Commu-gnons

de Image de profil de Barberine BonaparteBarberine Bonaparte

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« Vous allez communier avec la nature ! », indique l’animateur. Et il enchaîne : « Vous allez éprouver des sensations qui vous marqueront à jamais ! »

Mais qu’est-ce que je suis venu faire ici ?

J’étais bien tranquille devant mes écrans d’ordi, mon Smartphone à portée de main, ma quadriphonie à fond, en train de dézinguer à tout va dans mon jeu vidéo préféré et voilà que le sicolog [psychologue] explique à ma mère qu’il faut me sortir de ma chambre afin de m’aérer les neurones !

« Et maintenant, prenez votre sac à dos ! », ordonne un autre animateur. Un vieux. Un barbu genre on m’la fait pas à moi !

En plus, il faut que je me trimballe sur le dos ce truc qui pèse une blinde ! Pas question !

« Dépêche-toi ! grogne le barbu. Et mets-toi dans la file avec les autres ! »

Je rejoins les autres victimes et sous la houlette de trois tortionnaires, nous voilà partis à flanc de coteau, ahanant comme des bœufs dans la rivière. C’est dans un de mes jeux vidéos que j’ai vu des bœufs dans la rivière. Tacatacatac ! Et tous les Viets dégringolaient, pas de pitié, pas de survivants. Je dézinguais tout le monde ! « Tacatacatac ! », je marmonne. Et hop, plus d’animateurs. Ça, je ne le dis pas, mais je le pense très fort.

«  Qu’est-ce qu’il t’arrive, toi, avec ton “tacatacatac” ? demande le barbu.

— Rien, c’est les bœufs dans la rivière, je réponds en souriant.

— La rivière ? Ce serait pas plutôt la rizière ?

— La rizière ? C’est quoi ça ?

— L’endroit où pousse le riz.

Ah, ouais. Bon, je ne m’étais jamais posé la question.

— Et pour les nouilles ? je demande.

— Ça pousse dans les arbres ! », indique le barbu.

Est-il drôle, l’animal. Pour les nouilles, je sais. Ma mère m’a expliqué. Quand j’étais petit, j’imaginais des champs de nouilles.

Pour l’instant, je n’en peux plus de grimper. Nous arrivons au sommet. Il y a une baraque, une drôle de cabane en bois. Les sept ados et moi-même, exténués, nous nous écroulons, toussotant, crachotant, à qui mieux mieux. Les trois animateurs restent debout, plantés devant nous. Ils tiennent à nous montrer leur endurance de vieux habitués à crapahuter dans la pampa. Je regarde autour de moi. Je ne vois que du vert. Des prés, des arbres, des collines. Pas une seule tour, pas un seul parking. Pas de macadam, pas de centre commercial. Pas de bagnoles, de motos, de quads ! Pas de civilisation, quoi !

Mais qu’est-ce que je fabrique ici ?!

Bon, enfin, vu qu’il est déjà 18 heures, nous allons pouvoir nous reposer dans cette cabane, je suppose.

Et c’est à ce moment-là que le barbu nous dit :

« Vous avez cinq minutes pour boire un coup, il y a ce qu’il faut dans votre sac à dos, et relevez-vous, parce que c’est maintenant que ça commence vraiment. 

— QUOI ?! hurlent les sept plus moi-même ce qui nous fait huit ados furibonds. QUOI ?!

— Du calme, les jeunes, indique le barbu, vous allez communier avec la nature. Ça vous fera le plus grand bien. »

C’est bon, là. J’ai assez communié pour aujourd’hui ! Plus de trois heures de montée en me tordant les pieds, ça suffit, nan ? La nature ! Avec quoi tu veux communier ici ? Il n’y a rien ! Des bouts de bois, des cailloux et de l’herbe ! Et ils nous ont piqué nos téléphones ! Bon, de toute façon, il n’y a sûrement pas de réseaux ! Nous allons communier avec les oiseaux, peut-être ?! C’est ça ! Cui, cui, cui.

« Arrêtez de râler, intime l’animatrice - oui, parmi les trois adultes qui nous encadrent, il y a une femme ; une vieille d’au moins quarante ans - voici une carte de la région, une par personne, servez-vous. »

Je fais comme tout le monde, je prends une carte. L’animatrice enchaîne :

« Comme vous le voyez, il y a un point A indiqué en bleu, c’est ici, et un point B, coché en rouge, c’est l’endroit où vous devez aller. Il y a plusieurs chemins pour y parvenir, prenez celui que vous voulez et retrouvons-nous demain matin au point B.

— QUOI ?! COMMENT ÇA DEMAIN MATIN ?! nous nous exclamons tous en chœur.

— Vous avez tout ce qu’il faut dans votre sac à dos. Boisson, nourriture, sac de couchage. Une nuit à la belle étoile, vous allez adorer ! »

Où est ce p… de sicolog [psychologue] ?! Qu’est-ce que c’est que cette histoire à la c… de nuit à la belle étoile ?! Moi, je vais défoncer la porte de la cabane et dormir dedans, point barre ! Pas de point B ! Nan, mais, et pis quoi encore !

C’est à ce moment là que je vois la cabane avancer.

Ce n’était pas une cabane, mais une espèce de gros camping-car carré en bois et l’animatrice agite son bras par la portière :

« Au revoir, les jeunes, à demain et bonne nuit ! »

C’est le barbu qui conduit. L’autre gars est assis au milieu.

Ce camping-car est franchement hideux.

Et voilà, mes sept compagnons d’infortune sont partis, chacun ayant décidé d’un chemin pour rejoindre ce fichu point B.

Quant à moi, je reste assis à maudire cet environnement en maugréant et en arrachant rageusement des poignées d’herbe autour de moi. Je m’auto-énerve. De plus en plus méchamment. Et me voilà debout à flanquer des coups de pieds à droite à gauche, projetant des cailloux dans tous les sens.

« Je veux retourner dans ma chambre ! », je hurle à tue-tête.

Et alors l’écho me renvoie : « …tourner dans TA chambre ! »

« QUOI ?! je braille. Je n’ai pas dit “tourner dans Ta chambre”, j’ai dit : “retourner dans ma chambre !” »

Et là, la situation devient n’importe quoi.

L’écho reprend : « La nuit va bientôt tomber, tu devrais te mettre en route, mon garçon. »

Mais qu’est-ce que c’est que cet écho qui raconte ce qu’il veut ?

« Je ne suis pas un écho, je suis Viviane, la fée du lac.

— Ben voyons ! je dis. Et moi, je suis le Prince Vaillant !

— Ce n’est pas “Vaillant” qu’il faut dire, mais : Valiant ! Bon, assez parlé, en route. Pour aller jusqu’au point B, tu dois traverser le lac.

— Hé, mais je ne sais pas nager, moi !

— Ne t’inquiètes pas. Je vais t’aider. N’oublie pas que je suis la fée Viviane. »

Je descends la colline. J’arrive au bord du lac. Il n’y a personne. Pas de fée Viviane. Pas de barque. Pas de sous-marin non plus.

« Et alors ? j’interroge. Comment je fais pour traverser ?

— Crouââ, crouââ, approche-toi du bord. Regarde, je suis là.

Je me place juste au bord de l’étang. Il n’y a rien. Ah, si, une petite grenouille.

— C’est moi, Viviane. La sorcière m’a transformée en batracien. Pour traverser le lac, c’est simple, tu dois devenir un crapaud.

— Et comment je fais ça ?

— Approche-toi, et je t’explique.

— Bon, je m’avance les pieds dans l’eau. T’as de beaux yeux, tu sais, je dis à la petite grenouille.

— Embrassez-moi », elle me dit.

Ah, bon ? Je me penche, je ferme les yeux et je pose mes lèvres sur la bouche de Viviane, enfin, la grenouille. Et là… houlala ! Je sens sa langue qui s’enroule autour de la mienne dans une succession de méandres glacés et brûlants en même temps. La tête me tourne. C’est magnifique. C’est ça, la communion avec la nature ? Rouler un patin avec une grenouille ? Je n’y comprends rien. Je perds pied. Un curieux courant électrique parcourt mon corps et pop ! que se passe-t-il ? oh, la grenouille se retransforme en fée Viviane et moi, je barbote dans la vase, crouââ, crouââ, je suis devenu un petit crapaud, hé, c’est quoi, ce cirque ?

« Merci, crapaud, me dit Viviane, grâce à toi, je suis redevenu la fée, c’est super.

— Et moi, je fais quoi ? je m’inquiète.

— Ben, maintenant tu peux nager jusqu’au point B.

— Mais, je vais rester crapaud ? (Là, je commence à paniquer).

— Il faut que tu embrasses quelqu’un sur la bouche, et pop ! tu redeviendras ce que tu étais.

— Ah ? Et d’après toi, qu’est-ce que j’étais ?

— Oh, tu étais un beau jeune homme, très grand, très fort, et très intelligent, bien sûr ! En fait, tu ressemblais au prince Vaillant.

— Ce n’est pas “Vaillant”, qu’il faut dire, mais : Valiant ! “Le prince Valiant”, une des premières bandes dessinées, par Harold Foster, vers 1938. Bon. Puisque tu me trouves si beau, embrasse-moi.

— Hé, je suis une fée, pas une gourde ! Je te souhaite une bonne traversée. Bon courage ! ».

Et me voilà parti à nager. Flop, flop, flop. L’eau est à bonne température. Il fait complètement nuit, à présent. D’une brasse élégante, un, deux, trois, j’avance sous les étoiles. Il y a même des étoiles filantes. C’est très joli. Est-ce que c’est ça, la communion avec la nature ? Je n’ai pas le temps d’en dire plus. Bing ! Je me cogne contre un tuyau en ferraille. Ah, non, ce n’est pas un tuyau, c’est le périscope d’un sous-marin nucléaire. Ni une, ni deux, j’embrasse le périscope et pop ! je redeviens moi-même alors que le sous-marin se transforme en une grosse sangsue qui me demande : « Hé, t’aurais pas cent balles ? »

Je considère que le scénariste s’égare un peu, là (ça devient n’importe quoi, cette histoire), alors, je ne réponds pas. Je balance la bestiole dans le lac. Mais je n’y arrive pas ! La voilà collée sur ma cuisse ! Et cette cochonnerie me pompe le sang ! En deux secondes, je vois mon corps blanchir. Je deviens livide. Pire que ça, je deviens translucide. Ah, je me sens mal. Je vois la sangsue grossir, grossir. Et moi, je deviens… je deviens… je ne sais pas ce que je deviens. Une espèce de baudruche comme un ballon dégonflé. Je flotte quand même à la surface du lac. Le vent me pousse et j’arrive de l’autre côté. Ah, quand même. Tu parles d’une communion ! Je suis exténué. Peut-être suis-je mort ?

Je me traîne hors de l’eau. Je vois un écriteau. Une flèche part à droite et indique : direction point B. Une flèche part à gauche, il y a écrit : vers TA chambre. Le point B, je m’en fous. Il y a un coup de vent. Ça me regonfle un peu. Je pars à gauche et je me retrouve dans ma chambre devant mon ordi. L’écran est allumé sur un site d’écriture. Quelqu’un a lancé un défi : racontez votre communion avec la nature…

Ah, bah, je vais vous la raconter, moi, ma communion !

Merci bien, c’était une très bonne idée !

                                                     Après ça, j’ai besoin de vacances. Je pars trois semaines. À bientôt.

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Table des matières

En réponse au défi

Communion avec la Nature

Lancé par Fred Larsen

Vous est-il arrivé de vous sentir ne faire qu'un(e) avec la Nature, de vous sentir à la fois tout petit en son sein et de faire partie de quelque chose tellement plus grand que vous ?

Racontez-nous ça dans le style, le genre que vous voulez.

L'idée est de parler de communion avec la Nature, que ça soit une expérience vécue ou une expérience rêvée.

Je vais vous parler de ce que j'ai vécu cette semaine... Mardi exactement.

Je ne m'en suis pas encore remis.

Commentaires & Discussions

Commu-gnonsChapitre9 messages | 1 an

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