Chaînons

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Baltazar n’avait pas lutté. Les voyages entre les dimensions lui coûtaient. Ces derniers jours, le démon avait traversé les portes sans prendre de repos. De plus, les marécages avaient de nombreux retors. Il ne pouvait se permettre de marcher à vue des habitants. Ces derniers se montraient méfiants et appelaient la garde de suite. Néanmoins pour grimper sur des pilotis à plus cinq mètres du sol, là où dans les autres dimensions ne se trouvaient que des plaines plates d’herbe, de neige, de sable ou des océans sans le moindre repère, le démon devait être malin. Cela lui avait coûté de nombreux efforts et la fatigue l’avait rattrapé aussitôt.

Désormais, il se trouvait comme autre part. Baltazar ne sentait plus que l’ombre qui le couvait. Il ne dormait pas vraiment. Ce n’étaient pas comme les accidents de téléportation où il perdait connaissance et qu’il plongeait dans des songes, des souvenirs brumeux. Là, le démon se sentait flotter, même si son cœur était une enclume. Ses pensées fouillaient dans sa mémoire. Seule l’image d’Hermine lui venait en tête. Ces derniers jours, Baltazar avait cherché à trouver ce qui l’avait tant dérangé chez elle. Puis, comme d’une goutte de pluie tombée sur un bourgeon, la réponse avait germé d'une évidence.

« Il a le goût d’autrefois ». Hermine était avant tout rentrer chez elle, dans le château de la dimension des cendres, sirotant le vin de l’avant, sous sa forme d’humaine. Réduite à l’état d’elle-même… Réduite à reprendre ses airs naïfs de jeune bourgeoise, ses manies hautaines et ses folies rebelles qui n’avait plus aucun sens dans ce monde dévasté et oublié. Hermine avait fait de son tombeau, sa…

- Qu’est qui vous prends de somnoler dans ma maison ?

Un choc l’avait fait sortir dans son état de pleine conscience. Liosan Ferl bailla d’impatience. L’homme d’affaires s’assit dans un fauteuil, une tasse de thé dans la main. Baltazar fut, alors, éblouie par le coucher de soleil qui illuminait violemment le petit salon.

- Il vous arrive de dormir ? continua Liosan d’un air de dédain.

Baltazar se redressa mal assuré.

- Non, se contenta-t-il de répondre sombrement.

Liosan fronça des sourcils. La maison n’était pas des plus silencieuses lorsque les rouages se mettaient en route. Après, ils n’étaient plus que ronronnement rassurant. Néanmoins, il venait le prendre sur le fait. Il finit par hausser les épaules et récupéra la lettre de Baltazar que Dune avait déposé sur la table.

- Dépêchez-vous ! Je n’ai pas l’éternité devant moi…

La lenteur du démon l’exaspérait. Baltazar se frotta les yeux pour se concentrer.

- Je reviens de la dimension des cendres. Le Duc est tombé de sa fenêtre. Trois étages… Madame Isciane ne démord pas. Elle est persuadée qu’il s’agit d’un complot contre sa famille. Elle a perdu trois de ses proches récemment.

- Cette dimension est d'un lugubre, répliqua Liosan avec dégoût.

La remarque de Liosan semblait nourrir la supposition du suicide, pour autant il n’était pas dupe. Si Madame Isciane était persuadée qu’il n’en était pas un, aucun doute, quelqu’un se jouait d’elle. Il savait ce que c’était de brasser à contre-courant des évidences.

- Continuez !

- Madame Isciane m’a confié un morceau de papier que j’ai libellé dans la lettre, celle que vous avez entre vos mains.

Liosan la décacheta. Il la tint avec précaution et laissa échapper un ricanement.

- Alors avez-vous trouvé les bouteilles de vin dans le grenier ? lui demanda-t-il d’un air insolent.

Baltazar hésita.

- Non, infirma-t-il. Madame Isciane doit être désemparée par la situation. Il n’y avait rien dans le grenier.

De suite, Liosan se frotta sa barbe soigneusement taillé d’un air pensif. Il sirota un peu de son thé chaud. Madame Isciane n’était pas désemparée. Elle avait perdu quatre de ses proches en quelques mois. Elle devait être troublée de ces événements, tout comme le vin qui disparaissait de sa cave. Baltazar mentait et avec tant de droiture qu’on ne pouvait lui retirer les mérites. Il rangea cette inconnue dans un coin de sa tête, puis acquiesça silencieusement pour ne pas éveiller les soupçons. Le Banquier reprit :

- Poursuivez votre enquête dans la dimension des cendres…

Il suspendit sa phrase. Liosan lut attentivement le compte-rendu de Baltazar.

- Vous y retournerez pour l’enterrement du duc, poursuivit-il. Ainsi, Madame Isciane ne pourra éviter votre présence.

L’homme d’affaires releva ses yeux émeraude pour regarder froidement Baltazar.

- Par la même occasion, vous suivrez le convoi de ma fille. Elle est partie de Biloaï depuis une semaine. Léontine devrait se trouver non loin des Grandes Montagnes. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive des problèmes. Mes ennemis se multiplient à vue d’œil et vous n’êtes pas des plus innocents dans cette affaire.

Baltazar resta neutre. Liosan faisait référence à la dimension des flots. Le démon y avait notamment transporté Ozanne et Peio pour qu’ils réchappent à l’emprise du Banquier. Ces deux incapables avaient réussi à se perdre dans la jungle, si bien que sa générosité avait finit par causer la chute du la gouvernance de Larialle sous les folies d’Ezyld. Ses tentatives pour relier d’autres humains avaient été vaines. Par conséquent, Baltazar se coltinait toujours ces deux décérébrés qui avait plus ou moins disparu dans la nature. Depuis trois ans, Ozanne n’était plus. Le Dédale revivait suite à l’exil d’Hermine, pourtant la jeune femme avait disparu. Même la petite Juline faisait davantage parler d’elle à la capitale de la dimension des glaces, de même que pour le milicien Edgar qui devenait d’année en année une légende parmi les miliciens. Par la même occasion, Baltazar n’avait plus de nouvelle de Peio. Anaëlle Louse ne l’avait pas retrouvé dans la dimension des Flots et était rentré bredouille.

Il attendit que Liosan lui autorise de partir. L'homme d'affaires, épuisé, ne se fit pas prier. Baltazar cligna des yeux. Déjà, l’oxygène lui manquait. Il nagea vers les fonds marins. Bientôt, il chuta habilement sur une large étendu d’herbe folle. Il s'allongea, pensif...

Hermine avait fait de son tombeau, sa liberté...


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