Sombre héritage

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Ma journée était loin d’être finie que l’accablement m’atteignait déjà. Je jetai ma cigarette par terre et l’écrasai violemment avec plaisir, avant de reprendre le chemin du commissariat. Il pleuvait depuis ce matin ; les rues inondées charriaient des tas d’immondices que plus personne ne s’occupait à ramasser. La ville puait, nous nous y étions habitués. L’odorat de cette humanité n’existait plus, il n’avait de toute manière pas de raison d’être. Nombreux étaient les métiers qui avaient disparu, faute de connaissance et de main-d’œuvre. Les plus essentiels nous manquaient cruellement. Certains groupes politiques tentaient de nous ramener la lumière. Ils ne comprenaient pas que nous n’avions plus rien à éclairer et que le noir nous convenait.

Je ralentis le pas pour examiner le cadavre d’une jeune fille, joliment étalé près de sacs-poubelle déchiquetés. Le sang était frais, coulait et créait de belles flaques autour de sa peau blanche. Ses sous-vêtements, encore positionnés à leur place, me gâchaient le spectacle. Son expression terrifiée resterait gravée pour l’éternité ; sa mort n’avait pas été douce. De multiples brûlures et coupures la recouvraient de part en part. Des traces autour du cou indiquaient que le meurtrier l’avait étranglée et qu’elle s’était débattue. Pauvre fille. Je sortis une pomme de ma poche et en croquai un bout. La vie n’avait plus de valeur depuis longtemps. La loi du plus fort n’avait jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. Des rats et autres bestioles bien plus répugnantes entamèrent leur approche en vue d’un repas exceptionnel. Je partis, les laissant à leur festin.

La pomme était juteuse et je m’en félicitai. J’avais eu raison de choisir celle qui brillait le plus, la plus rouge, comme celle de Blanche-Neige. Je me souvenais encore très bien de ce conte. Ma mère adorait cette histoire et me la racontait souvent. Mais c’était avant. Avant la fin du monde. Avant qu’elle ne parte, comme tous les autres, pour un monde bien meilleur que celui que cette catastrophe nous avait laissé. Quelle bande de lâcheurs ! Je les haïssais tous, les détestais pour ne pas m’avoir emmené. Du haut de mes douze ans, j’étais une personne des plus cyniques et des plus méprisables. Je ne me reconnaissais plus et ne savais si je m’aimais ou non comme cela. Tout semblait flou, mes jours nageaient dans un vague continuel jusqu’à ce que je me drogue pour m’endormir et rêver de bisounours. Étrangement, ils finissaient toujours par se trucider avant que je n’ouvre les yeux. Quel monde de merde ! Et il avait déteint sur moi.

Je jetai mon trognon de pomme par terre et remis mes mains dans les poches. Je passai devant des appartements aux portes défoncées et aux fenêtres brisées par lesquelles je pouvais entendre toute la folie de ce quartier. Des couples se disputaient et se battaient, des amis se frappaient et s’insultaient, et d’autres énergumènes tabassaient leur chien ou leur chat. Plus rien ne m’étonnait. Des cris et des pleurs de bébés englobaient le tout. Ils apportaient à l’ensemble une atmosphère irréaliste. Mon imagination fertile m’amena à songer à d’abominables scènes. Mon regard se posa sur des restes de tôle qui traînaient près d’un perron. J’en ramassai un de forme triangulaire. Il pourrait m’être utile. Ma trouvaille sous le bras, je repris la route.

Le commissariat se trouvait dans un état de dépravation avancé. Il ne restait que la lettre C sur la façade. Le bâtiment penchait de travers. Une partie du second étage s’était effondrée et cela n’inquiétait pas grand monde. Ceux du premier, qui n’étaient plus abrités par un toit, n’arrêtaient pas de se plaindre. Ils avaient raison. La pluie ne les aidait pas à garder leurs documents au sec ou à calmer leurs éternuements répétitifs. En même temps, à quoi pouvaient bien servir leurs archives ? Combattre le crime constituait une idéologie qui avait perdu tout son sens. Mes collègues s’occupaient surtout de noter tout ce qui se produisait en s’évertuant à conseiller les gens, ce qui n’était pas si mal après tout.

Aucun de mes partenaires ne savait se défendre ou se battre. Seulement deux d’entre nous avaient appris à manier une arme à feu. Toutes les connaissances s’étaient perdues et le maintien de l’ordre avec. Nous faisions de notre mieux et le réalisions bénévolement. L’argent n’existait plus, Internet avait disparu et tous les autres moyens de communication avec lui.

Beaucoup trop forts, les criminels et les fous furieux nous échappaient à chaque fois, ou nous tuaient. Nous tenions trop à la vie pour nous aventurer sur ce terrain et laissions les malades poursuivre leurs atrocités sans broncher. Un jour, j’en avais eu assez. J’avais décidé d’agir.

L’apocalypse avait été terrible et avait éliminé toutes les personnes âgées de plus de neuf ans. Nous, les survivants, des gamins bons à rien, avions tout perdu. Nos parents et familles nous avaient quittés, avec tout leur savoir, amour et bienveillance. Désemparés et anéantis, notre chute n’en fut que plus grande et dramatique, digne des plus grands films-catastrophes. La plupart de mes compagnons ne savaient même pas lire ou compter au-delà de cent. Je n’avais que peu de connaissances dans tous les domaines ; avant la fin du monde, je préférais perturber les salles de classe. Je découvris que je n’étais pas le seul dans ce cas. Alors, encore enfants, nous étions insouciants, simplement heureux de vivre et avides de nous amuser. Seul le plaisir immédiat comptait. La vie avait tant à nous offrir. Puis, soudain, elle nous avait tout pris. Jusqu’à notre sourire.

Beaucoup d’enfants étaient morts de faim ou de tristesse. Bien d’autres avaient péri dans des accidents d’avion, de train ou de voiture. Certaines villes avaient implosé, des usines avaient explosé et des barrages avaient cédé. Les centrales électriques ou nucléaires étaient devenues dangereuses et avaient été laissées à l’abandon, comme tous les gisements de gaz et de pétrole. Nous avions fini par comprendre que le monde et ses rouages nous étaient complètement inconnus. Pourtant, il fallait continuer de vivre malgré nos nombreuses lacunes et incompétences.

Les adultes avaient détruit leur monde et le nôtre. Ils nous l’avaient involontairement donné et nous ne savions pas quoi en faire. Comment pouvions-nous le sauver ? Ceux qui ne savaient pas cuisiner s’étaient mis à voler, ceux qui ne pouvaient rien construire avaient commencé à détruire et ceux qui paniquaient s’étaient adonnés au mal. Ceux qui lisaient avaient essayé d’éduquer les autres, ceux qui s’étaient remis de l’apocalypse avaient tenté de rassembler, ceux qui aimaient avaient voulu aider et ceux qui avaient abandonné désiraient juste survivre.

À suivre...

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