Pyjama !...

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Un soir d’automne, alors que je déambulais dans une rue inconnue de mon quartier, et pour une quête dont je n’ai plus le souvenir, je passais devant une vitrine où était fixé un miroir. Devant le reflet qu’il me renvoyait, je m’arrêtais pétrifié.

            Je me surprenais en pyjama !...

            Je ne pouvais le croire. Que pouvais-je faire dans cette tenue pour le moins inadaptée à l’endroit où je me trouvais et par un temps aussi exécrable. Une bruine enveloppait les alentours et la température de l’air n’était guère engageante pour sortir.

            Consterné par ma découverte, je ne saisissais pas bien la situation. Seule certitude, je comprenais pourquoi je frissonnais. Mais dans ma tête, la panique commençait à s’emparer de moi à l’idée d’être ainsi à découvert et exposé aux yeux de tous.

            Afin d’éviter que quelqu’un me reconnaisse, je me dissimulais du mieux que je pouvais derrière les voitures en stationnement en courbant la tête pour ne pas dépasser le toit des véhicules. Je me précipitais furtivement d’une porte d’immeuble à une autre porte d’immeuble, d’un porche à un autre porche, ouvrait encore une porte et entrait un moment pour fuir les regards indiscrets, puis je me cachais à nouveau derrière le portail entrouvert d’une porte cochère afin de me dérober aux yeux des passants.

            Une peur prégnante maladive me poursuivait lancée à mes trousses et qui se mêlait au plus profond de moi comme ces anciennes terreurs enfantines dont sont encore victimes la plupart des paranoïaques de nos jours.

            Que m’arrivait-il ? Il me fallait vite revenir chez moi, mais je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais.

            Il ne faisait aucun doute que je ne devais pas être loin de mon domicile puisque j’étais dans cette tenue, mais bizarrement je ne reconnaissais pas cet environnement. Et comment me présenter à quelqu’un pour lui demander mon chemin alors que j’étais dans un accoutrement sinon indécent pour le moins inconvenant.

            Un groupe d’individus en grande discussion avançait vers moi. Je me jetais affolé aussitôt derrière une lourde porte bizarrement bardée de ferrures pour leur échapper, et me faufilais afin de me fondre dans un décor constitué de poubelles alignées le long d’un mur de l’entrée et m’immobiliser le temps nécessaire à leur passage.

            Seulement au moment où le groupe passa devant l’immeuble, l’un d’eux poussa la porte restée entrouverte pour entrer.

            Paniqué à l’idée qu’il me surprenne en pyjama alors que je ne savais même pas où j’étais, je me dérobais à lui dans l’obscurité d’un pilastre du hall d’entrée.

            L’homme s’arrêta. Je m’imaginais qu’il m’avait vu. Je me baissais et presque en rampant je me glissais sur le sol derrière les poubelles.

            Il se contenta d’actionner l’interrupteur et un faisceau de lumière inonda les boites aux lettres. Je me trouvais dans une situation extrêmement embarrassante pataugeant dans un jus saumâtre à l’odeur douteuse un rien alcaline s’échappant d’un container. Je levais malgré tout la tête pour suivre ce qu’il faisait avec le risque de me faire surprendre et je le vis ouvrir une des boites. Il en retira quelques documents, en jeta une partie qui devait être des encarts publicitaires dans la poubelle la plus proche de lui, puis il revint vers sa boite qu’il referma avant de décacheter son courrier. Il resta un instant pensif dans l’examen d’une lettre comme s’il n’avait pas décidé de ce qu’il devait en faire, puis après en avoir ouvert une autre il s’attarda dans la lecture de celle-ci. J’étais dans une situation horrible, camouflé par la dernière poubelle, en espérant de tout cœur qu’il n’ouvrirait pas celle qui me cachait pour jeter quelque autre papier. Je reculais de quelques pas. Je ne savais que faire, fuir encore ou rester à couvert. Subrepticement, je filais vers la cour sans me faire remarquer en espérant qu’il emprunterait l’escalier de l’immeuble qui nous abritait et qui se trouvait face à lui, mais il n’en fit rien. Il marqua un temps d’arrêt, garda en main une lettre et remisa le reste du courrier dans une de ses poches, pour s’engager vers l’immeuble au fond de la cour.

            J’étais comme effrayé. Je ne pouvais rester dans cette cour qui ne possédait aucun édicule et sans recoin pour me terrer. J’étais dans le plus grand désarroi, risquant de me faire repérer à tout instant. Fort heureusement l’endroit où je me trouvais n’était pas éclairé, et des zones d’ombres me permirent d’atteindre bien avant lui l’immeuble au fond de la cour sans me faire remarquer. Je passais le seuil de l’immeuble et me lançais au fond d’un couloir menant vraisemblablement aux caves et me tapissait dans l’obscurité. J’aurais évidemment pu rester dans la cour qui n’était pas éclairée, le laisser passer devant moi, et rester le temps qu’il n’y ait plus personne pour me précipiter et ressortir dans la rue mais je ne m’explique pas pourquoi je n’ai pas agi de la sorte. L’homme s’engagea dans l’entrée de l’immeuble, appuya sur le bouton poussoir de l’éclairage et commença son ascension dans les étages.

            Je devinais au bruit de ses pas qu’il arrivait au premier étage, et toujours l’oreille aux aguets, je perçus le cliquetis d’une clé dans une serrure suivi du claquement d’une porte qu’on referme.

            J’éprouvais comme un soulagement. Je pouvais enfin respirer. J’allais pouvoir sortir de ma cachette. Mais mon apaisement fut de courte durée. A peine étais-je sorti de l’endroit où je me cachais qu’un deuxième homme poussant le portail donnant sur la rue entra dans le premier immeuble. C’était bien ma chance !

            J’espérais qu’il emprunterait l’escalier du premier immeuble, or non seulement il ne s’y engagea pas mais il ne s’arrêta même pas devant les boites aux lettres et je le vis s’engager directement dans ma direction.

            Pris au dépourvu du fait que la lumière éclairait encore le hall du deuxième immeuble, et que je risquais d’être à découvert, je décidais de gravir un étage, mais ce que j’étais loin d’imaginer, c’est que l’homme en question allait me contraindre à gravir la totalité de l’escalier pour lui échapper. En effet, à mesure qu’il montait, je passais à l’étage du dessus. Espérant qu’il s’arrêterait avant, je le précédais dans son ascension. Il atteignait le premier, je me déplaçais au deuxième, il accédait au deuxième et je me précipitais au troisième et d’étage en étage en escomptant qu’il s’arrêterait bien à un moment, j’atteignis finalement le cinquième.

            Il montait toujours derrière moi et la peur me tenaillait de plus en plus les entrailles. Qu’allais-je prétexter s’il me trouvait en ce lieu ? Qu’allais-je trouver comme explication à mon mal-être et dans cet accoutrement s’il m’interrogeait ?        

            Comment répondre pour quelqu’un qui ne dispose pas de raison. Déjà je m’imaginais entre les flics bafouillant à qui voulait l’entendre que moi-même je n’y comprenais rien…  

            J’ignore encore ce qui m’a pris, mais avisant la fenêtre du palier qui donnait sur l’extérieur, je me précipitais vers elle, l’ouvrais et sans plus de réflexion, enjambais promptement le garde-corps auquel je m’accrochais le mieux que je pouvais. M’aidant du tuyau de descente des eaux pluviales avec l’autre bras j’entourais cette structure cylindrique en grès et restais agrippé le temps que l’homme pénétrât chez lui.

            Je l’entendis accéder au dernier étage. Enfin, j’allais pouvoir me sortir de cette situation, encore quelques secondes et je rentrerais par la fenêtre, redescendrais les escaliers quatre à quatre et m’échapperais, mais ce qui se passa me glaça le sang.

            L’homme passa devant la fenêtre et la referma.

            Je me trouvais donc suspendu au cinquième étage, dans le vide, la peur au ventre à plus de quatorze mètres du sol.

            J’étais tétanisé par l’effort que je venais de consentir, transi par le vent froid et humide qui me gelait les os, dans la crainte de chuter à tout moment et je devais maintenant me glisser jusqu’au sol en m’accrochant à cette descente de gouttières, car toutes les embrassures des étages inférieurs qui donnaient sur l’escalier était condamnées de l’intérieur par l’escalier qui leur passait par le travers.

            Je n’avais plus le choix. Craignant pour ma vie je devais tenir coûte que coûte et rester collé au tuyau de descente, ce qui ne se fit pas sans douleur. Je me tailladais les paumes des mains à force de les passer et repasser sur les attaches en fer de la structure, m’esquintant les doigts à mesure de les glisser autour du tuyau pour m’accrocher, m’écorchant les genoux, me lacérant le ventre et le torse car la veste de mon pyjama qu’il m’était impossible de rabaisser à mesure que je descendais me remontait au niveau des épaules.

            Enfin j’atteignis le sol, tremblant de tous mes membres, grelottant de froid.

            Je réalisais que je m’étais mis moi-même en danger parce que je n’avais pas voulu affronter en temps voulu ce que j’avais à craindre, et même si je courrais une nouvelle fois le risque de faire une autre rencontre, je filais sans plus attendre vers la sortie de l’immeuble…

            … Je me réveillais haletant.

            Je constatais que ma couette avait glissé au sol et comprenais dans le même temps avec stupeur que j’étais dans mon lit.

            Comment avais-je pu faire un rêve pareil ? Avais-je à craindre de quelqu’un ? Vivais-je inconsciemment une peur inidentifiable ? Je ne me l’expliquais pas, mais j’étais cependant bien heureux d’avoir retrouvé mon lit, la couette bien en place.

            Encore sous le coup du cauchemar que je venais de vivre, je jetais un œil au réveil.

            Quatre heures s’affichait au cadran.

            Ankylosé, titubant presque, je me levais afin de satisfaire un besoin naturel, et passant devant le miroir du couloir qui mène aux toilettes, je me découvrais dans un pyjama humide par endroits maculé de plâtre et de salissures noirâtres…

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