K

6 minutes de lecture

À la recherche des chapitres perdus.

Partie 3

K

Sans bruit, l’ombre avance furtivement, s’accroupit, attend, se lève, marche courbée, se cache derrière un arbre, tend l’oreille. Seul le chant des grillons et le miaulement lointain d’un matou de gouttière se font entendre, alors elle reprend sa progression. Une poignée de secondes lui suffisent pour rallier le garage au fond de son jardin, et plaquer son dos contre le mur de parpaings. Des doigts passent sur sa cagoule en peau de marmotte, fouillent un instant et réajustent les trous servant aux yeux et à la bouche. Les ouvertures laissent d’abord admirer un regard bleu électrique, puis une bouche étirée sur des dents d’une blancheur éclatante.

L’ombre mouve en pas de côtés jusqu’à la porte du garage, se penche au niveau de la serrure. Une perceuse sans fil apparaît dans une main gantée, alors que l’autre s’attarde sur la lampe frontale.

« Clic… Clic »

– Qu’est-ce qu’elle a cette maudite lampe ? râle l’ombre.

« Clic… Clic »

– Scheisse… j’ai oublié de mettre des piles ?

Contrit, le fantôme retourne à sa maison, file dans le cellier, ouvre un placard et attrape des accumulateurs.

La frontale chargée, le spectre sombre se projette de nouveau à la porte de la remise.

« Clic »

– Haaaa !

Un faisceau de lumière raye la nuit, passe sur le bout en tungstène du foret engagé dans le mandrin de la perceuse.

– Allez, au boulot, murmure l’ombre, on va voir si ce vendeur ne m’a pas refourgué de la Kamelote.

La mèche s’approche de la serrure, s’enfonce… quand un téléphone sonne.

– Tudju de tudju de… impossible de s’entraîner tranKilement dans ce pays !

Se redressant, le fantôme extrait le portable de sa poche et le porte à son oreille.

– Aaaallooo !

– Ça fait du bien de t’entendre ma chérie, tonne la voix à l’autre bout du fil.

– Chuuuut, tu vas réveiller les voisins, mon Marshounet.

– Ha ! T’es dehors ?

– Oui, je prends l’air. Et toi, t’es où ?

– Perdu dans un désert, j’attends un client pour qui je dois récupérer de l’argent. Tu me manques ma Ka !

– Toi aussi, ma Kréature, toi aussi. Tu rentres quand ?

– Pas avant un bon moment, j’en ai peur. Faut que j’ramène un paquet de pognon pour payer la bouffe et le loyer, et là j’ai de quoi faire.

– Muuuu ! Je me languis sans toi.

– Moi itou. Bon, j’te laisse, mon client arrive. Je t’embrasse ma chérie. Biz, biz…

« clic »

Les bras de l’ombre tombent le long de son corps. Elle range sa perceuse, retire sa cagoule en peau de marmotte, parcourt la distance jusqu’à sa maison et s’affale dans un fauteuil.

– Mais qu’est-ce qui m’a pris de déchirer ce chèque ? se lamente-t-elle.

*

Elle se revoit dans son ancien appartement de Neuchâtel réduisant en poussière le chèque de 142 millions d’Euros que la Kréature répondant au doux nom de Marsh lui avait ramené. Elle ne voulait vivre que d’amour et d’eau fraîche avec celui dont tout le monde avait peur, mais qui, elle le savait, déployait un cœur gros comme ça. Marsh aussi avait KraKé au premier regard, et leur amour avait fait des étincelles. Seulement, le triumvirat régissant l’ordre des fées et autres mages, ne le voyait pas de cette baguette magique. Ils bannirent LaKlandestine de leurs rangs, et elle se retrouva sans tutu rose et plus aucun pouvoir. Impossible dès lors d’utiliser sa magie pour gagner de nouveau à la loterie. Marsh l’hideux, dut donc reprendre du service afin de subvenir aux besoins du couple, et s’éloignait souvent pour gagner sa vie, laissant sa Ka seule dans leur maison de Mont de Marsan.

Elle s’y plaisait dans ce pays de sable entouré de pins, passait de longs moments à marcher en forêt, ou à pédaler sur les innombrables pistes cyclables. Le soir, parcourant les multiples bars de la rue de la soif, elle s’abreuvait de blanc limé au son des bandas, et rentrait au petit matin. Mais l’inactivité lui pesait chaque jour un peu plus, et une après-midi de sieste, une idée avait germé dans son esprit. Depuis, avec plus ou moins de bonheur, elle s’entraînait comme une folle pour la réaliser.

*

Son coup de blues fini, Ka retourne au garage, et termine enfin son exercice nocturne.

Une nuit de la semaine suivante, se sachant enfin prête, elle met son plan à exécution.

La pleine lune bavant sa blancheur sur la rue Augustin Lesbazeilles, étirait l’ombre de l’ombre en danseuse fantomatique. Affublée d’un justeaucorps en laine et de sa cagoule en peau de marmotte, Ka progresse lentement, se cachant derrière les voitures stationnées, et les bouches à incendies. Ne perdant pas de vue sa cible, elle se faufile jusqu’au sas d’entrée, s’agenouille au niveau de la serrure et souffle un bon coup. Une perceuse sans fil apparaît dans une main gantée, alors que l’autre s’attarde sur la lampe frontale.

« clic »

Un faisceau de lumière apparaît.

La mèche s’approche de la serrure, s’enfonce et commence sa lente rotation. Quinze secondes plus tard, elle cède, et Ka s’engouffre à l’intérieur. Les lieux, repérés quelques jours auparavant, dispensent leur ombre sur l’ombre, mais elle n’a pas peur, et se dirige directement vers l’emplacement du coffre qui recèle, elle le sait, un trésor inestimable.

Se remémorant sa formation de fée, elle excave un stéthoscope du fond d’un sac, et le colle contre sa cagoule au niveau de ses oreilles.

Un Klic à droite…

Un Klic à gauche…

Un Klic en bas…

Un Klic en haut…

À droite, à gauche. En bas, en haut… Allez, tous en cadence… À droite……

Le panneau d’acier pivote, et dévoile le bien recherché. Ka s’en empare, rebrousse chemin, et sort de la librairie.

De retour à sa maison, elle se défait de son accoutrement et se jette dans un fauteuil. Tout a fonctionné comme sur des roulettes, pense-t-elle, aucune anicroche, plus simple qu’un jeu d’enfant, du gâteau.

Lentement, elle effleure la couverture, respire l’odeur du papier, retarde le plus longtemps possible l’ouverture du livre. Ka veut s’en imprégner, ressentir l’ultime frisson du premier chapitre, s’y plonger corps et âmes, s’y perdre à jamais. Le seul, l’unique, l’exclusif exemplaire de Carpe Diem dédicacé de la main même de Julien Neuville.

La première page se tourne, elle ne laisse apparaître qu’un numéro de téléphone, la deuxième est blanche, la troisième itou, la quatrième… la cinquième… Le livre est vide. Aucun mot n’est écrit dessus. Ka n’en revient pas. Tous ces riskes pour un livre vide, quelle entourloupe !

De rage, elle se saisit de son téléphone et compose le numéro de la première page.

Le Ford Transit fend la nuit de ses puissants phares. Filant plein Sud, il avale les kilomètres sans rechigner, comme un Breton des Kouign amann. Le conducteur, mains crispées sur le volant, jette de fréquents coups d’œils dans le rétro central pour voir l’homme, qui debout avec une banane en guise de micro, chante à tue-tête.

– … Party time
My friends are gonna be there too

I'm on the highway to hell
On the highway to hell
Highway to hell
I'm on the highway to hell

No stop signs
Speed limit…

Un téléphone sonne…

– Fred !… FRED !

– Hein, oui, quoi ?

– Baisse d’un thon s’il te plaît, on m’appelle sur mon phone.

– Ok, ok…

– Juju le nettoyeur à votre écoute, que puis-je pour vous ?

– Quiiii ça ? fait Ka.

– Nan, j’déconne, Julien Neuville.

– Mon dieu, c’est vous !

– Non, mois j’suis que son apôtre. Qui est à l’appareil ?

– Je m’appelle LaKlandestine, j’suis Suiiiisse, mais je vis dans le Sud-ouest con, à Mont de Marsan.

– Enchanté. Que me vaut l’honneur, madame.

– Je suis outrée, OUTREE. J’ai en ma possession votre unique exemplaire de Carpe Diem, et il est vide.

– Quoi ? Mais comment l’avez-vous eu ?

– Cela ne vous regarde pas. Je l’ai un point c’est tout. Et avec tout le mal que je me suis donné pour le récupérer, c’est sKandaleux qu’il n’y ait rien d’écrit dedans.

– Non d’un rot de labrador ! C’est merveilleux que vous l’ayez ! Je suis sur la route et serai chez vous dans deux heures. Pouvez-vous m’attendre ?

– Bien sûr, on va Kauser.

Deux heures plus tard, le camping car s’arrête devant LaKlandestine au niveau de la porte de la cabine. Elle s’ouvre, deux bras velus surgissent, empoignent Ka, la soulèvent du sol, et la tirent à l’intérieur.

Dans un crissement, le Ford Transit démarre, et s’enfonce dans la nuit.

Références :

Laklandestine/ Marshounet :

https://www.atelierdesauteurs.com/text/1015441735/meme-les-fees-tombent-amoureuse

Premier épisode défi Melegim74/ Fred Larsen :

https://www.atelierdesauteurs.com/text/551661548/mauvais-reve

Deuxième épisode défi Melegim74/ Julien Neuville :

https://www.atelierdesauteurs.com/text/1062618428/tu-seras-le-second

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Marsh walk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0