3.2 Le cadeau

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Le groupe d’hommes disparut dans l’un des boudoirs, Vaillance put enfin se tourner vers Gwën. Il était enfin venu le temps de profiter des autres invitées et Vaillance se tardait de présenter la noble aux cheveux d’argent à tout le monde. Dans un coin de la salle, une pile de cadeaux s’était construite et le dernier devoir de la jeune fille était de passer à travers chaque offrande et de remercier les généreux bienfaiteurs.

Les nobles se montraient soit peu soit beaucoup trop originaux dans leurs présents. Vaillance se retrouva écrasée sous un torrent de bijoux et vêtement, assez pour s’habiller différemment jusqu’à la fin de ses jours. Certain, audacieux, lui donnait des babioles arrivant de monde lointain ou les nouvelles technologies sorties de leur industrie pour tenter d’épater la galerie.

En transe, elle piocha dans le mont d’offrandes avec un sourire allant d’une oreille à l’autre. Durant ce temps, chacun venait demander à Vaillance son histoire et ne manquait pas de la couvrir de compliments. Difficile de ne pas se sentir bien après tout ça.

Une fois son dernier devoir terminé, elle traîna Gwën et tous ses amis jusqu’à la piste de danse où elle agita son corps au milieu d’une foule toujours grandissante. Brillant telle une étoile sous le feu des projecteurs, la jeune fille grisée par sa soirée s’osa même à chiper quelques gouttes d’alcool, mais fut bien vite rappelée à l’ordre par Jasper. Le vieux majordome était sorti de nulle part pour lui retirer son verre. Ce ne fut qu’une fois la fin de la nuit proche que la fatigue commença à la rattraper. Son corps bouillonnait sous sa robe et ses moindres pensées étaient dérangées par un bourdonnement. En quête d’un peu d’air frais, Vaillance s’aventura sur l’un des balcons pour la première fois. Aussitôt, sa peau se couvrit de chair de poule. Un léger vent balayait l’endroit, la douce température du jour avait depuis longtemps disparu et elle dut ramener ses bras contre sa poitrine pour préserver un peu de chaleur.

Malgré tout, Vaillance n’avait pas envie de rentrer. Elle n’en pouvait plus de la foule et il lui fallait une touche de liberté. Elle entendit la porte s’ouvrir derrière elle, et vit Gwën débarquer en sautillant. Bien qu’en nage, la fille resplendissait d'un grand sourire.

— Je n’en peux plus ! hurla-t-elle en s’étalant sur la balustrade juste à côté d’elle. C’est la première fois que je m’amuse autant depuis que je suis arrivé sur Sol. Dommage que la soirée soit déjà terminée.

Le cœur de Vaillance fit un bon dans sa poitrine.

— Tu vas t’en aller ? Il est encore si tôt…

— Désolée Vaillance. Mon grand-père vient de finir sa conversation et mes parents ne veulent pas que je rentre trop tard dans tous les cas.

Ne cachant pas sa déception, Vaillance attrapa la main de la fille.

— Dans ce cas-là, ça te dit de venir passer quelques jours à la maison ? J’organise une petite fête dans deux semaines où il n’y aura que mes amis proches.

Gwën détourna les yeux et recula d’un pas.

— Je ne pense pas que ce sera possible.

— Je suis certaine que mes parents pourront convaincre les tiens et même, avec un peu de chance, peux être qu’ils arriveront à les persuader de te faire rejoindre la même école que moi l’année prochaine ! Vu ton statut, tu serais accepté sans problème !

— Ce n’est pas ça Vaillance, dit-elle un peu gênée.

— Quoi alors ? Tu n’as pas envie de venir ? J’ai dit quelque chose de mal ?

Gwën secoua la tête. Ses yeux clairs glissèrent vers la nuée stellaire qui s’étendait dans le ciel, elle chercha quelques mondes lointains à travers la nuit.

— Si je te le dis, tu me promets de ne pas le répéter ?

Vaillance répondit par un simple hochement de tête, résolu et droit.

— Demain, j’irais me présenter aux haïkadens.

La noble aux cheveux de jais se figea.

— Te présenter aux haïkadens ? Pourquoi faire ?

— Pour devenir une écuyère, bien sûr !

Vaillance en resta bouche bée. Jamais elle n’aurait pu arriver à une telle réponse. En voyant le mélange de surprise et d’incrédulité sur le visage de Vaillance, Gwënaelle essaya de s’expliquer.

— Ça fait des années que j’y pense et j’avais encore quelques petits doutes, mais depuis ce matin j’en suis certaine, Je veux devenir une haïkadenne. Et je me disais… je me disais… que peut être tu voudrais bien m’accompagner ?

Vaillance crue bien tombée à la renverse. Rejoindre les haïkadens ? Pires qu’une idiotie, ces mots revenaient à la trahison.

— Pourquoi diable ferais-je une chose pareille ? s’emporta l’adolescente au regard azuré. Je suis une fille de bonne famille, Gwën ! Je ne compte pas aller me rouler dans la boue avec des citoyens et finir mes journées couvertes de sueur!

— C’est bien plus que ça d’être une écuyère. Nous serions libres ! Libre d’explorer l’univers, de rencontrer des personnes toutes différentes, de vivre pleins d’aventures et de changer la Confluence ! ça ne te fait pas rêver ?

Vaillance secoua la tête, refusa d’entendre les explications de son amie.

— En rêver ? Elle répéta, du mépris dans la voix. Qu’est-ce que tu en sais, exactement ? Tu me connais depuis moins d'une journée ! Jamais je ne rejoindrais des personnes aussi détestables !

— Ça… ça ne devait pas se passer comme ça, murmura Gwën, lèvres tremblantes.

Je… Je pensais que…

— Eh bien tu penses mal ! Ton rêve est complètement débile !

Les mots de Vaillance, sortis de sa bouche trop vite, en furent trop pour la noble aux cheveux d’argent. Ses yeux s’inondèrent de larmes et, avant que Vaillance n’ait le temps d’ajouter quoi que ce soit, elle s’enfuit en courant. Vaillance la regarda disparaître dans la foule.

Son sang battait ses tempes et son corps menu, secoué par l’adrénaline, tremblait de toute part. Il n’était pas exactement dans la nature de la jeune noble de s’emporter, au point où elle se rappelait encore la dernière fois qu’elle s’était battue avec sa sœur des années auparavant. À coup de grande inspiration d’air glacé, elle réussit à ramener un semblant de calme. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se rendit compte de ce qu’elle venait de faire.

Les nobles étaient tenus de suivre une étiquette aussi complexe que méticuleuse, s’en abstenir pouvait avoir de terribles conséquences. D’aussi loin qu’elle se souvenait, Vaillance l’avait toujours appliqué. Non seulement Vaillance venait d’insulter Gwënaelle, ce qui représentait l’une des plus graves entorses, mais pire que ça, elle l’avait fait pleurer.

La surprenante noble à la crinière d’argent était la première personne avec qui Vaillance s’était vraiment entendue, la première personne ayant rencontré les mêmes problèmes et difficultés qu’elle. Elle avait tout de suite senti une connexion avec la fille, ce même sentiment qui avait poussé Gwën à avouer son plus grand secret, et Vaillance l’avait trahi sans même sourciller.

Je suis horrible, réalisa l’adolescente.

Une partie d’elle lui cria de courir, rattraper la petite noble et la prendre dans ses bras tout en la couvrant d’excuse, mais cette voix était rendue sourde par tout ce qu’elle avait un jour appris. Elle ravala la boule qui lui bloquait la gorge, chassa ses larmes et fit renaître le visage de statue qu’elle portait toujours en public. Ce n’était pas sa faute, se persuada la jeune noble. Si Gwën n’avait pas raconté d’idiotie et agit en tant que bonne petite noble comme Vaillance, tout se serait très bien passé et elle aurait pu rester amie. Elle resta un long moment immobile, regardant le lointain. Le skycraft de Gwën finit par décoller de la piste et Vaillance sentit un grand vide l’envahir. Elle baissa les épaules et se posa sur l’un des bancs. Malgré le froid qui lui mordait la peau, elle n’arrivait à se résoudre à retourner danser et même se forcer à sourire lui fit mal.

— Tu aurais dû aller t’excuser.

Vaillance sursauta violemment, personne n’était entré depuis le départ de Gwën et elle n’avait pas entendu qui que ce soit approcher. Pourtant, quelques pas derrière elle, la silhouette d’une humaine se discerna dans les ombres.

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?

— N’aie pas peur, je ne te veux aucun mal.

Doucement, l’inconnu s’avança dans la lumière tout en gardant les mains hautes en signe de paix. Elle était comme un spectre aux formes humaines, une esquisse vacillante au bord de la réalité, à la fois bien présente, mais trop magique pour être une femme ordinaire. Vaillance attrapa ses coudes, recula jusqu’au bord du banc. Elle hésita à crier et partir en courant, mais quelque chose l’appela chez cette étrange inconnue.

— Vous n’avez pas répondu à ma première question, indiqua l’adolescente contrariée. Qui êtes-vous et que faites-vous à ma fête ?

— C’est vrai, s’amusa l’autre. Haute gardienne Axia Kaleban des goules. Je suis une haïkadenne tout comme Alexandr que tu as rencontré plus tôt.

Axia ponctua sa phrase en posant la main sur son cœur puis la leva devant elle pour saluer l’adolescente. La voix d’Axia était ensorcelante, presque autant que la sérénité océanique qui émanait de chacun de ses gestes. Vaillance dut se contenir pour ne pas hocher la tête comme une idiote.

— Vaillance Weiss, salua-t-elle en retour. Les Goules ? C’est la même chose que les Aegis ?

— Oui et non. Ce sont deux doctrines différentes, expliqua Axia. Une doctrine c’est à la fois une mentalité et une famille pour les haïkadens. Les Aegis ont tendance à être très rentre-dedans tandis que la mienne privilégie une approche plus pensée.

— Je n’en avais jamais entendu parler, nota Vaillance avant de prendre un ton plus suffisant. Pourquoi n’être pas venue me voir plus tôt ? Vous êtes supposée saluer votre hôte quand vous allez à une soirée.

Le visage d’Axia s’illumina d’un écrin de vie et un sourire en coin surgit sur son visage. Vaillance pinça des lèvres, la gardienne ne la prenait pas plus au sérieux que Lesskov.

— Ne nous rencontrons-nous pas ? Je trouve cela bien plus stimulant qu’un bonjour sans saveur et quelques courbettes.

— Vous n’aimez pas les nobles non plus, remarqua Vaillance.

— Faux ! je pense votre style de vie triste et manquant cruellement de respect pour vous-même. Par exemple, comment peux-tu arriver à être aussi heureuse en ouvrant une pile de cadeaux sans saveur, offert par intérêt et ne te correspondant même pas ?

— C’est une tradition, se défendit l’adolescente. Ils ont pris le temps de venir me voir et de m’apporter un présent, je leur dois bien un peu de gratitude.

— Donc, c’est leur devoir de t’offrir quelque chose ?

— Exactement ! D’ailleurs, j’attends toujours votre présent.

Si l’adolescente pensait lui avoir cloué le bec, elle révisa bien vite son jugement. La guerrière regarda droit dans ses yeux un moment, admira les flammes bleutées, avant de prendre sa décision.

— J’ai bien une idée, mais je ne suis pas sûr que cela te plaira… Tu es certaine de toi ?

Vaillance réfléchie avant de donner sa confirmation. D’une main, Axia retira un pendentif suspendu autour de son cou et le présenta à l’adolescente. Sur une chaîne d’acier brute avait été accroché un fragment de métal. Long comme un pouce et moitié moins large, il était couvert d’une couche de peinture bleu lapis. Dessus une inscription avait été tracée, un B et un C liés l’un à l’autre tels deux maillons. Axia n’attendit pas pour son accord et passa le médaillon autour du cou de Vaillance. Sans un mot, la jeune fille effleura le morceau d’acier du bout des doigts. Le bloc de métal était couvert d’impureté et glacial au toucher. D’une simple caresse, l’un pouvait sentir toutes les horreurs auxquelles il avait assisté.

— Ne touche pas cette partie…

Une vive douleur pulsa dans son index alors que le fragment déchira sa douce peau. Yeux grand ouverts, elle contempla le liquide carmin fuir son corps pour enduire la peinture. Blue secoua la tête et prit tendrement la main de la jeune fille.

— Fais un peu attention ! sermonna la gardienne en tirant un bandage d’une de ses poches. Regarde-moi ça, tu es toute fragile. Plus de sport ne t’aurait pas fait de mal si tu veux mon avis. Alexandr serait d’accord avec moi et il s’y connaît bien puisqu’il entraîne les écuyers.

— C’est quoi exactement, demanda Vaillance en grimaçant. Je n’ai jamais vu de collier comme ça.

— Un porte-bonheur. Je l’ai fabriqué quand j’étais un peu plus âgé que toi. C’était durant mes premières années en tant qu’écuyère. Je n’en ai plus vraiment besoin et c’est la seule chose que je peux te donner. Il va falloir faire avec… En plus, je pense qu’il pourra bientôt t’être utile. Voilà, tu es comme neuve.

Tout en terminant sa phrase, la gardienne jeta un regard au fragment et une certaine mélancolie envahit son visage. Pour Vaillance, il était clair qu’elle tenait au jeton bleu bien plus qu’elle ne l’avouait.

— Je ne comprends pas… ce collier n’est-il pas important pour vous ? Pourquoi me le donner ?

Blue laissa échapper un léger rire, ses yeux si mornes quelques minutes plus tôt pétillaient à présent de vie.

— Disons que tu m’intéresses, Vaillance Weiss. Et puis c’est ce qui en fait un cadeau digne de ce nom. Elle fit un clin d’œil à l’adolescente. Je compte sur toi pour en prendre soin, j’aimerais bien le voir à ton cou la prochaine fois que nous nous reverrons.

Axia se redressa et tourna vers la porte qui s’ouvrit au même moment. Vaillance n’avait rien entendu venir et fut surprise par les réflexes de la gardienne. L’air joyeux de cette dernière s’amenuisa quelque peu quand Lesskov passa l’embrasure.

— Axia ! appela l’homme sans même remarquer Vaillance. Nous devons y aller. J’ai de mauvaises nouvelles et nous devons en discuter d’urgence.

— Dommage ! Moi qui commençais enfin à m’amuser. J’espère te revoir vite Vaillance et n’oublie pas d’offrir tes excuses à ton amie. Ce que tu as fait ce soir n’était pas gentil.

— Attendez ! Vous ne pouvez pas partir comme ça !

Axia rit de quelques hautes notes à la tête de la jeune fille. Ses mots n’avaient aucun pouvoir sur les gardiens.

— Quel regard ! Tu ressembles tellement à ton père. Tu es plus mignonne avec le sourire.

— Nous n’avons pas le temps pour tes plaisanteries, termina Lesskov avant de remarquer le collier.

Il dévisagea la noble, la scruta de la tête au pied puis jeta un regard dur à l’autre haïkadenne. Axia répondit en posant sa main sur le bras de chair du gardien, caressa sa peau de cuivre.

— Es-tu certaine de toi ?

— Don offert ne peut être repris, énonça Axia.

— Attendez ! cria Vaillance en s’avançant.

Les yeux bleus de Lesskov trouvèrent ceux de la jeune fille et la clouèrent sur place. Il la jugea un instant, hésita à parler, mais finit par tourner les talons dans le plus grand des silences. Maudissant l’homme, l’adolescente tenta de les suivre, mais les gardiens étaient bien plus rapides qu’une enfant de treize ans. En dernier recours, elle dissimula le fragment sous sa robe. Elle n’avait pas envie que qui que ce soit l’observe avec un truc aussi laid. Caché entre le tissu et la peau, le morceau de métal balançait avec chaque mouvement. Déjà, Vaillance savait qu’elle se réveillerait couverte de griffures le lendemain, mais c’était toujours mieux que la honte d’être vue avec. L’enlever ne traversa même pas son esprit, Vaillance avait adopté le porte-bonheur

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Quasar point :

Le salut des haïkadens, frapper deux fois son cœur du poing puis lever la main au niveau de sa tempe possède diverses variations. Ici, Axia pose simplement la main de manière prolonger, symbolisant un salut moins formel tout en restant polie. Dans le chapitre 2, les haïkadens lèvent le poing au lieu de la main, signe de respect et d'égard envers l'interlocuteur ou, dans ce cas précis, envers ceux tomber au combat.

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