Minute 45

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Cher ami,

Nous ne nous connaissons pas mais je t'imagine très bien. Me pardonneras-tu de fracasser des émotions violentes contre notre toute nouvelle relation ? C'est égoïste mais je t'ai créé en matière grise alors tu subiras ce que ma bouche crachera. Tu l'attraperas et l'enserreras fort, jusqu'à ce que mes coups de rage, mes coups de peine et mes coups de poing contre l'air soient tes côtes. Et ta colonne, mais plus la mienne.

J'ai le cœur plein, instable, et les mains vides de peau. Il n'y a personne dont les bras m'accueilleraient pour mourir et même s'il n'est pas encore temps de gémir pour un saut de l'ange, un plongeon d'artiste, je t'avoue que je pense tous les jours à "si"... On ne parle pas de "si" avec les amis, ça façonne des regards vitreux, tu sais. Des sueurs sur les fronts, des mains tellement moites qu'elles glissent sur les jeans. Puis, les murs se tachent de rires nerveux et d'un coup, le "si" s'envole. On n'en reparlera pas, plus tard. On se regardera peut-être avec le blanc des yeux et on offrira plutôt nos iris pour les demi-sourires. J'aime mes amis autant que le café, finalement. Contextualise, enfant, contextualise. Ami, tu seras ces bras du "si". C'est ainsi. Je l'ai décidé, et ce jour-là, je souriais méchamment.

Ami, je t'ai imaginé de tes orteils jusqu'à ton nez. Tu n'as pas d'yeux et c'était drôle, en te dessinant sur mes carnets. Il n'y a que comme ça que tu accepteras mon adrénaline, mes cheveux chargés de sel, mon amour des souffles, ma peur des poumons fleuris. Je te jette tout dessus, fais t'en un set de docteur et soigne tout seul ces plaies que j'aurais dessiné sur ta peau toute tendre de personne nouvellement rencontrée. Guéris-toi toi-même, ami, j'ai assez à m'inquiéter de moi, moi et moi. Assez de mon myocarde qui cyanose. Putain, mais regarde ami, sors de ton miroir et vois ! Mon cœur asphyxié ! Rends-toi compte : mes fibres s'ébrouent sous des souffles invisibles, les muscles surpuissants lâchent leurs piliers. Ami, mange mon cœur malade. Tu me donneras le tien, je t'ai créé. Dévore mon malheur puis offre-moi quelque chose de sain.

Ami, je me décharge rageusement de toute cette pluie sale qui me noie. Comprends-moi sans savoir. Je t'enfouis sous la crasse, la boue, les trottoirs enduis des deuils citadins, et l'injustice ! et les faux adultes qui sont de grands rapaces ! Contextualise, enfant !

Lâchement, j'expire sur tes lèvres un nuage de rouille que, aveugle, tu ne verras pas et inspireras naïvement. Après mes confidences, cette fumée morbide n'existera plus en moi - elle sera tienne : je ne sais pas qui je suis, pas qui suivre puisque je n'ai pas pied dans ce grand bain d'humains. Alors, ami, tends cette main que je la déchire en m'agrippant. Relevons-moi, grignotons-toi. Je t'ai créé, on te fera repousser.

Cher ami,

Nous ne nous connaissons pas encore mais... Je t'imagine. Au-delà de l'irréel, je crois bien qu'on s'est serré la main dans un couloir, hier. Je t'imagine, ami, je t'imagine très bien. Dévorons-toi. Sauvons-moi.

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