a beaucoup plus d’avantages à un incendie qu’à une tempête.

Quoique tu dises, tu ne pourras pas faire tout brûler. Il reste toujours quelque chose qui subsiste après les catastrophes, même s’il est profondément mal. Après la guerre reste la famine, après la tempête, les blessures, après le travail, la fatigue, après l’humain, les ruines.

Tu te demandes ce qui reste après l’incendie ? Moi, je pense qu’il ne restera que moi. Des cendres éventuellement, et quelques épitaphes. Mais tu ne pourras pas faire tout brûler, car après l’incendie vient le renouveau. Si tu es venu en incendie pour renaître, tu as fait le bon choix. Si tu es venu en incendie pour me tuer, tu t’es trompé. Je survivrais à ton incendie, car je suis l’océan qui se déplace, qui remue, et qui tourne à plein régime. Je suis cet océan, car je l’ai vu mourir dans les yeux de l’immobile. Je dois le faire continuer à remuer. Alors, même lorsque les lettres de feu me crieront d’abandonner, je serais l’océan qui se déplace.

Va. Va en incendie. Il ne te reste plus qu’à partir pour renaître en incendie.

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« Monsieur ! Le bâtiment s’écroule, vous devez sortir !

— Bonjour madame. Vous êtes venus me donner ma dose de médicament quotidienne ? Souhaitez-vous un peu de café ?

— Vous vous fichez de moi ? Il faut s’échapper.

— Allons bon. Pourquoi se presser, il n’y a pas le feu.

— Et bien si justement.

— Alors c’est parfait, sentez-vous tout ce bon comburant qui alimente ce joli feu.

— Vous êtes totalement timbré, venez avec moi !

— Allons bon, il est inutile de tirer. Je ne viendrais pas comme ça.

— Alors comment ?

— En me convainquant.

— Vous voulez que je vous convainque de sauver votre peau ?

— Exactement.

— Qu’est ce qui ne va pas dans votre tête ?

— Bonne question. C’est peut-être pour ça qu’on m’a emmené ici. À ce moment-là, ils ont réussi à me convaincre.

— Vous avez bien une famille ? Quelqu’un qui vous aime ?

— Peut-être, mais ce souvenir a été brûlé par le temps. Il n’en reste plus l’océan qui se déplace.

— Putain. IL Y A LE FEU ! SORTEZ-MAINTENANT !

— Je pense que c’est vous qui devriez suivre ce conseil au lieu de tirer comme un sourd sur mon bras. »

Une poutre tombe du plafond. Elle sépare le patient et son médecin. L’un reste sur son lit, l’autre s’enfuit en toussant. Les flammes continuent de monter.

« Beaucoup plus persuasives. Allez-y, je ne m’attends plus à rien, je suis l’océan qui s’assèche. »

Cris. Odeur d’air qui se consume. Fracas de bois enflammés. Crépitements qui enflent, enflent, enflent sans s’arrêter.

Quelques heures plus tard, les journaux déplorèrent un incendie dans une bâtisse d’une petite zone industrielle.

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