La manif pour tous!

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Ce matin, Paris était devenu une réelle cité sous diktat militaire. Il y avait des flics partout dans la ville, bien plus que les derniers jours. Le président avait profité de l’attaque de Satyre Hebdo pour tenter de redorer son blason, si tant est qu’il lui en restât un aux yeux de l’opinion française : il organisa une Super Marche citoyenne, la Manif pour Tous face l’ignominie du terrorisme. Il avait bien sûr invité tous ses copains, les dictateurs en tout genre qui sévissaient sur la planète. Ceux qui bien sûr vantent la démocratie, mais qui foutent en prison les opposants, torturent et poursuivent les lanceurs d’alerte. Bref, je pourrais continuer à déblatérer longtemps sur ses connards tellement leur hypocrisie et leurs mensonges sont énormes et grossissent au fil des jours.

Des tas de gens vinrent des quatre coins de la France pour défiler derrière Monsieur Gouda sur les Champs Élysées. Les gares étaient bondées, avec l’afflux massif des manifestants, les flics et l’armée débordés, et hautement paranoïaques. Et il fallait bien s’y attendre : le délit de sale gueule tourna à merveille : n’importe qui bien blanc aurait pu transporter armes, drogues ou quoi que ce soit d’autre totalement répréhensible sans se faire inquiéter. Les personnes d’origine maghrébine n’eurent pas cette chance. Dès que ta couleur était un tant soi peu plus basanée que le marbre qui nous fait office de peau, tu étais fouillé aux corps systématiquement. Le tout sous les regards haineux et inquisiteurs de la foule.

Bref, pour moi toute cette agitation signifiait que le moment idéal pour quitter Paris ni vu ni connu était arrivé. Je pris un billet vite fait pour Mulhouse. Je trouverai bien un moyen de traverser la frontière, discrètement, pendant la nuit. Je pourrais me poser un peu en Suisse, localiser ce journaliste, et après, si tout se passe bien, direction l’Italie et ce fameux EF.

Au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient, le besoin de quitter la métropole se faisait de plus en plus pressant. Je ne pouvais plus faire un pas sans me retourner, la paranoïa commençait à me gagner, voyant ces types en noir partout. Quand j’allai chercher mon billet, le préposé, au guichet m’annonça qu’il n’y avait aucune place de libre avant 16h. Six heures à attendre, à poireauter. Impossible d’inceptionner quiconque, pour récupérer un peu de blé, la majeure partie du fric qui me restait étant parti pour le voyage. Avec la foule omniprésente et trop compacte, je me serai fait griller directement.

Je pris mon mal en patience, attendant encore et encore, déambulant dans les rues aux alentours de la gare de Lyon. Je finis par m’installer au café français, place de la Bastille. J’avais les yeux rivés sur le petit écran suspendu au-dessus du comptoir, qui ne faisait que passer en boucle les infos sur la super manif pour tous de Monsieur Gouda. Un cordon de sécurité de malade avait été déployé pour les Baraques, Erdoflan et compagnie. Durant une bonne partie du reportage, le journaliste parla d’un petit nabot qui tentait de s’incruster en première ligne (d’après ce que j’ai compris un ancien président français qui s’était fait mettre une solide chasse à la Vodka par Raspoutine lors d’un voyage en Russie).

Personne ne s’intéressait à moi, tout le monde avait les yeux rivés sur les écrans. Le peuple français se mobilisait, se battait pour la liberté d’expression et contre la haine, rassemblé derrière ces gouvernants qui se marraient comme des larrons en foire en regardant la connerie de leurs concitoyens. Je sirotai mes cafés dans le calme, observant tout l’estaminet. Je n’osai toucher à rien : ni téléphone, pas d’internet. Je suis sûr que c’est à cause de mes recherches de la veille que je me suis fait repérer par les petits copains de Lammour.

Les heures s’égrenaient, lentement. Ce fut plein de soulagement mais également avec une forte appréhension (oui, je vous le concède, dit comme cela, ça fait un peu bizarre) que je regagnai avec hâte la Gare de Lyon. La foule se pressait dans le hall principal. Les gens étaient massés comme des moutons, épuisés par la longue marche de l’après-midi, se bousculant pour tenter d’attraper leur train.

Lorsque je passai la porte d’entrée principale, une boule se forma dans mon bide. Quelque chose ne tournait pas rond. Je n’arrivais pas à me défaire de cette sensation, je n’arrivai pas à trouver son origine et le fait de le comprendre fit s’accentuer la crise qui commençait à devenir difficilement contrôlable. Un début de crise d’angoisse, entassé dans cette masse. Je me sentis étouffer, écrasé par la foule qui se compressait de plus en plus. Impossible de bouger, de me dégager, je me sentis porter par la masse.

Je regardai autour de moi. Des types en noir, partout. Au loin, sur un point surélevé, l’un d’entre eux surveillait les allées et venues de la foule. Certains s’étaient fondus dans la foule, et semblaient chercher quelque chose, ou quelqu’un. Je tentais de baisser les jambes, de marcher sans me faire voir. Mauvaise idée, l’angoisse augmenta d’un cran. Je commençais à bousculer doucement les personnes autour de moi. Voyant mon état, la plupart me laissaient passer, le regard méprisant. Je le lisais dans leur pensée : encore un alcoolo en train de décuver. L’un des malabars se rapprochait de plus en plus de ma pauvre petite personne, et finalement, m’aperçut. Il commença à bousculer le monde autour de lui. En un rien de temps, il était presque sur moi.

Je n’eus pas le temps de réfléchir, j’inceptionnai direct les types à ses côtés :

« Hé là ! Au voleur ! Je vous ai vus ! Il s’amuse à fouiller toutes les poches ! Attrapez-le ! »

Putain, ça marchait. J’aurais jamais crû. Les gens se jetèrent sur lui comme une furie. Je profitai de l’agitation pour me barrer, ni vu ni connu. Après quelques brasses dans cette marée humaine, la foule s’espaça. Plus que quelques mètres et j’atteindrai le quai. Face à moi, un autre malabar, il ne m’avait pas encore reconnu. Un petit coup d’inception au flic à l’entrée du quai, cette fois en définissant le malabar de mafieux. En moins de trente secondes cinq flics embarquèrent l’emmerdeur, me laissant la voie jusqu’à mon siège libre.

Le quart d’heure d’attente avant le départ fut un véritable enfer. Tassé sur mon siège, je m’attendais à les voir débarquer dans la voiture à chaque instant. Chaque ouverture de porte, chaque passage d’un voyageur me fit sursauter. Je me laissais aller uniquement lorsque le train quitta le paysage parisien et s’enfonça vers l’est.

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