Chapitre 11

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« Je suis enceinte. »

Elle a dit.

J'ai été désemparé quant à la réaction appropriée face à l'annonce qu'elle venait de me faire. Son ton de voix avait trahi le fait que c'était une mauvaise nouvelle, et nous ne nous connaissions que depuis trois semaines, ce qui semblait bien court pour faire face à une épreuve aussi importante. J'étais sidéré par l'information mais je n'ai pas pu m'empêcher de considérer l'hypothèse que je redoutais le plus, même si j'aurais préféré qu'elle ne soit pas la réalité.

« De qui ? »

Au silence qui a duré avant que Gabrielle ne réponde, j'ai anticipé la réponse. Mais celle qui est sortie de sa bouche, n'était pas celle à laquelle je pensais.

« Je ne sais pas. »

J'ignore ce que l'on doit ressentir dans un instant pareil en temps normal. Tout ce que je sais c'est qu'à ce moment précis, j'ai eu comme un blanc. Une minute, deux minutes ? Mon esprit s'est figé, incapable de penser, de réfléchir à quoique ce soit. Même mes sentiments sont restés pétrifiés. Je n'imagine pas que l'on ne puisse pas avoir été partagé dans cette situation, tiraillé par le doute de ne pas avoir compris exactement l'affirmation.

Qu'attendait Gabrielle de moi ? Que je réagisse ? Que je m'emporte ? Que j'ai peur ? Que je m'enfuis ? Ou bien encore que je comprenne ? Et s'il me fallait comprendre, qu'est-ce que je devais comprendre ? Je sais que les mots sont importants, qu'il faut les choisir avec soin dans un tel scénario. Mais qui peut faire cela avec justesse dans pareille situation ?

« T'en es sûre ? »

Gabrielle a secoué la tête et m’a regardé : elle ne comprenait pas ma question.

« Es-tu sûr d'être enceinte ? »

Elle a hoché la tête et m’a fait signe deux fois avec les doigts de sa main. Je ne savais pas quoi dire.

« Je voulais que tu le saches. C'est tout. Maintenant, je voudrais que tu t'en ailles. » a-t-elle fini par lâcher.

Je ne comprenais pas et je lui ai dit.

« Je ne comprends pas là...

— Justement, je ne veux pas que tu comprennes.

— Pourquoi ?

— Parce que c'est la vie, c'est comme ça. Il ne fallait pas. »

Elle s'est levée. Elle a fait glisser sa main sur la mienne et elle est partie. Je n'ai pas bougé, je n'ai rien dit. J’en étais incapable.

*

Je ne me rappelle pas combien de temps, je suis resté assis. Aucun mot, aucune phrase ne possède assez de nuances et d'ambiguïté pour décrire ce qu'il a pu se passer dans la tête, les souvenirs qui sont revenus, les vieilles blessures qui ont refait surface parce qu'au final, je les avais mal enterrées. Même ma morale ne savait plus vraiment distinguer le bien du mal.

J'avais envie de pleurer mais je ne savais pas pourquoi. Mes larmes étaient sèches. J'étais en feu à l'intérieur mais j'avais les mains gelées. Un serveur est venu me demander s'il fallait qu'il me remette un verre et j'ai hoché la tête mécaniquement. J'ai bu. Et la même scène s'est répétée plusieurs fois dans la soirée jusqu'à ce que je sois saoul, que ma tête soit dans un désordre tel, que je ne puisse plus contrôler aucun flux de pensée.

Je suis sorti dans la rue, la nuit était tombée. Il y avait des gens, des rires un peu partout. Le monde continuait de tourner alors que ma vie venait de s'arrêter. La lumière des lampadaires me faisait mal aux yeux. Alors j'ai changé de trottoir, à la recherche d'obscurité. Je suis retourné chez Kytie, comme ça, rasant les murs, évitant les lumières qui ne faisaient que tournoyer. C'est beau Paris, même lorsqu'on s'est noyé. Il n'y a rien qui s'arrête, aucun remords, aucune pitié. Juste de la vie qui affiche ses strass et ses paillettes même devant les yeux les plus désabusés.

« Je ne veux pas que tu comprennes. »

Kytie m'attendait. Elle s'était inquiétée de ne pas me voir revenir. Quand elle m'a vu, elle a préféré ne pas me poser de question et m'a juste aidé à me poser correctement dans le canapé. Je n'étais pas dans l'état de dire quoique ce soit. Kytie n'a pas insisté. Elle est juste restée à mes côtés en attendant que je m'endorme.

*

Le lendemain matin, je me suis réveillé seul avec ma gueule de bois. Kytie était partie au boulot et m'avait laissé un mot sur la table basse du salon. Elle était fidèle à elle-même, gentille et compréhensive. Peut-être même, pourrais-je dire « maternelle ». Dire que je n'allais pas bien malgré cela, était une pure litote. Je ne trouvais pas de logique à ce qui était arrivé, ni même d'explication. Gabrielle ne m'avait pas repoussé, elle ne m'avait pas dit qu'elle m'en voulait, elle ne m'avait rien reproché. Je la savais versatile, complètement imprévisible mais chaque fois, elle avait été sincère. Je savais le reconnaître dans ses mots, dans ses gestes, dans le moindre battement de ses cils. Je la savais d'une manière qui n'est pas intelligible.

Je sais que je ne suis pas parfait, je sais mes absences, mes défauts, mes « trop ceci », mes « pas assez cela » mais je sais aussi que je ne sais pas mentir, ni me mentir. Il y a des gens dont vous êtes obligé de dresser un inventaire à la Prévert pour arriver à toucher du doigt ce que vous aimez ou ce que vous n'aimez pas mais Gabrielle ne faisait pas partie de ces gens-là. Elle faisait partie des gens dont on est le bourreau, l'exécuteur quoique on fasse, quoique on dise, quoique l'on rêve pour elle ou pas.

Je n'avais donc aucune issue, ni sur le papier, ni dans ma tête. Je me devais de rester là à tourner en rond, à oublier ce que l'on ne dit pas.

Kytie est revenue du boulot et on a essayé de parler. De dénouer le nœud mais elle n'avait aucune réponse.

*

Les jours se sont succédé. Deux semaines. Puis un mois. Et une nuit, j'ai reçu un appel de Gabrielle.

« J'ai besoin de toi. Je vais me faire avorter. »

Je ne sais pas ce qu'on doit dire dans ces cas-là. Je lui ai juste dit :

« Okay, je serai là. »

*

J'avais sa main dans la mienne pendant tout ce temps-là.

Je ne sais plus qui, je ne sais plus où, l'on m'avait posé la question :

« Et ils en font quoi après ? »

Je n'avais pas répondu parce que ce sont des choses qui ne se disent pas.

Je suis sorti. J'avais la nausée. Je suis allé dans les toilettes les plus proches pour l'évacuer. Ma première pseudo-expérience de père. Raté.

*

Nous ne nous sommes jamais revus après ça. Elle m'a embrassé quand nous nous sommes quittés. Je n'ai pas dit oui. Je n'ai pas dit non. Je sais juste que je n'avais rien à dire. Rien contre quoi me révolter. Gabrielle m'a laissé juste une phrase ce jour-là.

« Bientôt, tu sauras. »

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