L'arrivée à Droche

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Alexandre tint promesse et arriva dans sa ville natale la semaine suivante. Entre temps, tout était redevenu normal. Le porte parole du gouvernement avait rassuré la population en expliquant qu’une fuite de gaz en provenance du centre de traitement d'algues vertes de la ville avait causé cet incident. Mise à part quelques associations écologistes, personne ne remit en question cette explication. D’ailleurs, dès le lendemain de l’affaire, chaque organe de presse du territoire recevait un dossier récapitulatif expliquant par A plus B que la fuite était la seule raison plausible et qu'il n'y avait pas lieu de polémiquer.

Le surlendemain, coup de théâtre, on apprenait que l'un des secrétaires d'État auprès de la ministre de l'écologie, avait un compte offshore et qu'il avait fui à l’étranger. Énorme scandale, du jamais-vu, qui fit vite oublier la nuit étrange qu'avaient vécu les habitants de Droche, les Droliques. Plus personne n’en parlait.

— Il n'y a rien à dire. Rien d'étrange ne s'est passé ici.

Fut la seule phrase que George, le père d'Alexandre, prononça lorsque son fils tenta d'aborder le sujet. Pas mieux pour Yvonne, sa mère. Sujet clos.

Ils installèrent leur fils confortablement dans une maisonnette qu’ils avaient réhabilité au fond de leur jardin et ne voulurent rien entendre lorsqu’Alex les supplia de faire des tests médicaux.

De bonne heure le lendemain de son arrivée, Alexandre se rendit au cabinet de son oncle. A Droche s'il y avait bien un secteur d'activité qui ne connaissait pas la crise, c'était bien la santé. Et pour s'assurer que les praticiens ne désertent la petite ville, la municipalité avait fait construire un centre médical dernier cri qu'elle mettait à la disposition des professionnels moyennant un loyer modéré. Ce centre regroupait trois médecins, deux dentistes, un dermatologue et un psychiatre qui avaient une large clientèle à ne plus savoir qu’en faire.

Alexandre s'arrêta un instant devant la façade vitrée de l'édifice où un homme en bleu de travail astiquait les vitres avec zèle. Le jeune médecin poussa un dernier soupir de désespoir.

Je suppose que cette ville doit être sympa... Pour une fin de carrière, pensa-t-il.

Il mit ses réticences de côté et marcha vers les portes vitrées automatiques qui s'ouvrirent sur son passage. Le laveur de carreaux, qui n'avait pas prêté attention à Alexandre, poussa un cri de panique lorsque les portes manquèrent de faire tomber son escabeau, et lui aussi par la même occasion. Il fixa alors le nouveau venu d'un air hagard et reprit très vite son travail, comme si de rien n’était. Alex l'avait également bien observé puis, tout en entrant dans le hall, il saisit son téléphone pour créer une alerte :

Ressortir mes cours sur la consanguinité, je sens que je vais en avoir besoin. OMG, écrit-il, un rictus moqueur aux lèvres.

Il rangea ensuite le téléphone dans la poche arrière de son jean tout en s'approchant du comptoir d'accueil. De l'autre côté se tenait une femme proche de la retraite qui lisait un magazine.

— Bonjour…commença Alexandre.

— C'est pourquoi ? le coupa-t-elle sans lever les yeux et faisant frémir son double menton à chaque mot prononcé.

— Je viens voir le docteur Cotelet...

— Il n'est pas là, repassez plus tard, dit-elle en tournant une page.

— Comment cela, il n'est pas là ?

— Il est en vacances, reprit-elle en levant les yeux cette fois-ci.

Elle portait une paire de lunettes vert foncé en forme papillon qui agrandissait beaucoup trop ses yeux.

Eh ben, en voilà une qui ne se laisse pas influencer par la mode au moins, songea Alex.

En voyant le jeune homme, elle changea immédiatement de comportement et lui sourit généreusement.

— Je suis son neveu. Je le remplace pendant son absence, mais je pensais qu'il attendrait mon arrivée pour partir. Ne serait-ce que pour m'accueillir et m’expliquer le fonctionnement des lieux.

La femme se leva alors de sa chaise, laissant Alex découvrir sa robe portefeuille fleurie, vert et orange. Elle posa ses mains de chaque côté du comptoir, donnant ainsi à son interlocuteur une vue imprenable sur un décolleté flétri dont il se serait bien passé.

I'm blind, I'm blind ! hurla intérieurement le jeune homme en détournant la tête.

— Et bien, soyez le bienvenu jeune homme, dit-elle d'une voix de velours.

— Bienfenu ! fit soudain une voix à l’entrée du centre.

C'était le laveur de carreaux qui le regardait fixement, presque la bave aux lèvres.

C'est une blague ou quoi ? Où sont les caméras ? ... Où sont les caméras ? se dit Alex en scrutant le plafond.

— Biennnffffeeeenuuuu, insista l'homme qui s’énervait de ne pas avoir de réponse.

— Merci, rétorqua timidement le jeune médecin.

S’en suivi un long silence gênant. Alex était trop estomaqué par la situation qu’il vivait pour enchainer sur une conversation normale.

— Vous devez être le neveu d’Henry ? demanda une voix au fond du hall.

Alexandre se retourna alors vers des portes battantes qui semblaient délimiter l’entrée aux différents cabinets.

L'homme qui venait d'intervenir avait les tempes grisonnantes et portait superbement le costume trois pièces. Avec une assurance naturelle, il tendit sa main et serra fermement celle du jeune homme.

— Je suis le docteur Daniel. Votre oncle m'a prévenu de votre arrivée. Je suis aussi le psychiatre de Monsieur Morvan, dit-il en désignant le laveur de carreaux.

— Psy ? Je croyais qu'il n'y avait que des vrais médecins ici... Enfin, vous voyez ce que je veux dire, taquina Alex par simple provocation.

— Oui bien sûr. Votre oncle m'avait prévenu à votre sujet...Enfin, vous voyez ce que je veux dire, rétorqua l’homme qui ne goutait pas à la plaisanterie.

Les deux hommes échangèrent un rire de politesse puis le docteur Daniel reprit la parole :

— Yann, as-tu fini de nettoyer les vitres ?

Le laveur ne répondit que par un grognement qui semblait vouloir dire non et se dirigea vers la porte de sortie.

— Triste histoire que la sienne, enchaîna le psychiatre, lui qui avait tant de potentiel. Bref, laissez-moi vous montrer le cabinet de votre oncle.

Il posa sa main sur l'épaule du jeune homme pour le diriger vers les portes battantes au fond du hall mais avant de les ouvrir, il se retourna vers l'accueil.

— Merci Madame Honnette, bonne journée.

La femme, qui était restée accouder au comptoir les yeux rivés sur les poches arrière d’Alex, se redressa, comme brusquement sortie de ses fantasmes sur le jeune homme. S’en rendant compte, ce dernier écarquilla les yeux et s’avança un peu plus des portes.

— De rien docteur Daniel. À bientôt Alexandre, pardon, docteur. N'hésitez pas à m'appeler en cas de besoin, ajouta-t-elle en mimant un combiné à son oreille.

Le jeune médecin eu pour elle un sourire figé et fut ensuite parcouru d'un frisson de dégout qu'il ne pu dissimuler au psychiatre qui pouffa de rire. Tout en ouvrant les portes les conduisant dans un long couloir, ce dernier voulu le rassurer.

— Ne faites pas attention à elle. C’est une personne dévouée et adorable mais elle se comporte de manière étrange ces derniers temps, je ne sais pas pourquoi.

— Oui j'ai pu le constater, on aurait dit qu’elle regardait un bout de viande… Et pour le laveur de vitres ?

— Comme je l'ai dit, une bien triste histoire.

Avant de poursuivre, le psychiatre leva les yeux au plafond comme s'il y voyait quelque chose. Machinalement, Alex fit de même, cherchant ce que l'homme avait vu, mais il eu beau regarder, il n’y avait rien.

— Il y a quinze ans de cela, Yann était un brillant élève ingénieur, commença le docteur Daniel, le regard toujours accroché au plafond. Promit à un grand avenir, il venait de décrocher un stage chez Biostat. C’est une grosse entreprise de la ville qui travaille sur la recherche de nouvelles énergies. Malheureusement, même s'il était studieux, il savait aussi faire la fête et un soir, on l'a retrouvé errant sur une route de campagne. Il délirait complètement à cause de substances qu'il avait ingurgitées durant la soirée. Elles étaient trop fortes pour lui et lui ont grillé une partie du cerveau. Il n’est jamais redevenu lui-même.

— Élève ingé...Je n'aurais pas deviné, le coupa Alex.

— Et pourtant. Depuis, je travaille avec lui pour qu'il retrouve un semblant de vie normale, mais c'est difficile, car il a conscience d'être...

— Un légume maintenant, le coupa une nouvelle fois le jeune homme.

— Je dirais diminué plutôt. J'espère que vous serez moins prompt à juger vos patients. Ici, on n’aime pas ça. Votre cabinet est ici, lui précisa le psychiatre en lui indiquant une porte sur leur droite. Je vous laisse.

— Ne vous inquiétez pas pour moi Docteur Daniel, je pense que ça va aller.

— Jacques, s’il vous plait.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, Jacques, je saurais gérer la mamie incontinente ou le bricoleur du dimanche, répondit Alexandre en lui claquant presque la porte au nez.

C'est pas un psychiatre qui va me donner des conseils. Jacques Daniel… sérieux !

Il contempla ensuite le cabinet de son oncle avec attention. Cet endroit allait être son domaine pendant deux mois, il se devait d'être parfait. En face de lui se trouvait un bureau en bois massif et derrière, une cloison coulissante à la japonaise servait de séparation au côté qui faisait office de salle d'examen. La double porte menant à sa salle d'attente se trouvait sur sa droite. L’endroit était clair et la décoration épurée ce qui arrangeait le jeune homme qui s’était imaginé trouver un cabinet orné d’animaux empaillés. Ce cabinet était donc beaucoup mieux que ce qu’il avait imaginé, sans parler de la modernité des appareils et fournitures diverses dont il disposait.

— Il faut au moins cela pour que quelqu’un accepte d’exercer ici, grommela Alex.

Son tour du propriétaire terminé, il décrocha le téléphone posé sur le bureau.

— Madame Honnette, à quelle heure ouvre le centre pour les patients ?

— Dans dix minutes Al...Docteur Cotelet. Mais je ne pense pas que vous aurez du monde aujourd’hui.

— Pourquoi dites vous cela ? s’étonna le médecin.

— Vous savez, dans les petites villes, il faut un temps d’adaptation. Les gens ne vous connaissent pas mais ne vous inquiétez pas je vais les rassurer et les diriger vers vous.

— Je vous remercie madame Honnette, répondit Alex quelque peu contrarié par cette nouvelle.

— Je vous en prie appelez-moi Marie, indiqua l’agent d’accueil.

Alexandre marqua un temps d'arrêt puis reprit :

— Donc si je comprends bien le psychiatre s'appelle Jacques Daniel et vous Marie Honnette, c'est bien cela ?

— Oui tout à fait, pourquoi ?

— Non non, pour rien, dit-il avant de raccrocher, encore un peu plus agacé.

Putain, mais ils se foutent de ma gueule ici ou quoi ?

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