EPILOGUE / 2

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Julie

C'est incroyable, comme en peu de mots, peu de gestes, à peine un regard, et me voilà prête à me confier, à lui sourire, à agir avec lui comme s'il n'y avait pas eu toute notre histoire. Ma rancune m'avait presque fait oublier le plaisir que j'avais à simplement le côtoyer. Par contre, parler de ma vie intime, je n'en ai pas envie. Que ce soit avec lui ou quelqu'un d'autre, cela reste mon univers et je ne partage pas. Et encore moins au milieu d'un wagon bondé.

— Et donc la Sicile ? Raconte. C'était bien ?

Il sort son téléphone et passe la majeure partie du trajet à me conter des anecdotes sur ses rencontres et les différentes randonnées qu'il a faites, manifestement tout seul. Les paysages sont magnifiques et écouter le son de sa voix m'emporte.

Lausanne est annoncé dans les haut-parleurs et Manu se crispe. Il regarde rapidement sa montre et semble réfléchir.

— Tu es attendue, j'imagine.

— Non pas ce soir.

Je sens qu'il aimerait poursuivre cette rencontre et j'avoue que me retrouver toute seule face à ma salade m'enchante nettement moins que continuer cette discussion.

J'ai vraiment l'impression de retrouver un ami perdu de vue. Les gênes ont très vite été dissipées et j'aimerais beaucoup qu'il me dise où se trouve Charlotte.

— Tu m'accordes encore un peu de ton temps ? demande-t-il d'un air de s'excuser.

— À condition de trouver une terrasse que je puisse manger avant la nuit, dis-je en me levant et en attrapant mon bagage.

Je ne le vois pas sourire, mais je le sens soulagé. Il m'emboîte le pas et me suit jusqu'au hall de gare.

Emmanuel

Tant que je lui parle, qu'elle ne me fixe pas de ses beaux yeux verts, je replonge tête baissée dans nos souvenirs passés, dans cette amitié sincère, flirtant un peu trop avec les limites, parfois. Mais dès qu'elle pose son regard sur moi, je me tétanise, de peur qu'elle me balance une vérité et qu'elle me plante. Je crains vraiment qu'elle me tourne le dos, maintenant que je l'ai retrouvé, je refuse de la perdre à nouveau. Et encore moins pour une bêtise vieille de dix ans.

— Tu as une envie particulière ? Un resto préféré ?

— Pas vraiment. Tu veux sans doute rester près de la gare, je te propose le Milan.

— Ils n'ont pas vraiment de terrasse. Si tu n'y vois pas d'inconvénient, j'irai bien au bord de l'eau.

Si nous nous éternisons encore un peu durant la soirée, je préférerais pouvoir la raccompagner chez elle, pour m'assurer qu'elle rentre saine et sauve. Je sais, c'est puéril et terriblement... macho, mais je n'y peux rien. J'ai toujours eu envie de la protéger. Contre Tim, contre les autres et même contre moi. Elle ressemble plus à une femme forte et indépendante aujourd'hui, mais son regard, ses yeux qui m'ont tant de fois fait chavirer...

— J'appelle le château d'Ouchy pour réserver une table, sinon il n'y aura pas de place. Le métro est à quelques pas, ça sera facile pour toi de reprendre un train.

— Magnifique.

Julie

Le temps du trajet, nous bavardons tranquillement de tout et rien, comme si nous nous étions quittés la veille. Mais une fois installés près des rives du lac, avec le soleil couché derrière les crêtes du Jura, je ne peux m'empêcher de reposer la question qui me brûle les lèvres :

— Tu ne m'as pas répondu... pour Charlotte.

Il perd son sourire, passe une main sur son visage, se cache les yeux une seconde et un mauvais pressentiment m'envahit.

— Elle... elle n'est plus là.

— Comment ça plus là ? Vous êtes séparés ?

— Trois ans après notre rupture, nous nous sommes éloignés. Ou plutôt, j'ai pris la décision de quitter le domicile, je ne pouvais plus continuer sur ce rythme et Charlotte a proposé de faire une pause. J'ai accepté. Je n'arrivais pas à la quitter, mais je n'étais plus amoureux. Elle a changé après ton départ. Elle n'était plus aussi joyeuse, culpabilisait de ton silence, et cumulait de plus en plus ces rencontres. Je n'avais jamais vraiment aimé ça, mais je l'avais accepté. Elle était ainsi, libertine, son amour pour moi et son corps pour tout le monde. Je refusais de comparer, mais les quelques semaines d'aventure avec toi me montrait ce que je rêvais de retrouver. En fait, je ne supportais pas que tu voies quelqu'un d'autre parce que toi, je te voulais uniquement pour moi. J'avais besoin d'une relation unique, me sentir le seul pour quelqu'un. Ce sont les mots du psy... mais je pense qu'il n'avait pas tort.

Le serveur l'interrompt, dépose nos boissons et prend notre commande avant de poursuivre :

— J'ai tenu un mois loin des enfants, puis... Charlotte est tombée malade.

Je cesse de respirer. Mon cœur semble également s'être arrêté et je reste totalement tétanisée. Je refuse d'entendre ce qu'il s'apprête à m'annoncer.

— Elle s'est battue pendant plus de deux ans, mais ce foutu crabe a gagné.

Je plaque une main sur ma bouche et retiens avec peine mes larmes. Il relève son visage assombri par la nouvelle et se pince les lèvres en me voyant totalement sous le choc.

— Je suis navrée Julie. Pour moi, cela reste un souvenir triste, mais j'en ai fait mon deuil. J'avais beaucoup de tendresse pour elle, mais je n'étais plus amoureux. Elle nous manque, à moi et aux enfants, forcément, mais nous poursuivons nos vies, justement pour toutes les aventures qu'elle n'a pas pu vivre.

Mes larmes roulent sur mes joues, je ne les retiens plus. Même si je n'ai plus vu Charlotte depuis dix ans, la douleur est tellement forte que j'ai du mal à gérer. Il pose une main réconfortante sur mon avant-bras et me murmure :

— Elle a refusé que je t'informe pour l'enterrement. Elle ne voulait pas d'une grande et triste cérémonie. Cela s'est fait dans l'intimité. Mais par contre, ce qu'elle m'a toujours fait promettre de te dire c'est qu'elle t'aimait profondément et que jamais elle ne t'en a voulu.

C'est plus fort que moi et j'éclate en sanglots. Il se lève et s'accroupit pour me prendre dans ses bras et je me laisse aller contre lui, mouillant sans honte son t-shirt. Avec la dose de mascara, le spectacle sera digne d'un théâtre de boulevard, mais là, je ne pense qu'à cette amie perdue à jamais, à ses enfants qui vont devoir affronter les aléas de la vie sans une maman et à cet homme devenu veuf trop tôt. Un « je suis désolée » quitte mes lèvres et il me gronde gentiment.

— Je ne voulais ni te le dire dans le train ni par téléphone.

— Merci, bredouillé-je avant de me reprendre doucement et de retrouver mon calme.

Je baisse le visage, plonge dans mon sac à main à la recherche d'un mouchoir et tente de me rendre figure humaine. Du moins, éviter de faire peur. Manu reste encore près de moi quelques instants.

Lorsque je me redresse et que je peux enfin affronter son regard, il me demande si je vais bien et je hoche la tête, pinçant mes lèvres pour ne pas reprendre mes pleurs. Je tente même un sourire, mais l'état de son t-shirt m'arrache une grimace.

— Je te dois une tenue, commenté-je.

Il suit du regard ce que je lui montre et hausse les épaules.

— Ce n'est pas important, Julie. Tu veux... en parler ou on change de sujet ?

Je renifle une nouvelle fois, la tête bourdonnant de questions. Je tente de calculer, comprendre comment j'ai pu échapper à cette nouvelle.

— Tiphaine ne m'en a jamais parlé... Ni Théo. Je ne comprends pas.

— Marion me disait que vous ne parliez plus de nous. Ils ont eu un peu de mal à comprendre pourquoi d'un jour à l'autre on ne s'invitait plus. L'hiver a été la première excuse, puis les vacances et surtout ton nouvel emploi. Tu semblais toujours surbookée, on en a profité pour se défiler sans expliquer les raisons de notre éloignement.

— Je disais pareil. Tiphaine me l'a assez reproché d'ailleurs. Tout s'est calmé quand elles se sont éloignées pour leurs études.

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