Chapitre 3

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 Je m'avançai dans la ruelle au pas de course, la pluie dégoulinant du ciel en de grosses gouttes. Mes mains tremblaient légèrement, et je m'inquiétai déjà de mon sac qui prenait l'eau.

 — Attend !

 Je me retournai et me figeai en voyant le grand noir, me rejoindre en de grandes enjambées. J'accélérai le pas, tout en tortillant la lanière de mon sac à dos. Il me rattrapa, posa sa grande main sur mon épaule, tout en m'interpellant de nouveau. Je me retournai, à contre-coeur.

 — Je suis ravi de pouvoir te rencontrer de nouveau !

 Je secouai la tête, et reculai d'un pas en marmonnant quelques vagues excuses. Je devai y aller maintenant, l'esquiver, comme me l'avait conseillé Romain.

 — C'est dommage que tu n'ais pas pu rester la dernière fois...

 — C'était volontaire, osai-je finalement.

 — Hein ?

 — Je ne voulais pas rester, je ne veux plus te revoir...

 — Je voulais juste t'aider !

 — Tu n'as fais que m'attirer des problèmes !

 Il se renfrogna.

 — Comment ça...? Je n'ai rien fait, de quoi est-ce que tu parles ?

 Je me tus et décidai de rejoindre l'abris le plus proche, en sentant que l'eau passait la barrière de mes vêtements. Je frissonnai et frottai mes mains sur mes manches pour me réchauffer.

 — Laisse-moi me faire pardonner, bredouilla le garçon, en guise de dernier espoir.

 Je soufflai. Sous ma grosse carapace et mes airs associables, je n'en pouvais plus de vivre si seul, de devoir toujours me méfier de tout le monde. Il le fallait, marmonna une petite voix à l'intérieur de mon crâne. C'était pour mon bien, pour me protéger...

 — Je suis désolé de l'avoir jeter, j'ai eu peur en le voyant et j'ai fait, sur le coup, ce que je pensais être le mieux. Maintenant, je comprend que j'ai été stupide, et je m'en veux. Je crois que j'aime un peu trop me mêler de ce qu'il ne me regarde pas...

 — Ca, tu peux le dire, marmonnai-je en détournant le regard.

 — J'aimerais pouvoir me racheter.

 — Alors fous-moi la paix.

 Sa mine se décomposa et il tritura ses doigts tout en refléchissant. Je ne sais pas ce qui m'empêcha de partir, mais je restai là, à la même place, à le regarder comme un idiot.

 — Est-ce que tu peux au moins prendre mon numéro ? Ca me rassurerait... Rien ne t'oblige à l'utiliser, ajouta-t-il précipitament, en voyant ma mine peu satisfaite.

 Je me résignai et finis par le laisser enregistrer la suite illogique de chiffre dans mon appareil. Cela sembla le rassurer. Il me tendit sa main. Je la serrai malgré mes réticences et pensai déjà au moment de me laver les mains.

 — J'ai été ravi de te rencontrer ! lança-t-il, sa bonne humeur retrouvé.

 J'hochai la tête, pour m'éviter de répondre et me détournai enfin. Je frottai mes mains l'une contre l'autre, avec la furieuse envie de gel mais m'en empêchai et m'avançai sous la pluie. Je frissonnai de nouveau et, malgré ma répugnance envers le sport, je me mis à trottiner sur le trottoir. Le ciel continuait de répandre son crachin sur le seul mais je préférai l'ignorer en me hâtant.

 Bientôt, j'arrivai devant mon immeuble. Je m'engouffrai dans le hall en mouillant les carreaux. Pour une fois, j'appréciai l'absence de concierge. Personne pour me reprocher les mares d'eau dans l'entrée. Je me promis tout de même de nettoyer un peu plus tard, et me pressai pour ne pas causer plus de dégâts. J'eu du mal à insérer la clé dans la serrure, à cause de mes mains tremblantes. Je m'engouffrai enfin dans mon appartement. Je balançai mes affaires sous mon lit, et me déshabillai difficilement, à cause de l'eau. Je me décidais de directement filer à la douche, non seulement pour me réchauffer mais aussi pour enlever toute la saleté de l'extérieur qui me collait à la peau. Je réglais la température du jet tout en finissant de retirer mon caleçon. Je me glissai dessous avec un frisson appréciateur.

 Pour la première fois depuis longtemps, je profitai de ma douche, tout en réfléchissant à ma situation actuelle.

 Ce gars-là n'était pas si terrible finalement... Il était même plutôt rassurant. Je me rappelai encore des paroles de Romain, qui me sommait de ne pas le recroiser et pensais que, d'une manière ou d'une autre, sur ce garçon cherchait à me retrouver, alors il y parviendrait. Cette pensée me mit mal à l'aise car, si un simple étudiant pouvait me retrouver sans mal alors, qu'en était-il de la police ?

 Je savais que jusque là, j'avais eu de la chance. En effet, de nombreux trafics de drogue étaient démantelés chaques mois, les dealers mis en prison et les consomateurs envoyés à l'ombre pour un certain temps. Cette constatation me mit également un coup au moral et je finis par me convaincre d'arrêter de penser à tout ça, pour me concentrer sur un futur plus proche et plus sûr.

 Pour l'instant, il me fallait enfermer mes affaires humides dans un sac plastique, pour les emmener à la laverie de lendemain, passer un coup de balais dans mon minuscule placard à balais, ranger un peu, sortir les poubelles, nettoyer les couloirs souillés d'eau sale et peut-être, si j'en avais le temps, me préparer un petit quelque chose à manger.

 Décidément, la vie ne me laissait aucun répit.

 Je piétinai à l'arrêt de bus, énervé par l'absence de celui-ci. Je vérifiai une nouvelle fois mon portable, dont l'heure n'avait pas encore changé. Je tournai la tête sur le côté avec une certaine nervosité et le croisai enfin. Je grimpai rapidement à l'intérieur tout en passant ma carte.

 D'habitude, partir à pied ne me dérangeait pas mais pas aujourd'hui : je m'étais réveillé en retard, déclenchant une soudaine montée de stress et avais pris une dose de cocaine avant de trottiner, maladroitement, jusqu'à l'arrêt. Parce que bien sûr, impossible de marcher dans la ville lumière dans l'état où j'étais ! Non, non, non, il ne faudrait pas gâcher sa réputation tout dorée, à la belle capitale. Je m'avançai dans l'allée bondée et dû me contraindre à poser mon derrière sur la seule place de disponible ; à côté d'une femme à la chevelure reconnaissable. Elle semblait plongée dans ses réflexions, casque sur les oreilles et yeux rivés sur le paysage aux grandes tours de béton grises. Je me détournai dans l'autre sens, tout en tripotant mes doigts.

 Bientôt, je me sentis obliger dedésinfecter mes doigts, signe de nervosité plus qu'évident chez moi. Je m'efforçai de garder mon regard concentré sur le sol du véhicule mais la femme finit par se tourner dans ma direction. Je frissonai sous l'intensité de son regard noisette et me retrouvai, comme à mon habitude, à baisser les yeux. Je devinai quand même qu'elle retirait l'une de ses oreillettes.

 — Excuse moi ?

 Je me forçai à plonger mon regard dans le sien, malgré mon envie presque irrépréssible de faire comme si je ne l'avais pas entendu.

 — Tu es bien le garçon de la dernière fois, n'est-ce pas ? Comment est-ce que tu t'appelles déjà ?

 — Je n'ai jamais donné mon nom, fis-je doucement remarquer.

 — Peut-être bien ! s'exclama-t-elle. Mais Dylan m'a beaucoup parlé de toi, alors j'ai l'impression de te connaitre. Je crois bien que je ne me suis pas encore décemment présenter ; moi c'est Maelys, enchantée ! Comment puis-je t'appeler ?

 J'hésitai à répondre devant son enthousiasme débordant. Je comprenai peu peu pourquoi elle avait semblé si bien s'entendre avec le garçon.

 — Daniyal.

 Elle s'étonna :

 — C'est original, je ne crois pas encore en avoir rencontré. C'est de quelle origine ?

 Je me crispai légèrement. Ce sujet-là était toujours compliqué à aborder. Je décidai néamoins de lui faire confiance là-dessus.

 — Ca veut dire "saint", en arabe.

 — Je trouve ça magnifique, renchérit-elle sans tiquer une seule fois à la mention de mes origines.

 Cette réaction me soulagea bien plus qu'elle ne l'aurait dû. Au même moment, le bus s'arrêta devant l'arrêt de bus la zone universitaire. Je tirai mon sac et descendis, bientôt suivis par la demoiselle. Je m'arrêtai au dehors et levais les yeux au ciel. Pour une fois, le temps ne paraissait pas si désagréable.

 — Dylan, j'ai croiser Daniyal sur le chemin !

 Je me tournai vers le garçon qui venait à notre rencontre. Il me salua d'un grand sourire et d'un signe de tête poli et avenant. Je savourai discrètrement sa manière de respecter mon espace personnel.

— Je ne savais pas que vous preniez le même bus !

 — A vrai dire, je ne le savais pas non plus, commença la petite rousse. C'est bien la première fois que je le vois. Mais peut-être que c'est moi qui n'y ai pas fait attention, après tout !

 — Je ne le prend pas d'habitude, mais j'étais en retard alors c'était plus pratique ainsi.

 — En retard ? Tu peux y aller si tu es occupé, notre but n'est pas de t'embêter encore plus.

 Je toisai le garçon en tentant de comprendre si sa phrase avait ou non un double sens.

 — Mon cours est déjà bien entamé, alors je pense que je vais attendre le prochain... commençai-je avec hésitation.

 — Viens avec nous à la BU !

 Je baissai les yeux et pesai le pour et le contre.

 — C'est vrai que ce serait sympa que tu viennes, on pourrait faire davantage connaissance ! Et puis, tu sais, discuter à propos de ce qui s'est passé la dernière fois, à l'appart'.

 — Merci mais peut-être un autre jour, j'ai des choses à faire, coupai-je rapidement.

 — Des choses à faire ? demanda le garçon avec une mine perplexe.

 J'acquiesçai et n'attendis pas plus longtemps avant de me fondre vers la foule grouillante. Ils ne me suivirent pas, à mon plus grand plaisir. Finalement, je décidai de rejoindre mon amphithéâtre, malgré mes précédentes paroles. Je posai mes affaires à côté d'un pan de banc vide et m'assis le plus discrètement possible, même si tous les regards étaient déjà braqués sur ma personne. Le prof demanda l'attention de tout le monde et bien vite, ils se détournèrent.

 Pendant ce temps-là, je peinai à me mettre dans l'ambiance : je sortais lassement mes affaires mais finis par prendre ma tête entre mes mains pour réfléchir plus posément à tous les sentiments qui assaillaient mon esprit dépassé, qui n'encaissait habituellement que mes doutes et mes craintes.

 Etrangement, mon instinct ne me criait pas de m'éloigner des deux étudiants, ce qui était totalement inhabituel chez moi. En général, la présence de personne autours de moi, peu importe lesquels, m'évoquaient des frissons d'horreur et me provoquaient des comportements anxiogènes. Or, à ce moment-là, je n'avais eu d'autre envie que celle d'aller papoter et travailler avec des amis, comme toute personne normal de mon âge.

 Je me rappelais rapidement que je n'avais plus ce droit là ; tout ça m'avait été enlevé le jour de l'accident. Avant, j'avais eu des amis et même un meilleur ami : Joaquim. J'avais tout arrêté en quittant ma ville natale pour rejoindre la grande capitale, ville de toutes les lumières mais surtout, pour ne plus jamais être confronté à ce genre de situations. J'avais volontairement perdu contact avec toutes mes connaissances de l'époque. Aujourd'hui, je m'autorisai parfois d'aller checker le profil de mon ancien meilleur ami sur les réseaux sociaux, pour constater à quel point mon absence ne l'affectait pas le moins du monde...

  Je soupirai sans me soucier du regard accusateur de la personne devant moi, qui semblait gêné par ma présence bruyante.

 Je devais travailler, je le savais mais je n'en avais pas la motivation. J'avais cette horrible envie qui me collait à la peau. Me tailler, voir soudainement du monde, faire la fête. Je portais discrètement ma main à mon front mais constatai que je n'avais pas de fièvre. Je n'étais plus non plus en bad trip, alors quoi ? Qu'est-ce qui m'arrivait ? Je fronçai les sourcils pour tenter de réfléchir, en vain. La voix du professeur m'embrumait l'esprit et me gênait dans les réflexions. De toutes évidence, je n'avais pas ma place dans cet amphi.

 J'attrapai mon sac et quittai la salle sous les regards interloqués, cinq minutes à peine après être rentré. Je déambulai dans les couloirs avec une énergie nouvelle, inconnue, et ce jusqu'à la fameuse BU de la grande zone. A l'intérieur de moi, mon coeur me criait de faire demi-tour, mon cerveau ne répondait plus et mon corps n'en faisait qu'à sa tête. Pour le meilleur et pour le pire.

 J'entrai dans la grand pièce par la grande porte, et avec fracas. Plusieurs têtes se tournèrent vers moi mais je les ignorai. Mon esprit ne réagissait plus à toutes ces choses que j'évitais pourtant si bien d'habitude. Je traversai la salle en cherchant les objets de tous mes désirs actuels. Une tête bouclée et une autre, d'un roux flamboyant. Je finis par les trouver et avançais dans leur direction à grandes enjambées dynamiques.

 Je posai un peu brutalement mon sac sur la table au plateau de verre et m'assis le plus naturellement du monde. Je me désinfectai soigneusement les mains, comme à mon habitude. En relevant la tête, je me confrontai à deux paires d'yeux écarquillés, voire même choqués.

-Salut, lançai-je avec un semblant de sourire, les achevant pour de bon.

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