Ceci est mon testament

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Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là. Mais tout ce que je peux vous dire, c’est que je ne vais bientôt plus être de ce monde. Peut-être mort, peut-être capturé pour servir je ne sais quel dessein. Ils sont à mes trousses. Je le sens. Ils sont collés à mes Basques, telle une merde que l’on a beau frotter, elle reste toujours accrochée à nos semelles.

Encore une fois, je maudis mon don. Ma capacité. Celle que j’ai voulu utiliser pour changer le monde, le rendre meilleur. Parce qu’elle ne m’a attiré que des ennuis.

Je pose ces mots dans ce petit carnet. Peut-être que quelqu’un lira un jour ces lignes. Ou pas. Il faut que tout un chacun sache qu’il existe un tas de personnes avec un don, avec une capacité hors du commun et qui sont enlevées de la surface de la Terre. Pourquoi ? Servir l’intérêt des nantis ? Empêcher de rendre le monde meilleur en aidant son prochain dans le besoin ? Vous devez tous comprendre que je ne suis pas le salaud tel que les médias ont décrit.

Ils ont dit que j’étais l’homme le plus dangereux de cette planète, et m’ont mis sur le dos des crimes abjects que, bien sûr, je n’ai pas commis. Depuis cette fameuse nuit de janvier, j’ai tous les services de police, toutes les agences de renseignement au cul. Et pire que tout, ces types à la boule de billard habillés en noir. Ce sont eux qui me font le plus peur. Car personne ne les connaît, personne ne sait qui ils sont. Et ils semblent intouchables.

J’écris peut-être mes dernières lignes. Je suis coincé ici, dans cette minuscule chambre d’un hôtel miteux, dans un autre pays, à des milliers de kilomètres de chez moi. Les rideaux tirés, il est impossible au monde extérieur de jeter un œil dans ce huit mètres carrés. Les récents événements de ma pauvre petite vie m’ont rendu craintif, un semblant de paranoïa s’est emparé de moi. Je me cache, je ne sors plus de peur d’être reconnu. Je suis fatigué de fuir, j’aimerais pouvoir me poser quelque part, respirer.

Je voudrais tant revoir Marie, ma femme et mes deux petites têtes blondes. Ils me manquent tant ! J’aurais tant aimé que la société change comme j’ai tenté de le faire. Qu’elle devienne meilleure, plus humaine. J’aurais tant voulu que les gens se rendent compte que de simples petites idées peuvent améliorer radicalement notre quotidien et le monde qui nous entoure.

Je m’appelle Chris, j’ai trente-huit ans, et ce petit écrit est mon testament, mes mémoires, ma vie. Depuis mon adolescence, j’ai ce don étrange. Je peux lire les pensées des gens. Je peux m’insérer dans l’esprit de n’importe qui et fouiller tous ses souvenirs. Je peux contrôler la moindre de ses réflexions, la modifier ou carrément l’effacer, la remplacer par une autre. J’ai eu beaucoup de difficultés à maîtriser cette capacité lors de ses premières apparitions.

Je me rappelle encore bien quand mon don s’est manifesté la première fois. J’avais douze ans. Mes premiers poils poussaient, les premières hormones qui émargeaient, transformant mon corps svelte en cocotte-minute. Les filles qui commençaient à m’attirer plus que de raison. Il s’est révélé sans crier gare en classe, au milieu d’un cours de math. J’entendais les pensées du prof, madame Morue comme on l’appelait. Elle pestait sur nous, nous insultait dans sa petite tête de matheuse qui ne savait pas s’y prendre avec les gosses. Je distinguais ses injures clairement, comme si elle les énonçait à haute voix. Et je lui avais répondu. Je lui avais dit que seule une morue comme elle pouvait nous traiter de crétins ingrats.

Résultat, envoyé chez le proviseur, retenue à la clé. J’eus beau jurer sur les toutes les têtes possibles du monde, tous les saints, Dieux ou livres sacrés, personne ne me croyait et ne cherchait à comprendre. Trois heures de colle alors que je disais la vérité. Le savon de mes parents, après. Privé de sortie pendant un mois. On aurait pu tourner rapidement la page, mais ce phénomène se répéta de plus en plus fréquemment.

Les voix commencèrent très vite à empirer. Je percevais toutes les pensées des personnes dans un périmètre assez proche de moi. Vous avez vu ce film avec Mel Gibson ? Celui où il discerne toutes les réflexions mentales des femmes ? Voilà, vous avez pigé le concept, en rajoutant celles des mômes et des poilus bourrés de testostérone. J’entendais tout. Toutes les pensées. J’ai cru que j’allais devenir fou. À l’école, je n’arrivais plus à me concentrer, les réflexions mentales de mes camarades me martelaient le crâne. Je n’arrêtais pas de crier. La situation alla de mal en pis bien sûr.

Les gosses du collège commencèrent à se moquer de moi et à me traiter de fou. Mes parents ne me croyaient pas et restaient dans le déni en affirmant que j’avais une imagination plus que fertile. Même lorsque je leur révélais la moindre pensée qu’ils venaient d’émettre, ils n’arrivaient pas à concevoir qu’un tel don était possible.

Il y eut une grande discussion entre mes vieux et la direction de l’école. Le corps enseignant ne me voulait plus en classe, tant je faisais peur aux élèves et aux profs. La psychologue du bahut m’avait catalogué comme schizophrène et après des heures de palabres, mes parents et la direction décidèrent de m’envoyer dans un asile pour tenter de me soigner. Ils m’emmenèrent à Érasme, un grand hôpital brux'hellois.

Enfermé et surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’ai cru que j’allais bel et bien devenir cinglé. Entre les autres jeunes qui ne pensaient qu’à se foutre en l’air, les anorexiques qui refusaient de bouffer et se trouvaient trop gros et les réellement atteints du cagibi, j’étais là, à absorber toutes les angoisses environnantes. Les pensées des autres pensionnaires s’imprégnaient dans mon esprit, et me firent connaître une véritable descente aux enfers. Je ressentais leur peur, vivais leurs envies suicidaires, entendais les multiples personnalités morbides et sadiques.

Les psys avaient beau me gaver de médocs en tout genre, avec de l’Haldol et autres trucs dégueulasses qui te bousillent le cerveau, les voix ne s’atténuaient même pas.

Au bout de six mois, la situation n’avait pas bougé. Les médecins déclarèrent que j’étais incurable. Ils me firent changer d’établissement, nettement moins charmant que l’hospice précédent. L’asile typique des films hollywoodiens avec son lot de fous dangereux complètement défoncés par moult substances chimiques.

Mais, au bord du désespoir, j’eus la chance d’avoir enfin un médecin qui me comprit. Je n’étais pas le premier à être passé dans ses mains. Il avait soigné, quelques années auparavant, une fille qui avait le même don que moi. Il me dit de garder ma capacité secrète, car utiliser un tel don était très dangereux : il pourrait provoquer l’hostilité de mon entourage et la convoitise d’autres personnes plus malsaines.

Pendant un bon bout de temps, il m’aida à contrôler ce pouvoir. À me focaliser sur un individu ou sur moi-même. En l’espace de six mois, je pouvais me concentrer uniquement sur n’importe quel quidam et fouiller la moindre pensée dans sa petite caboche, même si elle était enfouie au plus profond de son subconscient. J’arrivais à établir un mur entre les voix environnantes et mon esprit. Ce fut une délivrance, et petit à petit, je pus reprendre les gestes et rituels quotidiens. Me réhabituer à vivre, en somme.

Lorsque le toubib décida que j’étais apte à sortir, on fit un dernier test. En ouvrant totalement son âme, il me fit découvrir la vérité. Cette fille, qui était passée avant moi, il ne l’avait jamais crue. Il s’en était rendu compte beaucoup trop tard. La jeune femme, par désespoir, s’était suicidée.

Il avait été interrogé par un grand nombre de personnes, dont certains lui avaient vraiment foutu les jetons. Ces derniers l’injurièrent, le menacèrent et autres joyeusetés aussi peu ragoutantes de ne leur avoir pas livré sa patiente.

Il s’était juré que, si jamais un second enfant comme elle venait ici, il ferait tout pour réparer son erreur. J’aurais dû me souvenir de son avertissement. De me méfier des hommes en noir, qu’il m’avait dit. Si seulement je m’étais rappelé sa mise en garde !

À ma sortie d’hosto, ma famille déménagea. Mes parents voulaient que je refasse ma vie ailleurs, que je recommence tout à zéro, et que je n’aie plus tous ces jeunes qui me traitaient de cinglé dans les parages. On quitta Brux'Hell pour une petite commune du Brabant-Wallon.

J’y vécus une adolescence normale, ne parlant à personne de mes capacités. Mais je continuais à exercer ce don, à le peaufiner discrètement. J’arrivais à insérer des idées dans l’esprit de mes camarades de classe. S’ils n’allaient pas dans mon sens, hop, une petite manipulation mentale et c’était gagné.

Plus le temps passait, plus j’excellais. Et vers dix-huit ans, à force de patience et d’entraînement, je pus carrément effacer un souvenir de la tête de ma copine. Elle s’était refusée à moi, j’avais été insistant. Beaucoup trop à son goût, si bien qu’elle ne voulait plus me parler. La fois suivante que je la croisai, elle ne se rappelait plus rien.

Vous devez certainement trouver que je suis un gros salaud en lisant ces lignes. C’est vrai que gosse, j’en ai bien profité, et rien ne m’était refusé. Je pouvais deviner les pensées, anticiper un peu tout ce qui m’arrivait. Je pouvais tourner n’importe quelle situation à mon avantage.

J’avais presque toujours les meilleures notes de la classe, obtenant les réponses rien qu’en farfouillant dans la tête du prof. Je laissais toujours une faute ou deux pour ne pas éveiller les soupçons, valait mieux être prudent ! J’ai même eu mon premier boulot comme cela. Simplement en déposant l’idée dans la tête du recruteur que j’étais le plus qualifié. Augmenté chaque année, promu régulièrement. Je vivais une vie idyllique, la dessinant comme je la désirais.

Mais cette petite vie de rêve, insouciante, prit fin le 11 septembre 2001.

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