Mardi 3 septembre / 2

6 minutes de lecture

Charlotte

Je termine le plat de lasagne, le four chauffe, la salade est coupée, il ne reste plus que la table à mettre lorsque la sonnerie résonne. Marion se précipite et embrasse les joues tendues de sa meilleure amie. Tiphaine vient rapidement me saluer avant de disparaître dans la chambre de ma fille. Maxime accueille de manière un peu différente Théo, l'invitant simplement à jouer au foot dans le jardin.

— Et Tristan ? demandé-je en voyant Julie seule à la porte.

— Il est malade. Je l'ai laissé chez ma sœur. Tiens, il faut le mettre au congélateur. J'espère que tu as de la place.

Je soulève le couvercle de la boîte du gâteau glacé et salive devant l'une des spécialités d'un artisan du coin. Julie nous gâte et je le lui dis.

— J'en prendrai aussi une petite part, à mon retour.

— Tu en as pour long ? On t'attend pour le repas ?

— C'est gentil Charlotte, mais non, juste un café et le dessert. Je ne sais pas du tout quand j'aurai fini.

— Et je peux savoir où tu vas ? Pro ou privé ?

— J'ai peut-être trouvé une perle. Une petite maison à rénover. Mais chut, tu n'en parles pas, promis ?

— Heureusement que Manu m'a prévenu, je n'en aurais pas cru mes oreilles.

— De quoi ?

— Que tu cherches un appart.

— Mais, je ne vois pas pourquoi. Vous étiez même les premiers au courant.

Je lui rapporte ce que Manu a tenté de m'expliquer après son rendez-vous et avant de reprendre la route avec Tim.

— Ah ben bravo, ma fille ! Je lui confie un secret et elle s'empresse de le partager et pire... de nous épier.

— Elle était malheureuse et avait besoin de parler à sa meilleure amie. Ça sert à ça les amis, non ?

Julie m'offre un sourire complice, avant de regarder sa montre et de s'excuser de s'éclipser comme une voleuse.

— Les enfants dorment où ce soir ? demandé-je.

— J'ai mis un mot à Tim de venir les prendre ici. C'est lui qui s'en occupe cette semaine.

— Donc tout le monde sait ?

— Certains n'y croient pas encore, confirme Julie. Mais oui, c'est officiel.

— Tu resteras un petit moment alors ?

— Manu va rentrer fatigué, il aura certainement plus envie de se détendre avec toi, que de s'obliger à faire la conversation avec moi.

— Honnêtement, je ne parierai pas là-dessus.

Julie hésite une seconde à me contrer, mais préfère s'éclipser à son rendez-vous.

L'odeur des lasagnes embaume la maison lorsque mon homme arrive. Nous ajoutons un couvert pour Tim et la table déborde de bonne humeur le temps du repas. Les garçons accaparent l'attention de leur papa alors que Tiphaine et Marion débattent sur le nouveau couple à la mode de leur collège. J'écoute d'une oreille discrète, plus attentive aux réactions de mon mari. Même si habituellement, il ne déborde pas d'exubérance, je le trouve particulièrement en retrait ce soir. Sans doute perdu dans ses pensées. Va-t-il oser parler à Julie ? S'en approcher ? Hier, il m'a confié craindre leur prochaine rencontre. Entre fantasme et réalité, les émotions semblent le chambouler et je peine à le reconnaître. Il faut absolument percer l'abcès. Qu'ils couchent ensemble et qu'on n'en parle plus. Elle commence à prendre trop de place dans mon lit, cette femme que j'adore. Je l'aime en tant qu'amie, je l'admire en tant que maman active, mais j'aimerais mieux que mon mec fantasme sur mes formes et pas sur elle. S'il couche avec, elle deviendra réelle, et plus imaginaire et il pourra me revenir.

Hier soir, pendant la séance avec le psy, il a bien mentionné la crainte qu'il avait, celle d'avoir des sentiments plus fort pour Julie, mais même si c'est le cas, ce n'est pas en plongeant la tête dans le sable que ça lui passera. Je sens mon couple de plus en plus en danger, sans que je ne puisse rien y faire. Si le fait de la toucher, l'empêche d'en rêver le reste du temps, moi je dis banco. Qu'il fonce. Mais je pense qu'il n'aura pas les couilles.

Les enfants quittent la table nous laissant entre adultes débattre du rendez-vous de la journée. Manu s'enthousiasme enfin pour un projet et Tim le soutient. C'est beau de les voir fixer les photos qu'ils ont prises. Tim liste les propositions de mon mari lorsque Julie revient.

Elle pénètre dans la maison, sourit, son regard est lumineux et Tim ne peut s'empêcher de l'agresser.

— Tu refiles les gosses pendant que tu t'accordes du bon temps. Tu as bien changé !

— Je n'ai pas été retrouver un mec, c'est quoi ce ton ? s'écrit-elle avant de saluer Manu et de prendre place à l'opposé de son ex.

— Et moi ? Tu ne me dis pas bonsoir ?

— Tu m'agresses, je n'ai pas forcément envie de faire plus d'efforts !

— Maman ! gronde Tiphaine dans son dos.

Julie lève les yeux au ciel, se retourne embrasse la joue de sa fille avant de grogner :

— C'est incroyable, tu entends toujours quand c'est moi qui ne suis pas agréable avec ton père, mais lui... il peut bien me...

— Arrête on dirait une gamine, annonce Tim le regard triomphant.

— Ouh... Charlotte, je crois que je vais vous laisser. Manu, désolée, mais ton pote a visiblement un problème avec moi. On se voit bientôt. Bye.

Elle tourne les talons, mais je lui barre la route, en posant une main sur son avant-bras et lui demande :

— Reste.

— Charlotte, s'il te plaît, dit-elle d'un ton suppliant.

Je remarque un geste entre Manu et Tim, puis je l'entends bredouiller :

— Désolé. Je suis crevé et j'ai pas...

— Parce que moi je me suis amusée toute la journée, j'imagine ! tique Julie en lui faisant face.

— C'est pas ce que j'ai voulu dire. Merci pour Tristan. Comment va-t-il ?

Julie hausse les épaules, sort son téléphone et appelle sa sœur. Après quelques minutes elle nous explique qu'il dort. Il semble avoir encore de la fièvre et elle propose à Tim de le garder près d'elle cette nuit.

Manu l'invite à s'asseoir alors que j'apporte le gâteau et les assiettes. D'un accord muet, nous évitons tous les sujets délicats et surtout ne pas laisser Tim et Julie en tête-à-tête.

Après la première bouchée, je demande :

— Alors cette visite ?

— Génial, c'est exactement ce qu'il me faut. Je devrais avoir une réponse la semaine prochaine, mais malheureusement, je n'ai pas beaucoup d'espoir.

— Pourquoi ?

— Beaucoup de personnes sont intéressées et mon profil n'est pas le plus prometteur. Il me faudrait un coup de pouce.

— Et tu ne connais personne qui pourrait t'appuyer ?

— Si, il y aurait bien quelqu'un à qui je pourrais demander.

— Qui ? interrogé-je en suivant son regard.

— J'ai été visiter un appart, ou plutôt une petite maison dans le coin et... tu connais les proprios, explique-t-elle en s'adressant à son ex.

— Frandalt ?

— Oui.

— Elle est mimi cette maison. Y a tout à refaire, mais très jolie.

— Et avec un jardin. Et si je fais les rénovations moi-même, ils n'augmentent pas la location.

— T'as déposé ton dossier ?

— Oui, mais femme célibataire, trois enfants, travaillant depuis moins de trois mois, ça fait pas très sérieux. Heureusement que mon casier judiciaire était vierge, sinon l'agent immobilier ne l'aurait même pas regardé.

— J'appellerai demain. Mais si Frandalt voit ton nom...

— Faut encore que mon dossier arrive jusqu'à son bureau et franchement là j'ai des doutes !

— Je m'en occupe.

Je vois Julie tiquer en entendant cette dernière phrase, mais prend sur elle pour ne pas le manifester. Elle semble avoir de la peine à lâcher du lest. J'espère qu'elle ne va pas s'épuiser en agissant ainsi. Mais je comprends sa fierté, l'envie d'y arriver sans aide.

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