Chapitre 6 - Sa propre voix
Lila fonça à travers les bois sans ralentir, forçant Mathilde à se baisser pour éviter les branches basses. Derrière les arbres le soleil se levait lentement, dissipant la peur. Mathilde repensa à ce qui s’était passé, elle rumina les raisons qui l’avaient poussé à renoncer. La voix de sa mère ! Voilà ce qui l’avait empêché de prendre ce qu’elle désirait. Les derniers mots de la créature flottèrent dans son esprit, luttant contre la voix maternelle, chacune parlant de plus en plus fort jusqu’à ce que le vacarme devienne assourdissant. Epuisé par une nuit sans sommeil et une longue chevauché, Mathilde peinait à gardait les yeux ouvert. Le soleil couchant lui faisait face, la forçant à baisser sa tête douloureuse pour se protéger les yeux. Son ventre vide grondait. Le sang battant à ses tempes elle poussa un cri colère, sec et court. L’astre du jour, visiblement offusqué, tira sa révérence et passa derrière les montagnes à l’ouest. Mathilde pu enfin relever la tête. Elle se trouvait sur une petite colline, en contre-bas se dessinait au milieu des champs la maison forte des Trécampa, les cheminées du village commençait à exhalait un peu de fumée dans l’air du soir. Plus loin au sud se dressait la haute tour de Galan, dont le sommet était toujours éclairé par le soleil. La jeune fille hésita, mais finalement elle descendit à bas de sa monture et l’attacha à un arbre. Elle trouva un reste de pain sec dans une sacoche et le trempa dans un peu d’eau de son outre pour réussir à le manger. Elle dormi peu cette nuit-là, mais au matin elle enfourcha Lila avec force et détermination et se mit en route en direction du sud. La sente laissa petit à petit la place à un véritable chemin, avant le soir elle avait rejoint la route impériale. Elle dormi dans un champ en jachère et au matin suivant elle arriva à la petite cité d’Halavresse. Elle entra en se mêlant au flux de paysan qui venait vendre le produit de leurs champs. L’odeur du pain chaud lui rappela combien elle était affamée, mais pour autant elle ne dévia pas du but qu’elle s’était fixé.
Ecrasant la petite cité de son immensité, la tour du marquis était la gardienne du sud. Elle surveillait la trouée entre les montagnes centrales et la chaine de Vaulnot. La construction de cette tour et de sa jumelle à Cordun avait la réputation d’avoir engloutit tant de ressource et d’homme que l’empereur d’alors avait dû vendre jusqu’à sa dernière bague pour les financer. Mais pour Mathilde elle représentait une chance de revoir Séfria, la possibilité d’accéder à une vie faite de luxe, de danse et de satin. Elle se souvint des derniers mots de la créature alors qu’elle combattait le regret de laisser tout cela derrière elle.
Mathilde se rendit dans une petite échoppe de scribe. Elle échangeât le journal contre quelques pièces d’or au prix du papier. Chez un tailleur elle vendit les vêtements qu’elle avait pris dans la maison vide de Franck. Avec un pincement au cœur elle se rendit chez un bijoutier et négocia âprement pour tirer le meilleur prix de son collier orné d’une perle, il s’agissait du cadeau que ses parents lui avaient offert pour la consoler lorsqu’ils avaient refusé de l’envoyer à la cour du marquis. Une voix dans sa tête hurlait qu’il était injuste qu’elle doive faire tous ces sacrifices, mais elle savait au fond d’elle-même que c’était la bonne chose à faire.
Une fois ses effets transformés en pièces elle se rendit chez le guérisseur du village. Elle acheta tout ce qu’elle put de plante et de remède privilégiant ceux qui traitent les affections les plus courantes. L’homme fixa avec surprise la quantité de pièce qui trônait sur son comptoir. Il avait vendu plus en quelques minutes qu’en plusieurs jours. Mathilde notant la petite lueur d’envie dans son regard l’informa :
- Le marché de Trécampa au nord d’ici se tient toutes les deux semaines, nous serions ravis de vous exonérer de taxe si vous consentiez à nous rendre visite.
- Je vais y réfléchir, conclu le guérisseur en comptant la petite fortune qu’il rangeait soigneusement dans sa caisse.
Mathilde disposa ses acquisitions dans sa sacoche de façon à ne rien abîmer. Elle dépensa sa dernière pièce pour s’offrir une nuit et un repas chaud dans une auberge. Assise dans la baignoire elle repensa à la maison dans les montagnes. Elle devait trouver un moyen pour que personne, pas même elle, ne puisse y retourner. Le souvenir de la tentation revenait parfois la hanter. Cette nuit elle dormi tant et tant que l’aubergiste vint la réveiller pour laisser la place au client suivant.
Elle reprit la route vers le nord, Lila qui s’était elle aussi reposée et abreuvée retrouva le chemin de la maison rapidement. Elle traversa le village et distribua une partie des plantes et remèdes qu’elle avait acquis.
- Il y a une petite réserve que je vais conserver chez moi ! Si vous avez besoin, demandez. Pour la suite j’escompte la visite d’un guérisseur et de son étal au prochain marché, faites lui bel accueil et il sera surement au suivant aussi. Annonça-t-elle en se dirigeant vers la maison forte.
Mathilde entra en baissant la tête pour éviter la herse. Sa mère accourue rapidement après que les gardes aient annoncé son arrivée. Elle avait maigrie et ses yeux étaient cernés de fatigue, mais c’est le soulagement qui dominait son visage à ce moment-là. Après l’avoir serré dans ses bras elle commença à plusieurs reprise une phrase qu’elle ne parvenait pas à terminer, tantôt sur le ton de la réprimande tantôt sur un ton admiratif. Finalement elle se tût pour écouter de récit de sa fille.
- Il faut s’assurer que personne ne retourne dans cet endroit maudit !
- La maison est en pierre, mais si j’y entasse assez de bois, les poutres porteuses finiront par céder, proposa Mathilde.
Sa mère hocha la tête et ajouta :
- Reposes-toi avant. Tu prendras Philipe avec toi. Vous ne toucherez à rien là-bas !
Pour la première fois Mathilde discerna la fierté quand sa mère posa son regard sur elle. Pourtant son visage n’était pas différent, elle avait toujours ses petites rides au coin des yeux, ses lèvres étaient toujours pincées et elle se tenait toujours aussi droite qu’un piquet. Sans doute la fierté avait-elle toujours été là, mais elle ne pouvait simplement pas la voir. Elle avisa Philipe et lui fit part de leur départ prochain. Elle lui demanda :
- J’aurais besoin de leçon d’escrime, si tu veux bien être mon professeur ?
- Bien sur ma dame.
Mathilde sourit. L’inconnu s’étendait à ses pieds.
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