Minute 10

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Après m'être accrochée trois longues heures au train en désolation d'être à moitié vivante, le fer m'a recrachée en silhouette floue sur les pavés et les doigts grouillant dans mes viscères ont amarré mon labyrinthe à cette ville frissonnante. Une créature s'empiffre déjà sous les chaires dures des immeubles haussmanniens. J'entrouvre le marbre, m'y trouve moi.

En ce jour de janvier, la Cité-Lumière est d'une turbulente mélancolie. Des bâtiments s'élèvent - subtilités difformes et nobles mystères - il se passe quelque chose sous tous les toits. Un amas de poussière triste se console dans les bras d'un plumeau d'espoir. Et j'ai vu des âmes valser sur leurs balcons, vêtues de clichés sans le croire. Je voulais sourire à leur intention alors j'en ai esquissé plusieurs brouillons et les ai adressés au vide.

Le bleu sur la Seine ondoie. L'or sur les paquebots de pierre immobilisés aux pourtours des avenues sursaute sous ma caméra. Je capture avec acharnement le soleil sur la ville, l'orange sur les carreaux et les câbles sous tension . "Je" est grise et rosie, je m'écroule de ma planche comme un nymphéa vers une toile, d'un coup de pinceau. On me brossera un portrait surréaliste quand je serai usée et gâteuse, et j'aimerais que sans mot, on me raconte comme ça : une fleur insolite entre les mains d'un artiste sur les débords urbains.

Echappée de moi-même, grande matinale de la civilisation, je m'extasie du merveilleux en arrière-plan. On l'appelle "vibrations contemporaines". Les couleurs se diluent et les petits personnages s'agitent, à mi-chemin entre le papier et l'humain. Guère surprenant : je me fige tous les quatre pas. Le conte citadin m'habite, on importe le monde sous ma peau. Je m'envole dans un courant d'air, ai l'hiver entre les mots, l'amour dans les yeux et la tristesse sur un cintre, bien loin de ma poitrine.

-Pensée-

J'ai marché sur les bords de Seine puis dans les musées et parfois les deux en même temps car rien n'expose mieux l'art que la réalité. Toujours avec un brin de cils fixé sur le haut des toits, caressant du bout des pensées une notion qui joue depuis longtemps en mon labyrinthe : le monde vibre à la fois d'humains et de leur absence.

Je me suis dit qu'ici "Toi et Moi" deviendraient une ligne qu'on accorde aléatoirement aux partitions d'un destin réversible. L'amour serait une veste, toujours la même (écorchée) et on la porterait les jours de pluie pour goutter le sel. Une veste flottante qui offrirait du pain le matin et grisaillerait fortement l'après-midi avant de s'éclaircir délicatement au soir. Une veste mouvant au cœur des expositions, broutant l'art en ruminant le passé. Elle aurait un motif de jonquille et coquelicot, entrelacés.

-Pensée-

J'habiterai un temps à Paris, plus tard, et je laisserai mon corps s'allonger sur les toits. Il se distendra comme un accordéon en pensant à toi qui sera devenu un regard niais pendu à mes côtes - reflet de mon émoi. Ou bien mon écorce s'épaissira-t-elle d'un énième corps pourvu d'âme, un quelqu'un rencontré au fil du hasard. Je m'agiterai au rythme trouble parisien, comme si j'étais un personnage animé bigarré, racontant au cœur de la ville la nostalgie de ses habitants ou une histoire d'amour, peut-être une lamentation entre les brumes et les draps.

Demain, Paris, ce sera moi.

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