Allons nous promener dans les bois - Partie 1
La route est déserte, pas une âme qui vive depuis deux heures. Il fait nuit, une nuit noire. Et silencieuse. Evan Sax se penche un peu plus sur son volant, aux aguets. Il ne reconnait rien et ne discerne rien, alors qu'il serait franchement temps. Il fixe une nouvelle fois la jauge d'essence qui ne cesse de descendre, comme pour le narguer. C'est toujours comme ça dans ces moments-là. On a l'impression que les éléments de la vie sont tous contre nous. Et cette putain de réserve ce soir joue définitivement en sa défaveur.
Elle clignotte, depuis pas loin de quarante kilometres. Il en est certain, il redoute la panne qui lui pend au coin du nez. Surtout qu'il n'y a pas l'ombre de la moindre station de service, la moindre habitation à des kilomètres à la ronde. Et quelques minutes plus-tard, ça ne manque pas. Le moteur rugit, patine et finit par se stopper de lui-même. Evan vocifère des insultes bruyantes au dernier rugissement de l'engin qui s'éteind dans la pénombre.
Exténué, il sort de son véhicule maintenant à l'arrêt sur le bas-côté. Impuissant, il lève les bras au ciel, hurlant une plainte injurieuse. Tout ce foutu merdier est arrivé à cause de lui. Son patron, cette incroyable sous-merde est responsable de tous ça. Et il a encore plus les glandes que ce soit de la faute de cet enculé. Il est dans la merde à cause de ce connard, et c'est à cause de lui qu'il se gèle les couilles en pleine nature. Il prend quelques instants pour réfléchir à la situation, ou au moins pour s'allumer une cigarette. Il ne lui reste plus beaucoup de solution de toute façon, si ce n'est marcher jusqu'au prochain bon samaritain qui voudrait bien l'aider. Résigné, il se met en route, silencieux. Avec à la main, son petit bidon d'essence rouge en plastique.
Il marche au moins une demie-heure, se retournant à chaque bruit provenant des bois aux alentours. Si ces potes le voyaient, ils penseraient que ce n'est qu'une fiotte. Comment une personne sportive, grande, carré (et surtout adulte) comme lui, pouvait encore avoir les boules la nuit en pleine campagne ? Devant des bruits habituelles d'animaux, du craquement des branches dû au vent... C'est puérile. Débile et puérile.
Il accélère pourtant la cadance, ayant plus que marre que son coeur s'emballe à chaque seconde. Ras le bol de ce froid mordant et de cette obscurité opaque. Obscurité qui s'envole pourtant de seconde en seconde, alors que le silence se dérobe progressivement autour de lui.
Un moteur. C'est un moteur qu'il entend. Il se retourne, un grand sourire aux lèvres. Les bruits inquiétants de la nature s'estompe et laisse place à un bourdonnement rassurant. Il lève tout de même son pouce, espérant un instant que ce ne soit pas un trou du cul de pequenaud qui le dévisagerait tout en passant à côté de lui. Mais non.
Le véhicule ralentit, tout en enlevant ses pleins phares et actionnant le clinotant. Evan se décale un peu plus vers le fossé et s'approche de la fenètre-avant passager. Celle-ci s'ouvre, et laisse place au visage de l'occupant. Et à sa grande suprise, il n'est pas question d'un homme âgé ou d'une mamie blaffarde.
- Bonsoir, je peux peut-être vous aider ?
Sa première pensée est de se dire qu'elle est plutôt jolie. Une jeune femme lui fait face, doté d'un sourire solaire et communicatif. La musique est forte dans l'habitacle, elle ne prend même pas la peine de la baisser. Ses grands yeux bleus le fixent, et il croise ce regard avec entrain.
- Bonsoir. Euh... Effectivement. Je suis, je suis en panne d'essence. Là-bas, à cinq-cent mètres...
- Oui, j'ai croisé votre voiture. Je me suis arrêtée pour vérifié si il y avait du monde mais, apparement, vous aviez pris de l'avance.
Elle sourit de toutes ses dents, et elle est encore plus séduisante. Evan lui rend son sourire, finalement plutôt content de comment les choses tournent. Cela aurait pu être pire.
- C'est ça. Je voulais savoir si il y avait moyen de trouver une station essence pas loin.
- Et bien, pas avant une vingtaine de kilomètres. Vous ne vous êtes pas aventuré dans le coin le plus habité de la région... Mais je peux peut-être vous être utile.
- Ce serait incroyablement gentil. Merci.
Dans un rictus amical, elle lui fait comprendre qu'il peut monter dans l'engin. Elle débarasse tout ce qui se trouve sur le siège d'un geste de la main, envoyant le tout valser sur la banquette arrière. Evan lui, obéit, et lui adresse une poignée de main volontaire.
- Ravi, Evan.
- Hélène.
Elle accepte son salut, avec toujours le même sourire angélique. Aidé de la lumière et avec une meilleure proximité, il peut maintenant mieux la discerner. C'est une jeune femme dans la vingtaine, peut-être trente. Son teint est aussi blanc que de la porcelaine, encadré dans une magnifique chevelure noir ébène. Et ses yeux, ses grands yeux bleus... Il craque.
- Je suis vraiment enchanté Hélène. Si vous n'aviez pas été là, j'ai bien peur que j'aurai marché toute la nuit sur cette route perdue...
- Ou bien dormi dans votre voiture.
Elle reprend la route, son attention maintenant fixé droit devant elle. Elle garde toujours le même sourire en coin, baissant enfin la musique qui s'échappe par les hauts parleurs.
- Ouais. Avec ce froid, je pense que j'aurai même préféré faire des heures de marches plutôt que de finir congelé.
- Tout de même, n'en faite pas une affaire d'état. Il doit faire sept degrès dehors... C'est pas la mort.
- Merci de me soutenir, c'est cool.
Un nouveau rire la traverse, et sa tête se décale quelque peu sur le côté. Il peut voir son petit nez retroussé sous ses paumettes relevées. De petites tâches de rousseurs y ont élu domicile.
- Mais je ne vous en veux pas. Vous êtes un mec, c'est habituel chez vous.
- Qu'est ce qui est habituel ?
- Votre victimisation.
Elle répond de manière naturelle, et sans second degré. A tel point qu'il met quelques secondes à répondre, lâchant un soupir.
- Pardon mais, sur quel raisonement vous vous basée pour dire cela ? On ne se connait même pas.
- Effectivement. Mais vous devez reconnaitre que cette "épreuve" a à peine duré une heure pour vous, et pour autant, vous allez conter l'histoire à votre famille ou à vos amis pendant des heures et des heures. Comme ci vous aviez passé des jours perdus dans la brousse, sans aucune aide extérieur. Ai-je tort ?
Il se met alors à rigoler. Un rire franc et rapide, qu'elle répond d'un sourire. La route continu de dévaler sous leurs pieds, toujours vide de toute présence.
- Pas du tout. Enfin, si, je vais surement déblater. Mais surtout pour parler de ma rencontre avec ma ravissante sauveuse de la nuit...
Elle secoue la tête, décontenencé. Une mine de dépit se dessine sur son visage et elle accèlère, son pied écrasant la pédale. Evan décrypte chacune de ses réactions avec intérêt. Il va sans dire que son véhicule et la panne qui l'accompagne n'est plus le principal objectif de ses réflexions.
- Vous voyez ? Tous les mêmes. Vous vous arrangez pour ne plus parler des sujets qui vous dérangent. Souvent en desthabilisant les personnes à qui vous parlez... Et plus précisement, les personnes du genre qui vous attire.
Elle ne semble plus avoir de lueur d'amusement dans les yeux. Elle est sérieuse, et il sentit un frisson étrange le parcourir. Pour autant, dès qu'elle échangea son regard avec le sien, il se remit à fondre. Encore et toujours.
- Je...
- N'essayez vous pas de me faire du gringue en disant cela ? Soyez franc.
Il reste un temps silencieux, sans réponse à fournir. Elle sourit à présent, de nouveau les traits paisibles.
- Peut-être qu'effectivement, je comptais vous proposez de boire quelque chose. Si vous aviez le temps, bien entendu.
Elle cligne des paupières au moins deux fois de suite, toujours avec ce même rictus amusé aux lèvres. Lui aussi sourit, le regard noyé dans ces iris profondes. Il réfléchi une seconde fois à cette beauté parfaite en face de lui. Elle semble exercée une fascination sur les hommes. En tous cas, ceux qu'elle secourt au beau milieu de la nuit. Il en reste ébeté, et cela laisse germer plusieurs idées au fond de sa petite tête. Il espère juste qu'elle acceptera sa proposition.
- Très bien. J'imagine que tu me dois bien ça.
- On se tutoie ?
Evaan est ravi de ce détail. Elle lui répond d'un petit hochement de tête complice, s'apprêtant à tourner le volant sur la droite. Il n'a même pas remarqué que la forêt a laissé place à quelques batiments et un terre-plein central. Elle fait le tour de ce dernier et s'avance dans la ville endormie.
- Et bien, si tu me paies un verre, j'imagine que je peux. Parce que ça te dérange ?
- Pas le moins du monde.
- Tiens, on y est.
Elle brandit son bras entre eux pour le diriger vers une vieille enseigne. Les grandes lettres sont usées, refléchissant avec difficulté dans la pénombre. De loin, elle ne doivent pas être très visible pour les visiteurs. A l'intérieur, il y fait totalement noir. A première vue, personne ne semble être disposée à les recevoir. Pour autant, Hélène se gare en dessous du pré-haut. Elle sort du véhicule et s'avance vers une des machines, Evaan sur ses talons.
- Ce n'est plus ouvert que le matin ici, l'épicerie en elle-même je veux dire. Heureusement, ils ont installé des lecteurs de cartes à leur distrib' depuis deux ans à peu près... T'imagine pas le merdier que c'était quand tu devais absolument attendre que quelqu'un soit là pour prendre de l'essence. Tu n'aurais jamais pu repartir avant la semaine prochaine, à moins d'aller à cinquante kilometres d'ici.
- Effectivement, ça ne devait pas être le plus pratique. Si ça m'était arrivé, je pense que ce n'est pas qu'un verre que je t'aurai proposé.
Il a lancé sa réplique dans l'espoir qu'elle rigole, cherche un échange avec lui, rien qu'un regard. Elle ne réagit pas, continuant à le regarder déverser le liquide bêni dans son petit bidon rouge. Quelquefois, elle tourne la tête vers les environs, sans même donner l'impression de chercher quelque chose. C'est comme ci elle l'avait oublié, ou qu'elle vérifiait sans cesse les allentours. Mais ce détail, il ne le note pas. Et il continu de remplir le jerrican en silence, quelque peu gêné de son bide passé.
- Ce n'est pas ici qu'on va boire un verre... On va passer par chez moi avant de revenir à ta voiture pour faire le plein. J'habite juste sur la route, pas loin d'ici. Je te ramenerai après pour te dépanner. Après tout, ce n'est pas dans le coin où tu t'es arrêté que tu vas avoir des soucis de vandalismes.
- Très bien, tant que je la retrouve avant 9h demain... Je dois être à Poitiers en milieu d'après-midi.
- Boulot ?
Hélène le regarde dans les yeux. Elle semble de nouveau si interessé par lui que son cerveau lui envoie un premier signal d'inconfort. Pour la première fois, il capte autre chose dans ce regard. Autre chose que la passion, le feux qu'il avait entrevu quelques minutes plus-tôt. Le temps d'une infime seconde... Trop court hélas pour le prendre en compte dans son jugement.
Et son sourire est trop grand, trop charmant pour qu'il continu à se poser la question. A nouveau, il est prit dans les mailles du filet. Il se contente alors d'approuver à sa question.
- Ne t'ennuie pas pour ça, t'y seras bien avant. Allez, monte.
Sans attendre, elle prend place derrière le volant, rallumant le moteur. Celui-ci se réveille dans un bruissement assourdissant. Il referme le bouchon, jetant un dernier regard dans l'habitacle à sa jeune complice d'un soir.
Elle se regarde dans le rétroviseur, se mordant la lèvre dans une expression étrange. Il comprend que c'est du rouge à lèvres qu'elle met, soulignant ses nymphes déjà si parfaites. A ses yeux, tout du moins. Elle, l'ignore. Perdue dans ses réflections.
- Encore merci pour ce soir, je ne sais pas ce que j'aurai fait sans toi...
- Une très belle statue de glace peut-être.
Ils échangent un rire. Un rire qui résonne différement pour chacun d'eux. Meme si, pour l'instant, Evaan ne peut pas le savoir. Si seulement...
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