La vérité derrière la légende

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Le terme « légende » désigne « une représentation traditionnelle de faits ou de personnages réels, déformées ou amplifiées ». Ce terme convient parfaitement au programme « arcs-en-ciel ». Cette histoire ne cesse d’être modifiée afin de donner la part belle aux robots. Au moment de la sortie prochaine d’un nouveau film au cinéma contant cette histoire, il nous apparait opportun de revenir en arrière et d’interroger notre perception des choses. Combien de sacrifices avons-nous dû concéder afin de régler ce problème de déchet ? Combien de vies humaines ? Et peut-être le plus important, ce problème est-il réglé ?

Notre histoire commence il y a plusieurs décennies. Une surconsommation planétaire, un aveuglement des dirigeants de tous les pays et des déchets que nous envoyons polluer d’autres pays car étant pauvres, ils ne peuvent pas le refuser. Cette situation dura tant que ces pays acceptaient de recevoir nos détritus. Heureusement pour eux ou malheureusement pour nous, leur sens du nationalisme aidé de leur conscience écologique grandissante les poussèrent à fermer le robinet à poubelles. Ce fut la course. Rien n’était prêt malgré l’insistance des écologistes à trancher cette question. Des incinérateurs furent construits afin de régler une partie du problème. Les usines de recyclage n’étaient pas en capacité de s’occuper de la masse grandissante de déchets. Déchets dont une grande partie ne leur arrivaient pas. La faute à des méthodes de tri différentes d’une communauté de communes à une autre et à un laxisme de certains ménages. Cela était d’autant plus le cas pour les déchets encombrants ou dangereux. Ce que nous avons appelé « les montagnes nouvelles » étaient bien souvent d’abord des dépôts sauvages. Ces terribles montagnes qui ont polluées notre sol et notre eau. Malgré cela, nos dirigeants ont continué de garder les yeux fermés. « La réponse devait venir de l’Europe », « on allait faire changer d’avis nos anciens partenaires », « c’était la faute des ménages qui ne respectaient pas le tri ». Les raisons de ne pas prendre les choses en main étaient nombreuses.

Notre pays s’étaient couverts de manifestations. L’écologie n’était plus le centre du débat. Nos vies quotidiennes étaient impactées. Les sorties à la campagne n’étaient plus possibles, les champs cultivables étaient tous pollués lorsqu’ils n’étaient pas réquisitionnés de force par l’État, les enfants étaient capables de nommer plus de substances polluantes que d’animaux vivants qu’ils avaient eu l’occasion de croiser. Le week-end, on allait manifester car il n’existait plus d’autre promenade possible. Puis, il y eu le drame de trop. Personne n’a oublié cette date. Le naufrage de l’îlot plastique. L’un des nombreux îlots qui s’étaient constitués d’eux-mêmes lorsque les montagnes d’ordures avaient gagné la mer. Ces nouveaux espaces étaient envahis par les enfants pour qui la baignade était impossible à causer des détritus jonchant au fond de l’eau. Le 14 août 2036, le plus célèbre de cet ilot fit naufrage entrainant au fond des eaux 39 enfants. Le deuil fut national. Un pays n’oublie jamais la mort de ses enfants.

Au bout de quelques jours, le temps du deuil fit place aux temps des experts. Pendant des jours. Pendant des semaines, les plateaux de télévision furent envahis de pseudos spécialistes. Les débats tournaient au pugilat mais aucune réponse ne fut proposée.

Nos partenaires furent soulagés que le drame ne se soit pas produit chez eux. Nos voisins européens en tête. Tous interdirent l’accès à ces nouveaux paysages. La décision fut prise de réfléchir, ensemble. Notre président de l’époque essaya de prendre la tête de cette coalition mais son impopularité ne le lui permit pas. Il était en fin de mandat et déjà secoué par de nombreuses crises. Lui aussi serait bientôt mit au rebut et le savait. La seule consolation qu’il eut fut que notre pays soit le premier à tester la solution.

De deux à cinq heures du matin, la population était invitée à rester chez elle. Des hordes de robots occupaient l’espace public. Ils avaient été conçus à l’origine en trois modèles différents. Leur but était de s’occuper des déchets ménagers tandis que les fonctionnaires chargés de la propreté s’occupaient des montagnes de déchets. La solution robot fit peur à tout le monde. L’expérimenter n’était pas un cadeau mais un danger. Les robots n’avaient aucun nom. Ceux qui récoltaient les déchets étaient les seuls que nous pouvions voir. Leur immense roue et leur gigantesque œil rouge terrorisèrent de nombreuses personnes. Pas seulement les enfants. Plus personne n’osait circuler pendant les trois heures où ils évoluaient. La peur de l’œil rouge n’était pas la seule raison. Ces robots avaient des difficultés à gérer la circulation de personnes ou de véhicules. Le nombre d’accidents qu’ils occasionnèrent fut cachés pendant des années. Ce programme a plusieurs millions ne pouvaient être stoppé pour quelques vies humaines… Ils furent améliorés afin d’acquérir des traits plus humains et leur célèbre regard vert. Il fallut attendre deux années pour cela. Deux longues années pour tous ceux qui voyaient les rayons rouges à travers leurs volets clos. Malgré l’aide de l’État, peu de ménages firent installer des ouvertures afin que les verts puissent rentrer chez eux. Le système était tellement archaïque et les occupants tellement terrorisés que les cambrioleurs furent les seuls satisfaits de cette innovation.

L’État avait appelé à la construction de « cabane à robots ». Les constructions étaient financées mais la demande, complexe, arriva si tard que peu de communautés de communes purent les faire en temps voulu. Les plus importantes, comprendre les plus riches, purent se plier à cette demande. Plus rares étaient ces cabanes, plus longs étaient le trajet des verts, moins s’améliorait la situation. Ces constructions furent dans un premier temps ralenties au profit des cabanes existantes. Les intercommunalités se turent sur les bénéfices générés. Leurs productions se vendaient comme des petits pains. Le pot aux roses fut rapidement découvert et les « cabanes bleu », du nom des rayons lumineux qui en sortaient, se mirent à fleurir partout.

Certaines cabanes furent vandalisées. La peur des robots ne s’étaient pas éteintes. Les verts et les bleus ne résistaient pas au pied de biche. Ce fut différent des rouges, plus compactes et extrêmement solides. L’habitude fut prise de les peindre aux bombes de couleur. Le remplacement des robots prit un temps important. Les rouges gardèrent leur traits. Des équipes se relaient afin de s’assurer de la sécurité des cabanes. Les éboueurs troquèrent leur nom pour celui de « monsieur-robot ».

Concentrons-nous quelques minutes sur ces personnes dont le métier fut changé à de multiples reprises au fur et à mesure du déploiement de ce programme. Au début du programme, ils furent réaffectés au nettoyage des rues et au démantèlement des montagnes nouvelles. Dans le premier cas, ils se firent injurier par une partie de la population qui les jugeait moins efficace que les robots. Dans le second, l’escalade des montagnes était périlleuse, celle-ci pouvant s’effondrer au moindre instant. Les attaquer par leur base était une solution pire encore. Ils se mirent souvent en grève mais de courte durée. La possibilité d’être remplacés par des robots fut pour la première fois une menace palpable. L’augmentation du nombre de cabanes permit de redéployer de nombreux verts. Le nombre d’accidents touchant des humains ne fut pas réduits pour autant. Les verts n’étaient pas programmés pour cela. Les éboulements de montagnes continuèrent. L’histoire a retenu les accidents de robots, beaucoup moins le nombre d’humains morts sous le poids de ces être de métal.

La situation dans les cabanes n’était pas plus réjouissante. La production des rouges devait être évacuée rapidement. L’équipement fourni ne permettait pas de résister en même temps à la chaleur, au bruit, aux allers et venues des verts, ainsi qu’aux déchets qui chutaient et jonchaient le sol.

Les violets furent accueillis comme une véritable évolution. C’est bien l’unique fois où tout le monde fut d’accord. Ils furent conçus dès le début avec des « traits » humains. Du moins, un effort avait été fait. Le personnel resta en place afin de continuer la surveillance des robots.

Une fois la production dans un camion, il fallait la conduire aux usines. Le cours des matériaux s’envola. Les lieux de livraison changèrent parfois plusieurs fois par jour. Ce stress en plus du nombre de camions supplémentaires engendra de nombreux accidents. Les concepteurs du programme eurent une nouvelle idée. Il faut bien avouer qu’ils n’en manquaient pas. La solution fut des camions autonomes. Sachant que la voiture autonome était continuellement reportée aux calanques grecques, cette idée était extrêmement osée. Elle fut validée. Les premiers véhicules autonomes que nos routes connurent sont toujours les plus grands et les plus lourds autorisés. Le nombre d’accidents ne diminua que légèrement. Ces camions aux visages toujours souriants détournaient l’attention des automobilistes. Les accidents ne concernaient plus la production des fameux matériaux et c’était le plus important pour nos gouvernants. Le nombre d’accidents de la route resta à un niveau extrêmement haut pendant des années. Seule la mise en place des voitures autonomes permit de diminuer ce chiffre. Il faut bien reconnaitre au programme « arc-en-ciel » d’avoir fait avancer ce débat.

Cette nouveauté permit un certain tourisme, au début. Le programme se mettait en place dans le reste de l’Europe mais la majorité des pays était loin d’en être là. Les réticences avaient été balayées par la possibilité d’être autonome en matériaux. Le monde avait les yeux braqués sur nous. C’est à ce moment que les hackeurs réussirent un coup de maitre mais aussi le dernier.

La zone des cabanes avait été étendue afin d’éviter les accidents. Par-delà cette sécurité, les gens s’amassaient. L’un des violets fut filmé en train de faire signe de la main aux personnes l’observant. La vidéo fit le tour du monde en quelques minutes. « Les robots prennent vie ! » fut le titre des journaux pendant des semaines. La peur des robots se réveilla plus grande que jamais. La riposte des concepteurs fut étonnante. Les violets ajoutèrent à leur panoplie des danses ainsi que divers mouvements.

Le public adora. Des jouets à leur effigie virent le jour. Ceux provenant des matériaux recyclés dans les cabanes furent les plus prisés. Un nouveau label fut créé. Au milieu des trois flèches vertes se trouvaient désormais les cinq couleurs des robots. Les nouveaux robots fournis portaient eux-mêmes ce label. L’on pensa que la boucle fut bouclée mais il n’en était rien.

La question du piratage ne fut pour autant enterrée. Les éboueurs devinrent aussi protecteurs. Ils durent suivre des formation afin de vérifier quotidiennement l’état des robots. Avec leurs équipements high-tech ils rejoignirent à leur tour le coffre à jouet des enfants.

La protestation contre les robots continua. Elle se concentra essentiellement autour des amoncellements d’ordures qui continuaient de polluer les sols. Leur évacuation étant jugé trop fastidieuse. Le drame de l’ilot était toujours dans la mémoire collective. Sans celui-ci il y a fort à parier que jamais les indigos ne furent autorisés. Plus fort, plus performant, plus humains que tous ses prédécesseurs mais surtout capable de discuter entre eux. Tout le monde reconnu leur efficacité. Les nouveaux programmes des développeurs impressionnèrent la planète entière. Leur capacité de vol qui était nouvelle impressionna. De même que pour leur capacité subaquatique. Ils ramassaient si vite et en si grande quantité que les cabanes furent autorisées à ouvrir en journée afin de suivre le rythme. Le paysage changea considérablement. Ce fut un choc, un choc collectif. La réapparition du sol, caché pendant des décennies sous ces montagnes fit verser un nombre de larmes considérable. J’étais adolescente à l’époque, je me souviens ne pas comprendre les larmes de mes grands-parents.

Il restait pourtant tant à faire. Les sols étaient pollués de même que les cours d’eau. Les indigos participaient comme ils le pouvaient aux opérations de dépollution. Cela prit des années et continuent encore à de nombreux endroits de notre planète. La vente du programme se fit partout dans le monde. Les robots s’arrachèrent à prix d’or. La planète se dota de ces nouveaux protecteurs. La demande était telle que la production ne pouvait suivre. Malgré l’épisode des champs retournés, la demande explosa. Les indigos n’avaient pas été limités à certaines zones. Ils se mirent à déambuler afin de chercher de nouveaux déchets. Et ils en trouvèrent. Pas seulement dans les champs. On ne compte plus les cabanes d’enfants qui furent détruites, le mobilier urbain qui se volatilisa… La pause des indigos dura de nombreux mois. Le temps d’analyser les données et de comprendre comment rectifier le tir sans les mettre à l’arrêt définitif. Il en valait de la survie du programme. La solution la plus facile provient de l’humain. Il fallait analyser les données de détection des indigos. Ils ne pouvaient plus sortir quoi que ce soit. Des commissions furent créées en urgence afin de centraliser les données. L’archéologie devient le métier le plus passionnant pour tous ceux qui voulaient travailler à proximité de robots. Un nouveau problème apparu rapidement. Si on préférait les objets lorsqu’ils étaient anciens, cela était bien différent des corps. Des commissaires de police furent appelés en renfort. Le travail des commissions s’allongea à l’infini. Les demandes se faisait pressante d’équiper les indigos de nouvelles compétences.

Jaune vit alors le jour. Le plus humanoïde de tous. Le plus proche des humains par sa destination. Jaune centralisait les données des autres robots. Il devint président des commissions des trouvailles indigo. En plus du langage qui lui était indispensable pour manager des équipes robots-humains, il possédait le savoir de l’humanité. Il proposait les lieux de fouilles. Il y avait toujours un humain afin de valider ses décisions mais uniquement pour l’ego de l’humanité. Les jaunes proposèrent les nouvelles modifications des indigos. Les développeurs étaient devenus les simples exécutants de leur propre création. Il fallut de nombreux réglages. Lorsque les indigos furent programmés à rechercher des blessés, ils s’agglutinèrent aux environs des hôpitaux. Le réglage efficient mis sept mois à être trouvé.

Les demandes afin de travailler avec des indigos dans d’autres domaines furent acceptées. Les jaunes plaidèrent en ce sens. Les arguments qu’ils utilisèrent n’étaient pas seulement rationnels, ils touchèrent la corde sensible. La possibilité d’aider les humains à comprendre leurs civilisations passés, la possibilité que plus aucun crime ne soit impuni… Voir un jaune soutenir sa thèse à l’Assemblée Nationale était de la science-fiction juste deux années plus tôt.

Toutes les administrations demandèrent à obtenir un jaune. Toutes les demandes furent acceptées. Parler des inconvénients de ceux-ci équivaut à être traité de complotiste mais ce n’est pas grave. De nombreux travaux universitaires furent refusés par les jaunes au prétexte qu’ils allaient à l’encontre de l’existant. Les sciences sociales stagnent depuis un certains nombres d’années. Les thèses nouvelles ne sont plus financées par l’état mais par des universités privées. Privée en termes de financement public mais aussi en termes de jaune. Les jurés acceptent toujours les idées des jaunes. Si dans la grande majorité des cas, ils ont raison, il continue d’exister des erreurs judiciaires. Les jaunes se passent désormais de leurs développeurs. Leur communication entre semblables leur permet de se mettre automatiquement à jour.

Le public est fasciné par ces gentils robots. Le nouveau film s’accompagne de tout son merchandising. De nouveaux chansons leur sont dédiés partout sur la planète, les albums de coloriage sans les arcs-en-ciel sont devenus des raretés. Il a même existé une pétition afin de modifier l’ordre des couleurs des arc-en-ciel afin de les mettre en conformité avec l’ordre d’arrivée des robots du programme.

Tout cela peut prêter à sourire mais la question est de savoir si nous vivons mieux qu’avant ? La réponse est bien évidemment, oui. Nos déchets sont recyclés le jour même mais l’écologie dans tout ça ? Nous produisons trois fois plus de déchets qu’à la date du naufrage de l’îlot plastique. Notre eau continue d’être pollué car le programme coute trop cher pour une grande partie du monde. Le Niger ne compte qu’une seul robot et c’est l’indigo d’une association humanitaire. Réduire nos déchets, permettrait de redéployer des robots à moindre cout là où le besoin est criant. Au lieu de cela, nous leur vendons nos productions à des prix astronomiques. Montants qui les privent de la possibilité de pouvoir s’équiper. Nos rues sont propres mais nos consciences ne devraient pas l’être.

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