L'étoile filante
Il est parfois plaisant de replonger dans sa mémoire, de repenser à certains souvenirs. Je suis l’artiste de mes réminiscences, chaque coup de pinceau affine la scène de mon esprit. À la fois peintre et sujet, je me dessine sur cette toile nocturne, affrontant le froid mordant de novembre. J’ai quitté ton domicile, t’ai abandonnée aux bras de Morphée. La Lune, maintenant haute perchée, éclaire de sa pâle lumière mon chemin. Mes pas résonnent sur le bitume, brise le silence de la nuit ; même le vent s’est tu. C’est dans la chaleur de ton étreinte que s’est conclue cette interminable journée. J’y ai déposé mes tracas, mes interrogations et mes doutes. Je me suis laissé bercer par tes caresses, j’ai capitulé sous tes baisers ; j’ai dérivé dans l'océan de ton regard, happé par les étincelles qui l’ensoleillent. Ces mêmes yeux bleus qui me dévoraient de curiosité et resplendissaient d’amour. Le feu de notre passion s’est embrasé, nous avons succombé à sa fièvre. Je revois tes lèvres embrasser amoureusement ce que je ne pouvais cacher. Gourmande et appliquée, tu t’es longuement attardée sur ma chair dressée. Mon corps réclamait le tien ; ton corps appelait le mien. Aux creux de tes draps froissés, nous nous sommes abandonnés l’un à l'autre, unis dans un seul rythme, un seul soupir, un seul plaisir.
L’odeur d’humus et de pétrichor m’arrachent à mes rêveries. Le vent porte la fragrance de l’automne, tente de me soustraire à ton souvenir. Sans succès. Ma peau porte encore les effluves de la tienne. Mon esprit embrumé par tes caresses endiablées n’arrive pas à s'extirper de ton envoûtante beauté. Alors je lève la tête vers les étoiles et je souris : je retrouve dans les astres ces mêmes lueurs qui scintillent dans tes yeux. Je découvre, dans cette toile gelée, la grâce et la beauté de l’obscurité.
Je me perds dans la contemplation de l'infini quand elle apparaît. Fugace, elle ne dure qu'un battement de cil. Une fine trainée blanche qui glisse, silencieuse, sur la nébuleuse infinité. Là où les esprits scientifiques n'y voient que la combustion d’un aérolithe, j'y vois la splendeur éphémère d'une étoile filante. Lorsqu’on en aperçoit une, il est coutume de faire un vœu. Mon regard abandonne les astres et se perd dans l'abîme de mes pensées. Que souhaiter ? Je l’ignore… Le champ des possibles s’étend aussi loin que peut sonder ma conscience. Je prends panique un instant, ma vie me semble dépendre de ma réponse. Ma raison me tourmente, je m’égare davantage dans les méandres de mon intellect. Et dans le tourbillon incessant des suggestions, un rayon de soleil m’apparait. Je revois ton sourire, tes yeux curieux qui scrutent mon visage... Je ferme les miens, et me laisse immerger par les souvenirs de nous. Et la révélation me frappe enfin. Je souris, car mon cœur sait. Alors je prononce ce souhait qui me paraît si évident. Les mots résonnent en moi, apparaissent comme une certitude…
Cette toile de fond s’achève. Le froid de cette nuit de novembre givre la rue déserte. Sous mes pieds craquent les feuilles mortes que le vent tente en vain d’emporter. Le quart d’une Lune continue d’éclairer mes pas, mais une autre lumière lui fait de l’ombre. Un soleil habite mon cœur, le réchauffe et l’éclaire. Cet astre qu’est le mien est une tête blonde au sourire ensorceleur, qui me dévore sans cesse de son regard azur.
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