ÉPILOGUE
En arrivant vers elle, Jolo sans hésitation l'étreignit. La jeune femme ne le repoussa pas, elle se laissa aller entre ses bras, tandis qu'il lui murmurait :
— Tu es là, les dieux sont si bons ! Tu es là avec moi et je...
Elle l'avait fait taire, le plus simplement du monde, en posant ses lèvres sur les siennes, parce qu'elle en rêvait depuis des jours. Ainsi partagèrent-ils leur premier baiser.
De loin, Dokar et Evalane les observaient. La dame d'Ikryl n'en croyait pas ses yeux. Ovaïa était plus humaine que jamais, et pourtant elle l'avait vu traverser le portail, ou du moins elle avait vu une créature de feu le traverser !
Dokar, ne se posait pas ce genre de questions. Il était juste réprobateur en voyant les jeunes gens s'embrasser.
Soudain une clameur rageuse vint le distraire de cette préoccupation. Il tourna la tête vers Ozerel. Ses hommes venaient de le couvrir de chaînes. L'ex-démon hurlait :
— Père !? Tu ne peux pas faire ça ! Père, je t'en prie ! Je me soumettrai, je ferai ce que tu voudras ! Père ! ?
Agacé, le seigneur d'Ikryl s'avança vers lui, puis lui jeta :
— Vas-tu te taire ? Tu me vrilles les oreilles avec tes lamentations !
L'autre éructa :
— Je me lamenterai si je veux, vil insecte ! De quel droit oses-tu me donner des ordres ? Sais-tu seulement qui je suis ?
— Un ancien démon transformé en humain et qui nous a laissé un sacré bordel à ranger !
Puis il se détourna et ordonna à ses hommes :
— Jetez-moi ça à fond de cale !
Evalane qui l'avait rejoint lui dit tout sourire :
— Eh bien mon frère, tu lui as rivé son clou...
Dokar haussa les épaules avant de reporter son attention sur Ovaïa et Jolo. Sa sœur fit de même en lui chuchotant :
— Cesse de vouloir les séparer. Quoi que tu en penses, Jolo est un homme bien. Il sera un soutien précieux pour elle, afin qu'elle puisse reconstruire le domaine de son père.
— Notre frère vient à peine de mourir, il n'est pas bien séant...
— Notre frère l'a abandonnée alors qu'elle était enceinte, et il est en grande partie responsable du bordel, pour te citer, que nous allons devoir nettoyer. Je t'en conjure, laisse-les tranquilles, et pour ce qui est des usages, ils observeront un délai de deuil correct, ils vivront leur vie et nous n'en parlerons plus.
Elle laissa Dokar sur ces mots et rejoignit le couple. À présent, la jeune femme rangeait son épée dans son fourreau.
En arrivant vers Ovaïa, Evalane lança à sa belle-sœur :
— C'est une joie de te revoir, bien vivante et plus humaine que jamais, mais je ne comprends pas, je t'ai vu traverser la porte.
— Moi-même, j'ai du mal à saisir.
— Que s'est-il passé ? Qu'as-tu ressenti ?
La jeune femme hésita, avant de répondre :
— J'ai traversé le portail, j'ai eu comme des fourmillements dans tout le corps, puis la vision brève d'un monde en flammes, avant d'être repoussée en arrière. Je crois que j'ai perdu conscience.
Elle secoua la tête avant d'aller regarder Ozerel que l'on traînait jusqu'à la galère. Ovaïa dit alors :
— Peut-être que lui pourrait expliquer ce qui est arrivé ?
Jolo objecta :
— Et peut-être qu'il est préférable de ne pas savoir.
Evalane eut le dernier mot :
— De toute façon, c'est à condition qu'il veuille parler. Ce qui n'est pas gagné !
Ensuite, tous les trois se dirigèrent vers la berge du fleuve afin d'embarquer à leur tour sur la galère. Evalane aperçu Syvan qui venait ver elle, une joie réelle la saisit, elle s'élança dans sa direction en courant et se jeta dans ses bras. Leenel était à cet instant bien loin de ses pensées...
Peu après, ils quittaient le Surilor, à bord de l'embarcation royale. Tous se concentraient sur d'autres priorités, une principalement : reconstruire leur monde dévasté. Un travail de titan les attendait....
Plusieurs mois plus tard - Manoir d'Ikryl
Evalane était assise devant son écritoire. Elle terminait plusieurs lettres, dont une à Ovaïa et Jolo. Elle leva brièvement les yeux sur sa fenêtre. Derrière les carreaux, la neige tombait en abondance. On était en hiver et les saisons, après la fermeture du portail et plusieurs semaines de confusion, avaient repris leur cours. Lentement les diverses contrées se relevaient, mais ce n'était pas sans mal, sans drame, sans morts et sans révolte aussi.
L'armée royale aidée des troupes seigneuriales, bien réduites d'ailleurs, avait beaucoup à faire dans les provinces pour ramener un semblant d'ordre. Elle se demanda si son époux, parti avec d'autres mater des émeutes sur le domaine d'Igrul, reviendrait avant le printemps. En tout cas, elle aurait donné beaucoup pour l'accompagner et revoir Leenel.
Par association d'idées, elle posa une main légère sur son ventre bien rond. L'enfant qu'il abritait était prévu pour le début du printemps. Il était la raison majeure qui avait poussé Evalane à rompre définitivement avec la jeune Dame d'Igrul. Cela avait été des plus orageux. Leenel avait quitté le manoir le jour même, sans comprendre vraiment le choix d'Evalane, sans savoir à quel point la dame d'Ikryl en avait souffert.
La future mère repoussa ce souvenir quelque peu déprimant. Puis cacheta la missive qu'elle destinait à sa belle-sœur et son nouvel époux.
Elle la posa sur d'autres. Ce courrier partirait dès que le temps le permettrait, ce qui risquait de ne pas être dans l'immédiat.
Cette fois, elle se saisit d'un épais livre de cuir. Elle avait entrepris d'y consigner les événements qui étaient survenus après l'ouverture du Pœcile. Elle débutait à peine ce travail qui lui prendrait sans doute toute une vie.
Evalane ouvrit l'ouvrage, sur la page de garde était calligraphié très élégamment :
Chroniques des Temps Obscurs.
Elle tourna les pages, s'arrêta sur une feuille vierge, se saisit de sa plume et la trempa dans l'encrier. Elle traça enfin le titre du chapitre suivant :
Le Kurior...
Ruines de la cité de Kixorlig - Pays de Surilor
Un froid intense et un blizzard glacial s'étaient abattus sur les vestiges de la vieille cité. Une épaisse couche de poudreuse dissimulaient les pierres et les rares murs encore debout du site antique.
L'endroit était totalement désert, comme la majorité du pays d'ailleurs. Depuis la fin de la grande obscurité, la plupart des gens évitaient cette région en général et la cité détruite en particulier. Ses lieux devenaient peu à peu, synonyme du mal absolu dans l'imaginaire des populations.
Mis à part celui du vent, il n'y avait pas un bruit. C'est pour cela que le son singulier d'un hurlement diffus fit sursauter les rares êtres vivants encore présents, à savoir un ou deux corbeaux apeurés qui s'envolèrent.
Le hurlement s'amplifia, diminua pour devenir un chuchotement. Des volutes de fumée blanche et orangée se matérialisèrent. Elles s'enroulèrent sur elles-mêmes jusqu'à former une sphère parfaite qui resta suspendue quelques secondes dans les airs. Puis la perle opaque retomba sur le sol couvert de neige, l'intérieur palpitait. Cela cessa, la sphère devint solide, jusqu'à ressembler à une simple pierre. Elle fut rapidement recouverte par la neige : l'objet s'était mis en attente...
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