2. Le jour de la bravoure

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— Regardez ! C’est Vaillance Weiss !

— Je n’y crois pas, elle est vraiment devant nous !

Apparaître en public n’entrait pas exactement dans la catégorie des activités simple et plaisante. C’était pour cette raison que Vaillance suivait depuis plusieurs années de nombreuses leçons afin de la préparer à cette étrange activité. Menton haut, mais pas trop, dos bien droit, visage souriant et regard porté sur l’horizon, chaque geste avait son importance. À cela s’ajoutaient des dizaines et dizaines de règles à appliquer en fonction des occasions, au point où Vaillance arrivait à ne plus savoir où donner de la tête. Même sa démarche respectait un tempo parfaitement millimétré pour ne pas paraître trop pressée ou mollassonne. Pire encore, la noble se devait d’endurer sans broncher les remarques qui glissaient des bouches des jeunes citoyens.

— Elle est aussi mignonne qu’à la télé…

— Tu as vu ses yeux ! Elle a une mutation comme nous !

Le cœur de Vaillance manqua un battement. Avant qu’elle ne puisse s’en empêcher, elle tourna les yeux vers celle qui venait de parler. Une fille aux cheveux couleur neige se tenant à côté d’un grand garçon à la peau presque rouge. Mutation spatiale, une rareté même parmi la population et pas très bien vue par les hauts cercles de la société. Vaillance aussi était née avec l’une de ces bizarreries. Telle l’encre dans l’eau, les ténèbres d’une nuit sans lune affrontaient des flammes azurées au cœur de ses iris. Si le tout avait été figé la première fois qu’elle avait ouvert les yeux, il n’était pas rare de croire la bataille bien vivante quand on découvrait la jeune fille pour la première fois.

Vaillance croisa le regard de la première, comprit qu’elle ne pouvait plus rattraper son geste et se devait d’aller jusqu’au bout. Elle afficha l’un de ses sourires de façade et salua doucement de la main les citoyens. Aussitôt, des hurlements de joie déchirèrent la foule. Au moins, les habitants de Sol IV se moquaient que ses yeux soient différents. Une touche de baume au cœur, Vaillance monta sur l’estrade réservée aux nobles et où ses paires l’attendaient. Elle y fut accueillie par la directrice de sa future école, une dame à l’air carré.

— Mademoiselle Weiss, que vous êtes ravissante ! salua la directrice. Le voyage n’a pas été trop difficile ?

— Au contraire. Je ne pouvais attendre d’arriver, mentit Vaillance en réponse.

— Ho ! je suis certaine que la cérémonie va vous impressionner. Veuillez me suivre, je vous prie.

Quelle torture, soupira Vaillance intérieurement avant d’emboîter le pas de la directrice qui l’amena au-devant de la scène.

— Quand la cérémonie commencera, vous serez en tête de la procession. Nous avons énormément de chance cette année. D’une part le temps est idéal et en plus de cela deux jeunes demoiselles de grand renom sont présentes. Cela va donner une très bonne image de notre planète à toute la Confluence.

Vaillance arqua les sourcils et observa les autres nobles présents. Elle reconnut un grand nombre de ses anciens et futurs camarades de classe, mais ne discerna personne digne d’être considérée comme son égal. La directrice pointa alors vers une jeune fille qui se tenait à l’écart du groupe, un peu en retrait même. Au premier regard, elle ne vit que les longs cheveux de celle-ci. Le flot argenté bougeait de droite à gauche, suivant ses plus discrets mouvements. Les fils précieux se terminaient en pointe noire et entouraient un visage d’enfant fort mignon voilé d’un air songeur. Vaillance, qui se comparait toujours aux autres, sentit une pointe de jalousie lui piquer le cœur. Un petit ange avait trouvé le chemin jusqu’à sa planète.

— Mademoiselle Devos, je vous présente Mademoiselle Weiss. Elle vous accompagnera durant la procession.

L’inconnue tourna la tête et le voile changea pour un sourire. Elle fixa Vaillance dans les yeux, curieuse, presque intrusive, et n’esquissa pas un geste en découvrant les yeux exotiques de la noble.

— Tu es Vaillance Weiss ? demanda-t-elle. Je me nomme Gwënaelle Devos, mais appelle-moi Gwën, s’il te plaît !

La familiarité de la noble laissa Vaillance sans voix. Il n’était pas vraiment indiqué dans l’étiquette de parler ainsi ou de se faire appeler par son prénom, encore moins par un sobriquet. De la part de n’importe quel noble ordinaire, il aurait été scandaleux de se présenter ainsi. Gwënaelle n’appartenait toutefois pas à ces n’importe qui, bien au contraire. Il ne fallut qu’une seconde pour que les rouages se lancent dans la tête de Vaillance et qu’elle identifie la fille aux cheveux d’argent. Un frisson remonta le long de la colonne de Vaillance, elle se tenait en face de la petite fille d’un consul, l’un des cinq hommes politiques chargés de diriger la Confluence. Le ton direct, si bizarre au premier abord, n’étonna plus Vaillance et lui plut même légèrement.

— Dans ce cas, appelle-moi Vaillance, répondit-elle en s’autorisant à sourire.

Les deux adolescentes et la directrice échangèrent quelques banalités puis cette dernière les laissa à deux pour qu’elles fassent plus ample connaissance. Vaillance se retrouva bien vite à danser d’un pied à l’autre. Elle ne savait pas vraiment comment engager la conversation, encore moins avec une fille du même rang qu’elle et la situation tourna doucement à la gêne. N’ayant pas d’idée, elle se força à lui poser quelques questions.

— Je ne t’ai jamais vue à l’école ou aucun événement, tu es venue sur Sol IV récemment ?

— Non, mes parents craignent que l’on m’influence et s’inquiètent que je faute en public. J’étudie à la maison et n’ai le droit de sortir que très rarement.

Vaillance hocha lentement la tête, elle comprenait un peu trop bien ce que sa camarade voulait dire.

— C’est un peu pareil pour moi, ma mère est constamment en train de me gronder, sous prétexte que je n’ai pas bien fait ça ou que j’ai parlé alors que je n'en avais pas le droit. C’est un peu énervant à force.

Gwën hocha la tête et tourna un regard timide vers Vaillance.

— Tu es la première noble que je rencontre qui a aussi une mutation. Même si la tienne est beaucoup plus cool que la mienne.

En les entendant, Vaillance laissa échapper un petit son d’étonnement alors que son cœur s’emballa. Elle étudia sa camarade en quête de la mutation, n’arriva pas à la trouver et craignit que celle-ci se moque d’elle. Son sujet d’étude prit alors un air mystérieux et la laissa chercher avant de l’aider en attrapant une de ses mèches de cheveux.

— Mes pointes ne sont pas censées être noires, révéla-t-elle. Toute petite, tous mes cheveux étaient argentés, mais après avoir fait le voyage jusqu’à Sol IV, je suis tombée malade durant une semaine et puis pouf, le bout de mes cheveux est devenu noir.

— Et ça reste même si tu les coupes ? l’interrogea Vaillance en fronçant les sourcils.

— Oui, chaque fois ça redevient noir et même les perma-colorations s’effritent en quelques jours. J’ai abandonné l’idée de les cacher.

— Tant mieux, je les trouve aussi… cool…

— Tu es bien la première à me dire ça, rit Gwënaelle. D’habitude, les autres nobles trouvent tout cela répugnant.

— Je vois ce que tu veux dire ! Ils ne disent rien, mais ça se voit sur leurs visages, n’est-ce pas ?

Gwën hocha vivement la tête, toute deux avaient vécu la scène des centaines de fois.

— Et après ils font tout pour changer de sujet et ne plus jamais en parler.

— Exactement !

Les deux filles échangèrent un regard complice. C’était la première fois que chacune rencontrait quelqu’un ayant affronté les mêmes problèmes qu’elle. Si pour beaucoup leurs tracas pouvaient sembler ridicules, il n’était pas facile pour une jeune noble de vivre en étant différente. En effet, les cercles de haute classe les traitaient très mal et il était arrivé au deux qu’un de leurs amis arrête de leur parler du jour au lendemain après que leur mutation fut remarquée. Chacune avait appris à vivre avec leur fardeau, ignorant ceux qui se moquaient dans leur dos et gardant la tête haute même quand on les mettait sur le carreau. Se sentant pousser des ailes, Vaillance reprit la conversation et laissa sa langue courir.

— D’ailleurs, tes parents t’ont aussi obligée à participer aujourd’hui ?

— Bien au contraire, j’ai dû me battre pour venir ! répondit Gwën, une grande fierté dans la voix.

— Pourquoi as-tu voulu venir ? s’enquit Vaillance qui n’arrivait pas à trouver une seule bonne raison d’être là.

— Franchement, je n’en avais pas non plus envie jusqu'à ce que j'apprenne que des haïkadens allaient venir.

Vaillance enroula discrètement les mèches traînant autour de son visage entre ses doigts. Des haïkadens, le même genre de personne qu’Alexandr Lesskov.

— Des haïkadens ? Que viendraient-ils faire sur Sol ?

— À ton avis ? Pour trouver des écuyers bien sûr !

Gwën trembla d’excitation en prononçant ces mots. Elle observa les alentours, chercha les protecteurs galactiques, mais ceux-ci n’étaient pas encore apparus. Une voix annonça alors le prochain début de la cérémonie et la directrice de son école revint pour organiser le groupe de jeunes nobles. Vaillance, bien que curieuse de l’étrange réaction de sa camarade, allait devoir garder ses questions pour plus tard.

— Gardez la tête droite et avancez bien en ligne, ordonna la directrice. Montrez l’exemple aux citoyens.

Vaillance leva les yeux au ciel et prit une petite bougie suspendue dans un bol que la dame distribuait à chaque noble avant de lancer la marche. Le groupe passa la première arche qui indiquait l’entrée du lieu de commémoration, un cratère datant de la guerre. Derrière les deux filles suivaient un troupeau de jeunes citoyens venus assister à la cérémonie. Une longue pente les guida à travers un champ de colonnes scintillantes, surgissant de terre pour s’étirer à travers le ciel bleu. Sur les surfaces de pierre noire polie, Vaillance discerna de mystérieuses inscriptions dorées qu’elle n’arrivait à lire ainsi que de nombreux noms. Les deux filles continuèrent de marcher bien en ligne, mais souhaitaient tant découvrir les lieux qu’elles jetaient de rapides regards à droite et à gauche dès que la directrice ne les surveillait pas.

— Vaillance, je pense que ce sont des glyphes haïkaden sur les colonnes, souffla Gwën qui semblait au bord de l’évanouissement. Attends, ne me dis pas…

Le cœur de Gwën s’emballa et elle poussa un cri de joie intérieure qui se refléta sur son visage. Au sommet d’un des promontoires de marbre blanc qui encerclaient le cratère, trois figures se tenaient telles des statues, regard voguant sur la vague d’adolescent. Les jambes de Vaillance manquèrent de s'arrêter quand elle croisa le regard de glace de celui qui se tenait au centre.

— Mon Dieu, Vaillance ! C’est Honestie et Cardosa ! exulta la fille à la crinière d’argent. Attends, qui est celui au milieu ?

— Alexandr Lesskov, répondit Vaillance ce qui lui valut un regard surpris de la part de sa camarade. C’est un vieux gardien… Il vient d’Erin IV…

Le groupe fit halte devant la structure centrale, juste sous les yeux des guerriers de légendes. Ils saluèrent le monument commémorant les soldats tombés au combat durant la défense de Sol IV puis furent invités à poser les bougies au pied de l’étrange structure. On les installa ensuite juste en dessous des haïkadens pour assister à la cérémonie à l’écart du flot de citoyens. Quand le cercle intérieur fut rempli, la cérémonie put enfin débuter. Vaillance connaissait assez bien le calendrier pour savoir ce qu’était la fête de la bravoure. La date célébrait le sacrifice de ceux tombés au combat pour défendre la Confluence ainsi que l’alliance entre la puissance galactique et le mystérieux peuple de protecteurs des Haïkadens.

La directrice fit un long discours où elle raconta les exploits héroïques de ceux ayant défendu Sol IV plus d’une vingtaine d’années plus tôt. Le site tout entier avait été bâti en leur honneur, à l’endroit même où le premier haïkaden était tombé au combat lors du conflit. Le discours était très bien écrit et si beaucoup se sentaient concernés par les exploits passés, Vaillance n’arrivait simplement pas à écouter. Elle avait beau faire, son regard finissait toujours par retourner vers les trois haïkadens. Elle observa Lesskov avec tant d’avidité qu’il finit par tourner la tête. Ses yeux aux couleurs de glacier se plantèrent en plein dans ceux de la jeune fille. Jambes flageolantes, Vaillance se retourna aussitôt en se jurant de ne plus les regarder. Il n’en fit pas autant et, du coin de l’œil, elle pouvait voir qu’il continuait à l’observer. La directrice termina son discours et se pencha pour saluer une dernière fois. Toute la foule fit de même dans un silence religieux, seuls les haïkadens s’en abstenir. À la place, les trois guerriers frappèrent deux fois leurs cœurs de la main droite puis chacun leva son poing toujours serré au niveau de sa tempe, marquant la fin de la cérémonie.

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Quasar point :

Le statut de noble est l'un des titres les plus difficiles d'accès dans toute la confluence. Il est attribué uniquement aux personnes ayant prouvé leur valeur sur les scènes politique, économique et sociale et possédant une réputation aussi claire que le cristal.

Les jeunes nobles, une fois l'âge adulte atteint, doivent réussir un examen d'une grande complexité pour conserver leur statut. Il faut parfois des années à ces derniers pour réussir à cette tâche et même ainsi peuvent le perdre s’ils ne prouvent pas leur valeur rapidement.

Ps :

Merci pour les retours sur les premiers chapitres,

<3 Quas

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