10.1 Ogre, chevalier et princesses

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Les échos de leur course se firent entendre à travers tout le hall des gens. Bien que remplie de pupille et écuyers encore quelques minutes plus tôt, les trois adolescents étaient désormais les seules âmes présentent dans le bâtiment si l’on ignorait le vieux Voker.

Vaillance s’étonna rapidement de ne pas tomber à bout de souffle dès le premier virage. Elle attribua aussitôt ce miracle à sa nouvelle tenue qui l’accompagnait dans chacun de ses mouvements, conservant son énergie et l’empêchant de se tordre les chevilles.

En y réfléchissant un peu, cela lui rappela les objets dans les jeux vidéo favoris de sa sœur. Sa cadette lui avait expliqué que les porter suffisait à devenir plus fort, sûrement ils étaient inspirés des vêtements haïkaden.

Sorti du hall des géants, le trio se pressa dans une rame dont les portes se fermèrent juste derrière eux. Vaillance se laissa tomber lourdement sur l’un des sièges, tout de même bien contente de pouvoir reposer ses jambes. Gwënaelle l'y rejoignit.

— Je ne m’attendais pas à pouvoir tester notre tenue aussitôt ! rigola la noble argentée. On aurait dû retourner dans le centre à pied, ça aurait été amusant !

— Xaï, petite Gwën ? Si on avait loupé ce train, je ne suis pas sûr qu’on serait arrivé à temps, rétorqua Anil avant de jeter un coup d’œil à Vaillance. Et puis je ne pense pas que jolie Vaillance aurait réussi.

Cette dernière fit de son mieux pour faire revenir un semblant de forme à son visage, ce qui fit sourire le garçon. Voir les deux nouvelles écuyères dans cet état le renvoya à ses premiers cours d’aegis. Un air mesquin, une touche sadique, traversa Anil quand il imagina les premiers entraînements que Lesskov allait faire subir à ses deux protégés. Pour rien au monde il ne devait rater ce spectacle.

Le trajet jusqu’au centre de la base fut bien plus rapide que l’aller. Une fois débarqué, Anil emmena les filles au pied de l’épine, dans une salle ronde où une classe entière de pupilles attendait avec impatience le début de la cérémonie de l’aube. Anil s’arrêta à la porte et se tourna vers les deux nobles.

— C’est ici qu’on se sépare, annonça le garçon. Je vais vous laisser aller à la rencontre de vos petits camarades. Par contre, ne faites pas trop les fières tant qu’aucun instructeur n’est là, ça pourrait mal se terminer.

Gwënaelle observa la foule avant de revenir vers le page.

— Pourquoi ?

— Tu vois le groupe de grandes filles avec plein de tresses dans les cheveux ? Celles aux teints tannés qui ressemblent beaucoup aux humains, mais qui ont les yeux jaunes ? Ce sont des valag’fends, de vrais durs et elles ont le sang très chaud. Si l’une d’elles pense que tu te moques d’elle, son poing finira dans ta figure avant même que t’aies le temps de réagir. Faites aussi attention aux nog’lons, tous les ans il y en a un qui a de la mousse à la place du cerveau et se croit le plus fort du monde.

— Donc, éviter d’énerver qui que ce soit, traduisit Vaillance après la longue tirade.

— Exactement, jolie Vaillance ! Je savais que tu étais une maligne. N’hésitez pas trop à parler aux autres, histoire de vous faire des amis. ça peut être un peu dur au début, mais l’école est carrément mieux une fois qu’on a un groupe de potes avec qui s’amuser entre les cours.

Il marqua une pause et étudia un petit rassemblement qui se trouvait à l’écart du reste, les pupilles venus de l’empire vlin’ns. Vaillance pouvait lire l’appréhension sur les visages délicats des vlin’ns et leur regard fuyant lui rappela aussitôt les manières des jeunes nobles qui la rencontraient sur Sol IV.

— Je vous dirais bien aussi d’aller bavarder avec les vlin’ns, mais il va leur falloir du temps pour qu’ils ne se sentent en confiance. Koliane a mis plusieurs semaines avant d’arriver à nous parler normalement. Franchement, il y avait un petit côté mignon à la voir bégayer, mais c’est très vite énervant.

Gwënaelle fixa le garçon avec un sourire en coin. Anil répliqua d’un clin d’œil avant de poser le poing sur son cœur.

— Allez, je décolle avant qu’un instructeur ne rapplique. Que la poussière vous guide, pupilles !

Il compléta le salut des gardiens, tenant cette fois son poing fermé jusqu’au bout. Les deux filles lui répondirent puis le regardèrent partir au pas de course, esquivant les derniers retardataires qui arrivaient par d’agiles mouvements. Vaillance s’avança la première, collée par Gwënaelle qui faisait soudainement moins la fière.

Aux quatre coins de la salle, de nombreux petits groupes s’étaient formés. Outre les vlin’ns qui occupaient le bord gauche et les fends au centre, Vaillance compta une dizaine d’attroupements et évalua les pupilles à une grosse cinquantaine répartie à parts égales entre les diverses races de la Confluence.

Le problème d’être arrivé en retard, c’est que s’introduire dans un groupe devenait un peu plus difficile. Gwënaelle, qui avait toujours vécu dans une bulle à l’écart du monde, se retrouva soudainement bien embarrassée, car elle ne savait pas du tout comment engager une conversation. L’une comme l’autre étant des nobles de haut rang, il était de coutume que l’on vienne se présenter à elle où qu’un intermédiaire s’en charge.

Devoir aller se présenter tout seul sembla d’ailleurs bien étrange à Vaillance, comme à peu près tout ce qui se passait depuis son départ de Sol IV.

Voyant que Gwënaelle ne prenait pas plus d’initiative, la noble aux cheveux de jais se remémora les leçons d’observation que son père lui avait enseignée durant sa jeunesse.

Juger les gens d’un seul coup d’œil était un art complexe et un outil vital pour un noble. Comme il était important de s’entourer de bonne personne, Vaillance avait dû apprendre à les jauger ses semblables en un regard.

La noble savait qu’il n’était pas possible de tout connaître sur quelqu’un en l’observant. Cependant, et avec beaucoup d’entraînement, gestes et détails dévoilaient une ribambelle d’information suffisante pour définir un profil. Elle épia les attroupements un à un, notant les expressions sur le visage, la manière de parler et de se tenir de ses camarades.

Vaillance classifiait les gens par groupe. Le gros de la population était amalgamé parmi les normaux, personnes ayant un manque clair de personnalité et suivait les tendances telles de petits pantins sans opinion propre.

Le deuxième se composait dès les fantômes. Peureux et craintifs, ces étaient le plus facile à repérer. Gestes gauches et tension trahissaient leur appréhension telle des lampes dans la nuit. Si les aborder se montrait souvent plus commode, la majorité d’entre eux se trouvait tout de même à la marge de groupe, car effrayer de se retrouver laissée de côté.

À l’inverse, les pleins de confiance, ou leaders comme elle les appelaient, étaient à éviter. Parmi ceux-là, Vaillance dénota un nog’lon à l’air coriace et une grande sul’dothe qui captivaient ensemble un groupe entier de pupille.

Ils n’étaient pas les seuls et tous sans exception se vantaient haut et fort afin d’attirer l’attention des normaux afin de se créer un cercle de sbire qui les suivraient tel un gourou.

Les fends appartenaient à une toute nouvelle catégorie. Le groupe de lionnes riait aux éclats et chahutait au centre, criant dans leur langue et lançant des regards amusés vers leurs camarades d’autres espèces avant de ricaner de plus belle.

Vaillance n’eut pas à parler fend pour deviner qu’elle se moquait de leurs voisins et si cela l’agaça un peu, elle ne pouvait rien y faire. Si elle ne comptait pas s’approcher des amazones avant, c’était maintenant encore moins le cas.

Terminant son tour d’horizon, Vaillance s’attaqua à sa dernière catégorie de personne, les marginaux. Sur les extrémités, ou par pair se trouvaient ceux que Vaillance n’arrivait pas à classifier d’un seul coup d’œil.

Une humaine ayant la peau couleur de la terre mouillée et de grands yeux rose brillant, un duo étrange composé d’un blond aux airs de gorille flanqué d’un intello aux cheveux poil de carotte et, finalement, le nog’lon qui lui avait adressé la parole dans le métro. Chacun avait un profil particulier et n’agissait pas du tout comme le groupe auquel il aurait dû appartenir.

— Vaillance ! Fais attention !

Plonger dans ses découvertes, la petite noble s’était totalement coupée du reste du monde. Le cri de Gwënaelle la ramena sur terre juste à temps pour qu’elle percute quelqu’un. Vaillance se retourna, prête à s’excuser, et tomba nez à nez avec deux furieux morceaux d’ambre liquide.

C’était une fend dont les longs cheveux était coiffé en cinq longue tresse entrenoué. Elle n’était ni la plus grande ni la plus musclée de la bande, mais Vaillance la devina aussitôt comme la chef de meute. Combattant la paralysie générale qui la gagnait, Vaillance recula pour la laisser passer. Hélas, les quelques seconds nécessaires pour identifier le danger avaient été de trop.

— T’as un problème, l’asticot ? cracha la brune.

Vaillance pâlit à vu d’œil alors que son sang gela dans ses veines. Jamais personne ne l’avait traité de la sorte, encore moins menacé et la surprise se lut sur son visage. Devait-elle s’excuser ? Répondre ? La panique fit tourner son esprit à la page blanche.

— Hé bien quoi ? continua l’autre. T’as perdu ta langue ? L’asticot ne sait pas parler ? Peut-être qu’il veut que je lui amoche le portrait ?

Vaillance étouffait, l’air qu’elle respirait se transformait en un épais liquide qui obstruait sa gorge. Derrière elle, Gwënaelle criait intérieurement, terrifiée par le duel qui se déroulait devant elle. Aucune des deux nobles n’arrivait à bouger, encore moins à prononcer le moindre mot. La fend, dont la patience atteignait déjà ses limites, contracta sa main sur son biceps et grimaça.

— Tu l’auras voulu, l’asticot.

Elle leva son poing, prêt à l’écraser sur le nez de Vaillance quand une voix s’éleva derrière elle.

— J’avais entendu dire que les fends aimaient relever les défis, mais toi tu me sembles plutôt du genre à tyranniser les plus faibles.

La fend se retourna vers celui qui oser la narguer et cette fois-ci, ce fut à son tour de se retrouver en face d’un adversaire qui la dominait. Ender, qui se tenait à l’écart des autres pupilles depuis son arrivée, avait assisté à toute la scène. Il avait tout de suite compris que la situation risquait de mal se finir pour les deux petites humaines et il avait pris la décision d’intervenir. Il marcha doucement pour se positionner entre les deux nobles et la fend, se gonfla pour se grandir encore plus. La brune dévisagea le garçon d’un regard noir, mais du reconnaître qu’il était plus impressionnant que les deux naines qu’il accompagnait.

— Qu’est-ce que tu veux, nog’lon ? Envie que je te casse tes jolis genoux ? Histoire de te réduire à la même taille que tes copines ?

— Chien qui aboie le plus, mords le moins. Je t’attends, cela aura le mérite d’être divertissant.

Tout en parlant, il se mit en garde ce à quoi la fend répondit en l’imitant. Les deux se fixèrent plusieurs secondes, se jugeant silencieusement jusqu’à ce que la fend tourne le regard vers son groupe de congénère. Elle baissa d’un coup les mains et cracha au sol.

— Tu n’en vaux même pas la peine. T’es chanceux aujourd’hui, scarabée. La prochaine fois, je me charge de ton cas.

Elle tamponna le garçon pour faire bonne mesure, mais celui-ci ne bougea pas d’un cil ce qui la força à faire le tour. Son visage contorsionné de rage, la fend le foudroya de ses yeux ambrés avant de partir en fulminant. Même cachée derrière Ender, Vaillance en eut la chair de poule. Elle comme Gwën surent aussitôt que ce ne serait pas la dernière fois qu’elle entendrait parler de la fend, pas besoin de voir le futur pour le deviner.

Le danger écarté, les deux nobles reprirent leurs aises et tournèrent des visages pleins de reconnaissance vers le grand nog’lon.

— Merci beaucoup, souffla Vaillance encore chancelante. J’étais certaine qu’elle allait me frapper.

— Franchement, j’y ai aussi cru durant un bon moment, rit le garçon amer. On peut dire qu’on a tous eu de la chance dans notre misère.

Il regarda Gwënaelle dans les yeux et fit le salut familier des gardiens que la jeune noble rendit.

— Je m’appelle Ender Mercer d’Erin IV.

— Tu es le garçon avec qui Vaillance parlait dans le métro ! reconnut la noble. Moi c’est Gwënaelle, mais appelle-moi Gwën ! Tu viens d’Erin ? Tu t’y connais en arts martiaux ? Tu es fort ?

Le garçon sourit faiblement, un peu chamboulé par l’énergie de la fille aux cheveux d’argent.

— Oui, mes parents m’ont appris quelques basiques.

— Vraiment ? s’écria Gwën. C’est trop cool, pas étonnant que tu n’aies pas eu peur de cette peste ! D’ailleurs c’était quoi son problème ? Vaillance n’a pas fait exprès de lui bloquer le chemin !

Ender fit passer son index sur l’arrête osseuse de son nez, observa le groupe de jeunes guerrières un instant avant de tirer la grimace.

— Le peuple des lignées considère la force comme la base absolue de la société. Elles ont toutes été éduquées ainsi par leurs mères, entraînées à se défendre dès leur plus jeune âge pour pouvoir avoir une place dans leur monde. Chez elle, les faibles doivent servir les plus forts. Comme tu ne t’es pas soumise aussitôt, elle voulait clairement te remettre à ta place et le seul moyen qu’elle connaît c’est avec ses poings. Tu n’as pas eu de chance Vaillance. Une autre aurait sûrement laissé passer, mais tu es tombée sur KarinTedia Osder.

Vaillance leva un sourcil, surprise que le garçon connaisse de nom la grande brune.

— Tu l’as déjà rencontré ? demanda Gwënaelle, elle aussi intriguée.

— Je l’ai croisé une fois, mais jamais je ne lui avais parlé. Sa mère est une haïkadenne tout comme mes parents adoptifs.

— Tu es le fils de gardiens ? s’écrièrent les deux filles en même temps.

— Cela n’a rien de spécial.

— C’est pour ça que tu lui as tenu tête ? demanda Vaillance. Tu savais que tu arriverais à te défendre.

Il secoua la tête.

— C’était du bluff. Même si j’ai quelques basics, je ne tiendrais jamais contre Osder. Ne te laisse pas tromper, car elle n’est pas la baraquée de sa bande, cette fille est une véritable ogresse et est de loin la pupille la plus forte de cette année. Elle pourrait vous blesser si vous ne faites pas attention.

Il sourit aux deux nobles.

— Mais ce n’est pas une raison pour vous faire marcher sur les pieds. Défendez-vous jusqu’au bout, sinon ce genre de personnes n’arrêteront pas de vous tourmenter.

Vaillance acquiesça du regard, mais douta du garçon. Contrairement à Ender, l’adolescente ne dépassait pas de deux têtes ses camarades et n’était pas plus épaisse qu’une brindille. Réussir à effrayer quelqu’un avec ses petits bras lui parut aussi probable que de se lier d’amitié avec la dénommée Karin. Rêver était bien beau, mais Vaillance préférait encore garder les pieds sur terre.


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Quasar point :

Les valag’fend sont la race la plus jeune des cinq proéminentes. Leur nom se traduirait par peuple des lignées. Leur société se structure autour de grande famille aux multiples branches et chacun a le devoir de prouver sa valeur aux ancêtres afin de siéger parmi eux une fois leur dernière heure venue.

Les fends et les nog’lons sont d’éternelles rivales.

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