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Lindsay pénétra dans l’hôtel et alla de surprise en surprise. Des plaques de moisi aux murs, des lambris arrachés, des plâtras éboulés, des planchers effondrés dont les trous étaient parcourus de planches disjointes, des fils électriques pendouillaient en tous sens, des tags artistiques valant largement ceux de Bansky, quelques insultes contre la maréchaussée.

En même temps, des guirlandes lumineuses parsemaient les angles, des banderoles, des cotillons, un vieux juke-box agonisant exhalait du jazz. Le bar était ouvert, le type sympa y siégeait en grande conversation avec un mec louche. Dans la grande salle, une table éclairée où un groupe inquiétant jouait au poker.

— Fais gaffe, il y a un trou ici, tu te retrouves direct à la cave, fit Lorenzo, indiquant une place.

— Une meuf à bord, gueula le petit blond nerveux. Faut attacher Jo !

— Pas attacher Jo ! Viens là, petit con !

— Fais pas attention à Jo… De temps en temps il se branle… C’est pas grave, maintenant il met une capote, expliqua Lorenzo. Avant il en foutait partout.

— Il se… Hein ? En public ? C’est un malade ! s’indigna la pauvre Lindsay, scandalisée.

Lorenzo alla voir le barman. Ils se firent l’accolade.

— Je te présente Seb, mon frérot. Lui et moi c’est pareil. Si tu as un problème va le voir.

— C’est la petite d’en face ? fit Seb, tout sourire.

— Alors ma poule, ça gaze, moi c’est Fabrice, fit le blondin, passant son bras autour du cou de Lindsay.

Elle se dégagea vivement.

— Fabrice, petit con, intervint le géant Jo, arrivant avec son pas pesant.

— T’occupe pas de ce mec, il est cinglé, fit Fabrice, désignant Jo.

— Jo va te taper !

— Arrête de l’énerver, putain, s’indigna Seb, après il est intenable, il va tout péter ! Mais qu’il est con ce Fabrice !

Fabrice s’envola en riant comme un fou, poursuivi par Jo.

— Lorenzo, moi j’en peux plus avec ces mecs ! Ça me vieillit prématurément !

— Tu veux que je les bute !

Lindsay ouvrit des yeux effarés. Dans quel merdier était-elle tombée ? Lorenzo la regarda, se retenant de rire de son air consterné.

— Je rigole ! Je rigole !

— Lorenzo, je crois que je n’aurais pas dû venir… Je vais rentrer… Je…

— Tu veux une petite coupe, ma belle ? Du Bollinger 81, une bonne année socialiste.

Il lui tendit une coupe de champagne. Lindsay ne connaissait pas le moins du monde cette marque.

— C’est les goûts de luxe de Lorenzo. Il est trop snob ce type. Du « tombé » du camion, tu m’en diras des nouvelles.

Lindsay était tétanisée, incapable de bouger, submergée d’informations contradictoires, elle était buguée.

— Bois, ma belle. Et glou et glou et glou…

Lorenzo la fit boire comme un bébé. Les bulles lui piquèrent la bouche et lui remirent les idées en place.

— Vous êtes des grands malades !

— Viens, on va se poser et se bécoter tranquille, fit Lorenzo.

— Il n’en est pas question ! Je rentre !

— Mais tu es libre… Tu sais que tu me fais trop de peine ?

— Et toi ? Pas un mot, pas un signe depuis notre dîner ! Tu m’as embrassée !

— J’ai fait ça ?

— Oui ! Évidemment, pour toi, ça ne compte pas. Tu m’as déjà oubliée !

— Je te fais marcher ! Allez, calme-toi, on va parler.

— Non ! Je te déteste !

— T’as raison, ma poule ! C’est un looser ! Prends un mec comme moi ! Un vrai "homme" ! fit Fabrice, intervenant, tout essoufflé.

— Il est où Jo ? s’inquiéta Seb.

— Tombé dans un trou. Ce con est coincé. Il crie comme un cochon qu’on égorge. Trop marrant.

On entendit un craquement sinistre qui ébranla tout le bâtiment.

— Oh putain, ça va chier, fit Seb. Je prends le bâton.

— Tu sais bien qu'il ne sent pas les coups. Je vais lui parler, fit Lorenzo avec un calme impressionnant.

— T’es con Fabrice, tu sais, ça ? fit Seb avec aigreur.

— Mais quoi ? J’ai rien fait ! Putain, c'est toujours moi !

Lorenzo se dirigea vers l’escalier et se retourna :

— Souhaite-moi bonne chance, fit-il à Lindsay.

— Il faut appeler la police ! s’affola la belle.

Un silence terrible se fit soudain. Même la musique se tut. Le groupe de joueurs de poker releva la tête des cartes et la regarda avec des yeux froids et glaçants.

— Jamais la police, murmura Seb.

Puis d’une voix forte :

— Tout va bien, les mecs. C’est rien… No problemo ! C’est une gadjo !

La peur de Lindsay ne l’empêcha pas de se précipiter dans l’escalier. Elle détestait Lorenzo, ce type était un salaud, mais c’était plus fort qu’elle. Elle ne savait pas ce qu’elle pourrait bien faire, elle n’y pensait même pas.

Elle monta une volée de marches et vit Lorenzo dominé par la brute de Jo en grande conversation.

Elle sentit une main sur son bras. C’était Seb.

— Laisse. T’inquiète pas, Jo fera jamais de mal à Lorenzo. Ils se connaissent depuis petits. Pour Jo, Lorenzo c'est comme Dieu, il l'écoute toujours, parce que Lorenzo c’est une tronche… Tu sais, il lui fait les trucs de Jedi... Enfin il a lu tous les livres, tu vois, il sait tout.

— Mais…

— Je te promets. Tu as confiance en moi ?

— Non !

Seb sourit, visiblement amusé de la candeur de Lindsay.

— T’es un beau brin de fille, toi. Ma pauvre, tu as les traits tirés…

— Je travaille toute la journée !

— Oui, le travail… C’est mauvais pour la santé, ça. Moi, le peu que j'ai fait, ça m'a détruit.

Lindsay ne put s’empêcher de sourire.

Lorenzo appela :

— Fabrice, viens-voir, racaille !

— Nan, je viens pas. Je suis pas un idiot ! Tu me prends...

— Rapplique !

— Mais quoi ?

Seb entraîna Lindsay à l’écart et l’invita à s’asseoir à une table de jardin bancale.D'un geste ample, il débarrassa, envoyant tout bouler.

— Je vais te préparer un petit en-cas… Tu vas m’en dire des nouvelles. Que du bon...

Lindsay en était arrivée au point où elle se demandait si elle sortirait vivante de cette aventure.

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