VII.2 - 9h27

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“Monsieur Xiǎo Tào ? demande une voix à peine sortie de l’adolescence.

  • C’est moi.
  • Maître Māo Tóu Yīng vous attend. Nous allons devoir procéder à la fouille de sécurité.
  • Bien entendu.
  • Tenez-vous au milieu du portique, s’il vous plaît.”

Des grésillements suivis d’un signal aigu. Le rythme cardiaque de Xiao Tao subit un léger pic à 121 battements par minute avant de redescendre.

“Parfait. Votre micro-tablette, et tout appareil électronique que vous pourriez transporter sur vous doivent rester ici.

  • Évidemment. Puis-je savoir comment je vais pouvoir prendre des notes ?
  • Le Maître a préparé du papier standard et des stylos, déclare une deuxième voix. Suivez-nous, s’il vous plaît.”

Le couloir du bâtiment est baigné dans une musique religieuse. Sur son passage, Xiǎo Tào génère une pluie de “Paix et Honneur”. Après avoir marché une minute, le premier garde déclare :

“Nous allons prendre cet ascenseur.”

J’entends Xiǎo Tào entrer, suivi d’au moins trois personnes. Augmentation de son rythme cardiaque à 98 battements par minute. Son cerveau lui envoie une décharge de cortisol.

“Puis-je savoir à quel étage nous nous rendons ?

  • Quelle importance ? souffle le garde à voix d’adolescent.
  • Sois pas mauvais, Hēi Shí Tou, répond une deuxième voix. Nous nous rendons au trente-neuvième étage.
  • Merci.
  • Étage : Trente-neuf, confirme l’ascenseur après seulement quelques secondes.
  • Le Maître vous attend au bout du couloir”, reprend le deuxième garde.

Le groupe marche un instant sur du parquet, puis j’entends l’un des gardes attraper la poignée d’une vieille porte.

“Monsieur Xiǎo Tào !” s’exclame une voix de vieillard.

Un froid se dépose sur sa paume droite.

“Maître Māo Tóu Yīng ?

  • Lui-même, sauf preuve du contraire, répond la voix en souriant. Installez-vous avec moi : vous avez mangé ?
  • Oui, je vous remercie. Je ne souhaite pas abuser de votre hospitalité.
  • Vous n’en abusez pas, voyons ! Il est normal de venir prêter le peu de forces que nous avons à la sauvegarde de la ville.”

Contraction rapide des muscles zygomatiques de Xiǎo Tào. Pour l’amour des Grands, retenez-vous de rire !

“Eum… Oui, en effet, je vous suis reconnaissant de bien vouloir nous aider.

  • Le plaisir est pour moi. Hēi Shí Tou, peux-tu apporter à ce monsieur le matériel dont il a besoin ?
  • Certainement, Maître.”

Le garde dépose un tas de feuilles et une poignée de stylos sur le coin de la table.

“Maître, vraiment, vous n’aviez pas besoin d’investir dans une telle qualité.

  • Aucune grâce n’est de trop s’il s’agit de m’assurer que vous soyez à l’aise. Mes enfants, avez-vous bien fait passer Monsieur par le contrôle de sécurité ?
  • Oui, Maître ! répondent en chœur plusieurs voix juvéniles.
  • Alors, dans ce cas, serait-il possible de nous laisser en tête-à-tête ?
  • Bien sûr, Maître !”, reprennent les voix avant de sortir et de refermer la vieille porte.

Le Maître enclenche un bouton sur le bord de la table. Nouvelle décharge de cortisol dans le corps de Xiǎo Tào. Un sifflement harmonieux semble sortir de la table elle-même pendant quelques secondes avant de s’arrêter.

“Vous prendrez le thé ? Celui-ci vient du Tibet, et a été mélangé avec des fleurs d’un peu partout en Eurasie. C’est un pur délice.

  • Je vous remercie pour l’invitation, Maître, mais mon médecin m’a formellement interdit de consommer des boissons alcoolisées ou caféinées.”

Si le vieux avait été là hier soir, il aurait halluciné, haha !

“Je comprends, c’est dommage, mais c’est vous qui voyez. Alors, parlez-moi un peu plus de ce qui vous amène ici aujourd’hui.

  • C’est par rapport à l’assassinat… aux assassinats, devrais-je dire.
  • Évidemment. C’est bien ce que je craignais, Monsieur. (Le sang de Xiǎo Tào ne fait qu’un tour.)
  • Comment ça ?
  • Voyez-vous, nous n’en savons pas beaucoup plus que la Police à ce sujet. J'ai bien peur de n'être d'aucune utilité pour vous.
  • Permettez-moi, tout de même, de mentionner la manifestation générale que vous avez lancé le jour même de l’assassinat du seigneur Juān Xiàn Zhě.
  • C’était un événement bien effroyable… Jamais ce genre de barbaries ne se serait produite, du temps de ma jeunesse.
  • Nous sommes d’accord en ce point. Mais puis-je vous demander comment vous avez obtenu les photos post-mortem ?
  • Les photos ?
  • Du Seigneur criblé de balles, vous voyez sûrement de quoi je parle. Si j’avais ma micro-tablette sur moi, j’aurais pu vous aider à vous rafraîchir la mémoire.
  • Ha, ces photos-là ! Nul besoin, je n’ai pas oublié. Eh bien, d’après ce que les jeunes m’ont dit, elles nous ont été envoyées par le même groupe qui a orchestré le piratage des postes de police, marmonne le chef des Shouddhs entre ses dents.
  • Le piratage ? De quoi est-ce que vous parlez ?
  • Je… ha, je dois perdre la tête, excusez-moi. Vous savez, quand on a dépassé la cent-quarantaine, il arrive que les neurones commencent à fatiguer.
  • Au contraire, Maître, répond Xiǎo Tào d’une voix plus que mielleuse, il me semble que l’élément que vous venez de mentionner pourrait nous aider à recoller les morceaux de cette histoire.
  • Eh bien, je ne sais pas, il s’agit sûrement de rumeurs… Je…vous savez comme les gens sont prompts à répandre n’importe quelle rumeur, hein, haha ?
  • Toute rumeur a un fond de vérité. Vous savez ce qui me rend furieux, là-dedans ? Nous aurions vraiment subi une attaque informatique et personne ne m’en aurait informé ?! Vous vous rendez compte du traitement que la hiérarchie nous réserve ?
  • Vous voulez dire que personne ne vous a rien dit à ce sujet… ? demande le vieux, indigné à son tour.
  • Rien du tout ! C’est à se demander si l’on la Police a vraiment pour objectif d’aider cette ville ou à lui couper les pattes !
  • Il m’est aussi arrivé de me poser la même question, soupire le Maître. Il semblerait qu’elle ne traite pas mieux ses enfants que les miens.
  • C’est honteux. Croyez-moi, dès que je sortirai d’ici, j’en parlerai à mon supérieur.
  • Et vous avez amplement raison ! Ha, comme il est beau de voir la jeunesse défendre ses idéaux coûte que coûte ! Vous feriez un très bon adepte, j’en suis convaincu.
  • C’est tout à fait possible. Merci de m’aider à avancer dans cette enquête.
  • Le plaisir est pour moi, si je peux contribuer à mon échelle…
  • J’aimerais également vous parler de documents qui ont fuité au poste.
  • Je vous écoute.
  • Voilà, nous avons reçu de la part d’un groupe de hackers un bilan de vos transactions financières depuis l’année dernière. J’aimerais attirer l’attention sur l’une de ces transactions en particulier… De la part de Menxiang Shiyé, il y a environ trois semaines.
  • De Menxiang Shiyé ? répète le Maître d’une voix tremblotante. Enfin… qu’est-ce que c’est que ces…
  • Puis-je vous parler d’homme à homme, Maître ?
  • Eh bien évidemment ! À quoi rime cette histoire ?
  • Ma hiérarchie veut vous faire tomber. Vous vous doutez bien qu’ils ne me l’ont pas dit à moi, directement : je l’ai entendu en passant dans un couloir, l’autre jour. Je sais qu’espionner ses voisins est une mauvaise action d'un point de vue karmique, mais j’espère que les Sages me le pardonneront.
  • Si c'est pour la bonne cause, assurément. Et que disait votre hiérarchie ?
  • Qu’elle comptait utiliser ces documents comme une pièce à conviction pour… dissoudre les shouddhs, directement.
  • Nous dissoudre ?! Allons, vous allez me faire faire une crise cardiaque !
  • Restez calme, Maître, car j’ai pensé à un plan. Depuis longtemps, je nourris une sympathie pour votre combat, et ce n’est pas un hasard si j’ai demandé à vous rencontrer aujourd’hui. Je souhaite élaborer, avec vous, une stratégie pour vous éviter ce sort.
  • Vous êtes un homme bien brave !
  • Si seulement mes supérieurs l’étaient aussi, le seigneur Juān Xiàn Zhě foulerait encore notre terre. Alors, voilà, ma hiérarchie suspecte que le versement effectué par Menxiang Shiyé, il y a trois semaines, d’une valeur de soixante-quinze millions de satvas…
  • Soixante-dix-neuf, corrige le vieux.
  • Ha, oui, c’est cela. Eh bien, ils veulent l’utiliser comme une preuve de l’achat de votre soutien par MS, afin que vous déclenchiez la manifestation et attiriez l’attention sur vous. Ces satvas sont également censés acheter votre soutien au verdict de la justice lors du procès de demain matin. Ma hiérarchie pense que le coupable des assassinats est un leurre choisi par Menxiang Shiyé pour étouffer l’affaire le plus vite possible.
  • C’est une horreur que d’affirmer de pareilles choses ! La Police a-t-elle laissé tomber toute démarche scientifique ?
  • Je le crois. C’est pourquoi j’ai besoin de déterminer avec vous ce qui est faux et ce qui est vrai dans cette accusation. Comme ça, nous pourrons focaliser nos efforts sur votre défense.
  • Je comprends, mais, n’y a-t-il pas de risque… ?
  • Nous sommes entre nous, Maître, rien de cette conversation ne pourra fuiter. Comme preuve de ma bonne foi, je vous propose de me déshabiller et me laisser me fouiller immédiatement si…
  • Non, c’est bon, gardez vos vêtements. Je… Bien… Le virement a bien été effectué il y a trois semaines. Il faut savoir que Menxiang Shiyé nous verse, une fois par an, un don pour l’aide aux pauvres et l’entretien des temples.
  • Très bien. Donc vous confirmez que la date de celui-ci n’est pas liée à l’affaire des meurtres des Rentiers ?
  • Absolument.
  • J’espère pouvoir vous éviter un scandale à ce sujet, mais je vous suggère de vous y préparer. Un accord illégal d’un tel montant ne passera pas inaperçu.
  • Oh, non ! Ce serait une véritable horreur si la presse s’en emparait !
  • Ne vous inquiétez pas, pour le moment, les journaux ont interdiction de publier quoi que ce soit à ce sujet : la situation est sous contrôle. Pour ce qui est du procès, qu’est-ce que vous savez de l’identité de l’homme qui va être jugé ?
  • Pas grand chose, c’est… mon contact chez MS qui m’en a parlé il y a une semaine. Il m’a de lui verser une prime suffisante pour s’acheter une île en Europe et y passer le restant de ces jours, dès qu’il sortira de prison. Rien de plus. Je crois qu’il est innocent mais, enfin, vous connaissez les méthodes du conglomérat pour étouffer les scandales…
  • Et la Police a accepté la dénonciation sans preuves ?
  • Je… il semblerait.
  • Quand je vous disais qu’ils étaient corrompus jusqu’à la moelle !
  • J’ai l’impression de m’entendre parler ! rit le vieux.
  • Je ne peux exprimer à quel point je vous suis reconnaissant, Maître. Je crois qu’ensemble, avec toutes les informations que vous venez de me fournir, nous pourrions parvenir à élucider toute cette affaire.”

Une source d’humidité se plaque sur sa paume.

“Si nous en avons fini, déclare le vieux, alors je ne vous retiens pas plus.

  • Encore merci, maître. Ensemble, je suis sûr que nous parviendrons à faire respecter la vraie justice.”

Une flot de dopamine déferle dans le corps de Xiao Tao, et vient inonde les moindres recoins de ses récepteurs. Je me demande si son bonheur transparaît sur son visage.

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