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Lorenzo se sentait troublé. Une relation c’est immanquablement une diminution de ses degrés de liberté, une entrave existentielle, se préoccuper de l’autre, lui faire une place dans sa vie et dans sa tête. Il n’était pas prêt à ça, son mode de vie ne le lui permettait d’ailleurs pas. C’est pourquoi, il se contentait de plans cul, simples, satisfaisants, hygiéniques.

— Viens, je te ramène à ton appartement. Il est tard…

— Ma colloc est là… s’étonna Lindsay.

— Bah, c’est bien. C’est mieux à trois. La trinité, c’est le symbole qui domine ma vie. Tout va par trois dans le monde, trois est un chiffre magique.

— Lorenzo !

— Mais quoi c’est vrai !

— Tu n’as pas l’intention de me laisser devant ma porte et de te sauver comme la dernière fois après m’avoir embrassée comme ça !

— Mais… Tu t’entends ? Ma parole…

— Je t’aime ! Tu ne comprends rien ou tu le fais exprès !

— T’as pas le droit !

— C’est comme ça ! Tu m’as apprivoisée !

— Tu me fais le coup du renard ? À moi ? Sérieux ?

Lindsay dardait des yeux pleins de larmes. Mais peut-on résister à des yeux pareils ? Le ciel de Paname se retenait de pleuvoir, la grognasse avait cessé ses gémissements obscènes, les feux étaient tous passés au rouge dans les rues alentours.

— Tu n’imagines pas que je vais… pardon, qu’on va… quel est le mot… s’aimer, oui, c’est bien comme mot, ici, dans une chambre sordide d’un squat…

Lindsay baissa les yeux. Une larme déborda et coula doucement. Lorenzo la recueillit et caressa doucement le visage triste. Il la regardait comme si c’était la première fois, il la découvrait. Il la trouva fatiguée, meurtrie par la vie. Un instinct venu du fond des âges le prit : il fallait la protéger, il fallait faire quelque chose pour elle.

— Viens, on va chez moi !

— Mais… chez toi ? Où est-ce ?

— J’ai un petit truc dans le seizième… Tu me prends pour un charclo ?

— Mais… Et cet hôtel ?

— C’est...les affaires… c’est compliqué ! Ne pose pas de questions. Viens ! Tu as pas peur en scooter ?

— C’est que…

Lorenzo emporta la pauvre Lindsay, lui fit dévaler l’escalier branlant, lui colla un casque sur la tête et le cauchemar commença, une vitesse effrayante, des accélérations oppressantes : le monde liquéfié s’écoulait, les lumières devenaient des lignes brillantes, dans la circulation fluide de la nuit, l’engin se faufilait avec cri strident et rageur. Finalement, il stoppa devant un bâtiment sombre et imposant que Lindsay ne reconnut pas immédiatement. Elle leva les yeux, suivant l’architecture d’une flèche élancée vers le ciel. Une croix retint son regard : une église ? Une vieille église massive, couverte de mousse en plein Paname. Un grincement lugubre la fit sursauter : Lorenzo ouvrait un lourd battant de chêne et poussait son engin à l’intérieur.

— Grouille !

— Mais… qu’est-ce que c’est que cet endroit ?

— Bah, une église. Sainte Frédégonde !

— Sainte quoi ?

— Tu vas me faire tout répéter !

— Mais qu’est-ce qu’on fiche ici ? Et pourquoi tu rentres le scooter dans une église ? C’est défendu !

— Avec la racaille qui traîne partout ? T’es folle toi ! Je laisse pas le scooter dehors !

Entendre ce voleur de Lorenzo se plaindre de la délinquance c’était un comble. Lindsay se retint de rire. Mais bien vite l’effroi la gagna quand la porte se referma et que la pénombre la prit dans ses bras. Cet endroit était oppressant, inquiétant.

— Attends, j’allume… T’as pas peur, hein ? Putain, je trouve jamais l’interrupteur… Tu sais que c’est une église révoquée… ou je ne sais plus le mot… déclassée… dé sanctifiée…

— Ta gueule et allume la lumière, bordel ! s’écria Lindsay, à bout de nerfs.

— Voilà, voilà… Bah bah bah… t’es pas une fille facile à vivre toi… Ouais, qu’est-ce que je disais moi… Ah oui, on y faisait de messes noires, tu vois genre satanique et puis une secte de dingos se l’ait appropriée…

Se guidant à la voix, marchant à taton, Lindsay parvint à retrouver Lorenzo. Elle le claqua vigoureusement.

— Mais t’es complètement barge ! Tu m’as fait peur ! s’écria le pauvre homme, mortifié et injustement mollesté. C’est quoi ton problème ?

— Je veux sortir ! J’étouffe ! Je vais faire une crise !

— Faut se calmer, là ! Attends, je crois que j’y suis… Bah non…

— Je vais crier très fort !

Lindsay agrippait Lorenzo avec l’énergie du désespoir. Il la prit dans ses bras.

— Avec moi, t’a rien à craindre ! Avec moi, tout va bien !

— Mais… Pourquoi ? Je ne te connais pas… Laisse-moi sortir !

— Avec moi, c’est cool, ma belle.

— Je voudrais tellement te croire.

— Fiat lux !

Et la lumière se fit. Éblouie, Lindsay regarda autour d’elle, toujours dans les bras de Lorenzo. Elle s’aperçut que son angoisse s’était envolée, qu’elle n’avait plus peur. Sur les murs, des symboles cabalistiques, les bancs renversés et démolis, l’autel saccagé… Malgré cette vision d’apocalypse, elle était sereine.

— Viens, restons pas là, ça me file le bourdon. Si tu savais ce qui s’est passé ici…

— Il s’est passé… quoi ? murmura Lindsay, avec une pointe d’inquiétude.

— Bah on a tourné des films de cul, tu sais… La salope démoniaque, la chatte possédée, Sauvez Blanche Neige… Je les ai pas vu ces films, attends, je suis pas comme Jo, tout le temps à me branler, ne commence pas à t’imaginer des trucs… Avec vous les filles, ça gamberge, ça tire des conclusions hâtives, c’est plein de préjugés…

— Lorenzo !

— Quoi ?

— Ta gueule !

— Tu vois Lindsay… Bah en fait, je t’ai mal jugée. En fait, t’es une fille qu’on gagne à ne pas connaître.

Lindsay le fit taire avec un doux baiser. Avec lui elle était bien. C’était tout ce qui comptait.

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